Accueil > Critiques > (...) > Entretiens audiovisuels

Alain Minc dans l’émission « On n’est pas couché » : tout avait pourtant bien commencé...

par Mathias Reymond,

Le 21 septembre 2012 Alain Minc était l’invité de l’émission « On n’est pas couché », animée par Laurent Ruquier sur France 2. Malgré un démarrage gentil, l’entretien ne se passe pas comme prévu, c’est-à-dire comme dans les autres médias. L’essayiste doit faire face à un flot de questions embarrassantes et de remarques incommodantes de la part des deux chroniqueurs du plateau : Natacha Polony et Aymeric Caron. Pour une fois qu’Alain Minc est mis en difficulté, ne boudons pas notre plaisir. Mais sans oublier de nous demander, une fois encore, pourquoi inviter cette fausse grandeur, alors que des auteurs, souvent plus compétents, ne le sont jamais ?

D’emblée, Laurent Ruquier présente son invité comme« un économiste brillant » et précise : « Depuis plus de trente ans, il publie de nombreux ouvrages qui passent rarement inaperçus, c’est vrai, tout le monde en parle à chaque fois. » En effet, tout le monde en parle, mais à cause de qui ?

Laissons de côté la dimension idéologique des propos de Minc et de ses contradicteurs : même si l’essayiste est un libéral effréné et exprime partout la même pensée que nombre de ses semblables – éditorialistes, journalistes vedettes ou experts omniscients – il a évidemment le droit de penser ce qu’il pense, de le dire et de l’écrire. Le problème ici est la façon dont Minc – qui se présente comme un défenseur absolu de la liberté d’expression et du débat démocratique – refuse la contradiction. Omniprésent dans les médias, il est habitué à la complaisance de ses intervieweurs et depuis plusieurs semaines qu’on l’entend, qu’on lit et qu’on le voit un peu partout, il n’a jamais fait face à des interlocuteurs particulièrement pugnaces. Bien au contraire.

Or, dans l’émission de France 2, malgré un très cordial Laurent Ruquier (on appréciera sa dernière intervention : « J’espère qu’on aura donné envie à certains de nos téléspectateurs de le lire [votre livre]  »), cela s’est passé différemment.

Délégitimation et arrogance

Dès sa première intervention, Natacha Polony ose quelques critiques à l’égard du livre (elle l’a trouvé « ennuyeux »). Alain Minc lui reproche aussitôt de ne pas l’avoir lu : « Un vieil auteur sait quand on n’a pas lu un livre, et vous ne l’avez pas lu ». Reproche qui semble inexact si l’on en croit l’état du livre et les passages soulignés que montre la chroniqueuse à l’écran. Ensuite, tout au long de l’entretien Alain Minc se comporte en vieil enseignant grincheux ; il pose des questions à Natacha Polony pour tester son « niveau » dans le but, remarque la chroniqueuse, de « délégitimer la personne que l’on a en face de soi. »

En réalité, aucune critique n’est acceptable pour Minc. Pis : quand Polony souligne qu’il se trompe « sur à peu près tout », il s’énerve avec une mauvaise foi stupéfiante. Sur la crise, par exemple, il nie avoir dit en 2008 qu’elle était terminée. Il s’explique ainsi : « J’ai dit qu’elle était grotesquement psychologique. » Avec calme, et non sans être maintes fois coupé par son auteur, Aymeric Caron cite longuement une phrase datée de janvier 2008 dans laquelle Minc louait « l’incroyable plasticité du système » et déclarait : « On nous aurait dit que le système financier serait régulé avec un doigté tel qu’on éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur des très grandes crises financières qu’on a connues dans le passé ! C’est quand même un univers au fond très résilient. Qui est très bien régulé » [1].

L’arrogance de Minc est sans limite. Face à ses contradicteurs, n’importe quel « argument » peut servir. Ainsi quand il est question du « peuple », Alain Minc prend la pose : « Moi, j’ai eu des parents communistes… Alors j’ai plus connu le peuple que vous. » « Faire référence aux parents, à ce que vous croyez de la personne que vous avez en face de vous, n’est quand même pas une façon très intellectuellement honnête de débattre », lui réplique Polony. « Mais parce que vous n’êtes pas intellectuellement honnête ! », s’agace l’essayiste…

Honnêteté intellectuelle

… Dont l’honnêteté intellectuelle est la principale vertu… comme permet de le vérifier le passage le plus cocasse de l’émission lorsque Caron rappelle à Minc qu’il a été condamné pour plagiat. Ce dernier fait immédiatement amende honorable, mais a minima : « J’ai fait dans ma vie, une connerie, de citer un auteur une fois et pas dix fois. Il m’a fait condamner, et on ne m’y reprendra pas. » Aymeric Caron tient à préciser : « On a reconnu trente emprunts… » Minc le nie : « Non, non pas trente. » Or, il n’y a pas eu 30 emprunts… mais 36 emprunts !

Rappel : le 28 novembre 2001, Minc fut condamné par le tribunal de grande instance de Paris pour plagiat. En effet il venait de plagier un livre de Patrick Rödel (Spinoza, le masque de la sagesse). Extrait du jugement : « Il a effectué trente-six emprunts en ayant recours à plusieurs types de procédés allant de la reproduction servile d’expressions au plagiat de l’économie générale des passages en passant par la reprise des mêmes citations ou des mêmes anachronismes. » Il fut condamné à verser 100 000 francs à l’auteur.

Le brillant économiste est décidément très approximatif. Quand le même Caron s’étonne du nombre de livres qu’il publie (en moyenne un par an) et de la somme de travail que cela représente (dans ce dernier ouvrage, la bibliographie compte une centaine de références), Alain Minc part au quart de tour et affirme qu’il ne recourt pas à des « nègres », comme on dit. 

Pourtant, en 2007, lors de son précédent passage dans l’émission « On n’est pas couché », il avait commis, à deux reprises, des lapsus suggérant qu’il n’écrivait pas ses propres livres, ainsi que nous le relevions ici-même :

 Une première fois, face à Michel Polac, chroniqueur à l’époque, il lâche : « […] je vous ai dit que le livre de Rödel était un livre tout à fait remarquable que j’ai fait une connerie en ne le citant pas et qu’à un moment donné j’ai été abusé. Si vous voulez... » Et Michel Polac qui a relevé le semi-aveu réplique : « Abusé par qui ? » Réponse gênée de Minc : « Abusé par moi. »

 Le second lapsus est bien plus explicite. Toujours dans la même émission, où il était question du livre qu’il venait de rédiger sur John Maynard Keynes, il dit : « Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il [Keynes] a fait une chose extraordinaire, que j’ai apprise en lisant ce bouquin. » En lisant son propre bouquin ou en le rédigeant ?

***

L’émission avance, Alain Minc ne cesse de regarder sa montre puis avoue être en train de s’ennuyer : « C’est la première fois dans une émission de télé que je regarde ma montre ». Ruquier est ravi, le clash a eu lieu, et son émission de spectacle va faire le buzz. Quant à Natacha Polony, elle a tout compris : « Rassurez-vous c’est bientôt fini, et avec beaucoup d’autres ce sera beaucoup plus facile. »

Mathias Reymond

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Cet extrait est visible dans le film Les Nouveaux Chiens de garde.

A la une

Médias français : qui possède quoi ?

Vous avez dit « concentrations » ? Nouvelle version de notre infographie.

Louis Sarkozy : le capital médiatique s’hérite aussi

Le journalisme politique dans sa bulle.