Pour dépolitiser un débat, rien de tel que de transformer un conflit en compétition sportive. De même que George W. Bush comparait sa guerre en Irak à un match de football américain en employant le vocabulaire de ce sport, Alain Marschall déploie tout son potentiel intellectuel, résumant ainsi une brillante analyse politique, en comparant le résultat de Jean-Luc Mélenchon, lors du premier tour de l’élection législative dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, au résultat d’un match de boxe. Et, pour faire bonne mesure, il monte sur le ring qu’il a lui-même dressé, s’érige en arbitre et conclut le combat par une décision finale… qui est censée ouvrir un débat : Mélenchon est K-O.
Tout le talent du journaliste se mesure à la pertinence des questions.
- Alain Marschall : Le Front national vous a mis K-O au match aller à la présidentielle, K-O au match retour à la législative. Allez-vous vous en relever ?
- Jean-Luc Mélenchon : Pardon ?
- Alain Marschall (ne comprenant visiblement pas l’ironie de la réponse) : Je dis : le Front national…
- Jean-Luc Mélenchon : Je crois que vous vous méprenez, monsieur. Oui, j’ai compris, j’ai compris, j’ai compris. Je crois que vous vous méprenez, monsieur, il ne s’agit pas d’un match de boxe, personne n’a mis K-O qui que ce soit.
- Alain Marschall : Là, vous êtes éliminé !
- Jean-Luc Mélenchon : J’ai gagné ici mille voix et huit points, si vous voulez bien l’observer et faire du commentaire politique et non pas du match de boxe.
Le juge-arbitre persévère :
- Alain Marschall : Vous êtes éliminé, Jean-Luc Mélenchon ! Vous êtes au tapis, vous êtes éliminé.
- Jean-Luc Mélenchon : Huit points, huit points ce n’est pas assez pour se maintenir au second tour. Pardon ?
- Alain Marschall : Je dis, vous êtes éliminé du second tour de la législative. Votre objectif était bien d’être élu député sur place ?
- Jean-Luc Mélenchon : Oui, oui, en effet.
Le juge-arbitre esquive en transformant sa question en affectant de poser la même :
- Alain Marschall : Donc c’est un échec.
- Jean-Luc Mélenchon : À quel point de vue, monsieur ?
- Alain Marschall : Vous n’êtes pas au second tour, monsieur Mélenchon. Je veux bien qu’on tourne autour du pot, vous n’êtes pas au second tour de l’élection législative, donc vous avez perdu.
- Jean-Luc Mélenchon : Mais on ne tourne pas autour du pot. Mais attendez, mon petit bonhomme, on ne tourne pas autour du pot. Qu’est-ce que vous voulez me faire dire ? Faites la réponse tout de suite, comme ça on sera tranquille. Qu’est-ce que vous voulez ?
- Alain Marschall : Non, la question…
- Jean-Luc Mélenchon : Un match, K-O, etc. Vous aussi, ce soir vous êtes K-O par France 2, votre émission ne présente donc aucun intérêt, vous le savez bien.
Rire de Ruth Elkrief, sur le plateau. Celle-ci, voyant que son ami Alain rame, vient à son secours en reformulant sa question :
- Ruth Elkrief : Est-ce que vous êtes déçu, ce soir, Jean-Luc Mélenchon, de ne pas avoir été qualifié…
- Jean-Luc Mélenchon : Ah ! Voilà une question un peu plus sensée !
- Ruth Elkrief : … de ne pas avoir été qualifié au deuxième tour…
- Jean-Luc Mélenchon : Bien sûr.
- Ruth Elkrief : … mais qui reste sur le fond, la même que mon ami Alain ?
- Jean-Luc Mélenchon : Oui, ça oui. Ça, c’est une question qui est intelligible. Est-ce que je suis déçu ? Bien sûr. (…) »
Nous ne retranscrirons pas la suite de la réponse de Mélenchon, qui prend le temps d’expliquer les raisons de sa déception.
Cela mérite bien une petite vidéo, agrémentée (puisque Marschall n’en est pas à son coup d’essai dans le genre particulièrement prisé de l’arrogance méprisante) d’un rappel de sa précédente prouesse : « Présidentielle : le comble du mépris, c’est sur BFM-TV (22 avril 2012).
On rigole beaucoup sur le plateau de BFM-TV. Et lorsque le candidat du Front de gauche qualifie de « stupides » les commentaires de Marschall, la régie de BFM-TV choisit de montrer les journalistes riant sur le plateau et la réaction de Marschall, soulignant d’un geste moqueur un « c’est pas grave », inaudible par Mélenchon mais destiné à laisser croire que l’excès est du côté de Mélenchon et non de celui qui ne fait « que » poser des questions, alors qu’il ne s’agit que d’une assertion péremptoire d’éditorialiste maquillée en interrogation d’interviewer. Un questionneur et des comparses qui s’arrogent d’autant mieux le beau rôle que celui qu’ils interpellent n’est pas sur le plateau.
Un plateau où on rigole beaucoup aux dépens de ceux à qui on parle ou dont on parle, comme ce militant de Lutte ouvrière grossièrement raillé sur son apparence, comme l’a si bien fait Marschall avec son éblouissant mépris de classe, du haut de son joli plateau et de son beau costume : Alain Marschall, ou le somptueux exemple de la dégradation d’un certain journalisme politique dont les représentants se prennent pour des chansonniers.
Lucas Gomez (avec Henri Maler, et Yannick Kergoat pour la vidéo)