(1) Le premier de ces « chaînons manquants » serait constitué par les conditions de fabrication de l’information que les auteurs abordent sous trois angles.
– D’abord, la « production de dysfonctionnements » (Chapitre 1 : « Dérives et mensonges »). Parmi eux, outre les cas fort connus des affaires du RER D, du « bagagiste de Roissy » et du procès d’Outreau [2], le rappel d’autres « dérapages » et, en particulier, des « petites trahisons locales » de la PQR dans lesquelles « germe et s’enracine la crise de la presse ».
– Ensuite, les « conditions de travail des journalistes » (Chapitre 2 : « Souffrance en France médiatique »). À ce titre, sont passés en revue, témoignages à l’appui, les situations des pigistes, des journalistes en CDD et des correspondants de presse, mais aussi les effets des « grilles » de programme et de la taylorisation du travail journalistique.
– Enfin les « phénomènes d’imitation en chaîne » (Chapitre 3 : « La rivalité mimétique »). Il s’agit ici d’exposer les raisons d’une certaine uniformisation de l’information : une rivalité d’autant plus grande que les ressemblances sont fortes, stimulées par « la révolution marketing » et l’ « objectif vente » qui imprègnent les rédactions ; uniformisation accentuée, entre autres causes examinées par les auteurs, par celle des sources.
(2) Le deuxième « chaînon manquant », selon Philippe Merlant et Luc Chatel, concerne la vision du monde par le journalisme et ses rapports avec les différents pouvoirs.
– Cette vision se nourrit de divers « ingrédients » (Chapitre 4 : « Une vision du monde »). Parmi eux, on retiendra ici le mythe de l’observateur extérieur, ainsi que « quatre autres croyances : le mythe d’un individu tout puissant, placé au centre de l’univers ; une conception mécaniste du rapport au temps ; l’impératif de transparence comme valeur ultime ; un vision utilitariste de la vie en société. » (p. 165) Les auteurs concluent alors : « Le journalisme constitue donc une vision du monde parmi d’autres, qui s’assimile à une idéologie dans la mesure où elle refuse de s’assumer comme telle. » (p. 188)
– Et d’ajouter : « Comme toute idéologie, elle renforce des mécanismes de domination et de soumission, et structure fortement les rapports du pouvoir médiatique avec les autres pouvoirs, économique et politique notamment. » (p. 188) Ce sont ces rapports qui font l’objet du chapitre suivant (Chapitre 5 : « Toujours du côté du manche ? ») : les rapports au pouvoir économique (et, en particulier les « glissements progressifs vers le marché ») et les rapports au pouvoir politique (et notamment « les mécanismes d’inféodation des journalistes aux politiques »).
(3) Le troisième maillon est celui des réponses possibles. Après avoir décrit les critères, vertus et limites d’une information citoyenne (Chapitre 6 : « Une information citoyenne est-elle possible ? ») et tracé les conditions de rencontre d’acteurs aujourd’hui dispersés (Chapitre 7 : « La désunion fait la faiblesse »), Philippe Merlant et Luc Chatel soutiennent que « la lutte contre les frontières intérieures du système médiatique représente la meilleur des voies vers l’émancipation » (p. 277). Et d’identifier sept frontières ou murs qu’il s’agirait de contourner ou d’ébrécher, et parmi elles les frontières qui séparent les journalistes et leurs publics, les postés et les précaires, les experts et les profanes, les hommes et les femmes (Chapitre 8 : « Les frontières intérieures »), Aux lecteurs de découvrir les remèdes proposés, dont on se bornera à dire ici qu’ils nous semblent très partiels.
Un tel résumé ne rend pas justice à l’abondance des observations concrètes et à la finesse de nombre d’entre elles qui suffiraient à justifier la lecture de ce livre, même s’il ne propose pas une vision d’ensemble suffisamment radicale et cohérente pour être à la hauteur de ses ambitions. Mais, tel qu’il est, il offre amplement matière à discussion.
Henri Maler