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Lire : Profession : Elkabbach, de Vincent Quivy

par Henri Maler,

Nous n’avions pas encore lu l’ouvrage de Vincent Quivy, Profession : Elkabbach, paru en février 2009 [1]. C’est chose faite. Solidement documenté et nourri de très nombreux témoignages, ce livre ne propose pas seulement une biographie de son héros, mais analyse un rôle qu’interprètent différemment d’autres acteurs.

Le livre de Vincent Quivy trace un portrait composite de Jean-Pierre Elkabbach, à travers une galerie de portraits de son modèle, disposés dans un ordre qui propose aux lecteurs de remonter le temps et de parcourir à l’envers la succession des présidences de la République auxquels Elkabbach a, peu ou prou, prêté allégeance. En cinq chapitres : « Portrait du journaliste en sarkozyste », « Portrait du journaliste en chiraquien », « Portrait du journaliste en mitterrandien », « Portrait du journaliste en giscardien », « Portrait du journaliste en gaulliste ».

Dès l’introduction – « Pour faire le portrait d’un journaliste –, Quivy présente ainsi son personnage : une « sorte de baron d’Empire ou de gentilhomme enrichi dont le portrait traduit la réussite et l’ascension […] Journaliste ? Pas vraiment. Disons plutôt homme de lettres, à la manière dont au XIXe siècle, on désignait les gens de presse. Homme de lettres ? Non, le mot ne convient pas non plus. Alors quoi ? […] Chef d’entreprise ? Dirigeant ? Homme de médias, d’images ou de pouvoir ? Peut-être une peu tout ça à la fois. Et c’est déjà une indication de sa personnalité et de l’époque qu’il a traversée : un mélange de fonctions et de genre, un ensemble fourre-tout qui ne se connaît pas de barrières. » Somme toute, comme le soulignent le titre du livre de Vincent Quivy et son dernier chapitre – « Portrait du journaliste en “Elkabachiste” », la profession d’Ekabbach n’est autre qu’Elkabbach lui-même.

Ce portrait composite est à la fois celui d’une personnalité singulière et celui d’un personnage social.

Qui est Jean-Pierre Elkabbach ? Les très nombreux témoignages de ceux qui ont travaillé avec lui et, souvent, sous ses ordres convergent en général pour décrire la personnalité d’un passionné d’infos, de coups et d’opérations spéciales, mais aussi un animateur inventif, créatif même. Un affectif, nous dit-on, qui cherche d’abord à plaire. Un séducteur, mais dont les amitiés varient en fonction des aléas de sa carrière et des choix qu’à ses yeux elle impose. Un patron parfois chaleureux mais souvent versatile, dont le comportement avec ses subordonnés peut-être détestable. Un patron peu interventionniste, selon certains témoins, mais pour peu qu’on lui soit soumis. Un coupeur de tête s’il le juge nécessaire. Un bosseur, mais qui travaille surtout à sa propre gloire. « Je suis, dit-il, dominé par une passion excessive pour la gloire à laquelle je rapporte tout [2].

Mais cette personnalité singulière est ajustée à des fonctions sociales. Le personnage d’Elkabbach – et c’est sans doute là le principal intérêt du livre – condense à sa façon les qualités socialement requises pour devenir médiacrate… et le rester en dépit de quelques vicissitudes.

Quivy, selon ses propres expressions, retrace « toute une vie professionnelle passée dans l’antichambre du pouvoir » et dessine le portrait d’un « journaliste de cour ». Un homme de pouvoir donc qui, selon Philippe Rochot, journaliste à France 2, « a toujours été du côté du manche ». « Indépendant, mais employé des politiques, libre dans sa tête mais soumis au pouvoir », résume Quivy.

Elkabbach, comme tant d’autres, est un journaliste de fréquentation, mais autant que possible de haute fréquentation : celles de présidents de la République et d’une partie de leur entourage. Elkabbach pratique, si l’on veut, une forme de journalisme de proximité : la proximité du pouvoir. De ce journalisme-là, Quivy relate avec précision les diverses modalités et les divers épisodes, distribués sur plusieurs décennies.

Mais cette proximité avec les hommes de pouvoir ne se limite pas à l’entretien de relations personnelles :« A interroger ceux qui ont croisé sa route au cours de sa longue carrière, se dessinent les contours d’un personnage aux allures d’homme politique, nourri des mêmes ambitions et des mêmes centres d’intérêt » (p. 193). Or ce personnage ne s’appelle pas seulement Elkabbach.

Sans doute, n’est pas Elkabbach qui veut. Sans doute n’est-il pas nécessaire de lui ressembler en tous points pour exercer des fonctions équivalentes à celles qu’il a exercées. Elkabbach est une variété singulière d’un personnage social aux identités multiples, aux parcours distincts et aux convictions parfois différentes, mais dans les limites de rôles et de fonctions similaires. Chacun les interprète et les remplit selon son propre tempérament et avec son propre talent : sa complaisance, sa docilité et son opportunisme peuvent varier, mais toujours à faible distance des pouvoirs dont il dépend. Dans le cas d’Elkabbach, cette distance n’excède jamais ce qu’il est nécessaire d’afficher pour sauver les apparences. En cela, son trajet est le résumé d’une époque… qui dure encore.

Henri Maler

Avec l’accord de l’auteur et de l’éditeur nous en publierons prochainement un extrait de Profession : Elkabbach.

 
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Notes

[1Vincent Quivy, Profession : Elkabbach, Paris, éditions du Moment, février 2009, 219 p.

[2Jean-Pierre Elkabbach avec Nicole Avril, Taisez-vous Elkabbach !, éditions Flammarion, 1992, p. 69. Cité par Vincent Quivy, p. 165.

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