– Vendredi 26 octobre. Premier titre annoncé : « L’arrivée brutale de l’hiver dans le Var ».
Et 32 min 30 s environ plus tard, après deux sujets sur les États-Unis (« Pourquoi Barak Obama vote avant le jour des élections », « Se soigner au supermarché : un moyen de payer moins cher »), on apprend, images à l’appui, que l’ouragan est « en route vers les États-Unis » et que des mesures préventives ont été prises. Et en une phrase, mais sans images : « l’ouragan Sandy a déjà fait vingt-huit morts sur son passage, notamment en Haïti ». C’est tout ? C’est tout.
– Samedi 27 octobre. Aucun titre n’annonce des informations sur l’ouragan. Les sujets se succèdent : intempéries dans le Var, météo, fait divers, congrès du Parti socialiste, jusqu’au moment où, après « un mot sur la grève à Air France » et quelques images sur la « grogne sociale en Italie » (les grognons grognent encore…), intervient, 14 min 40 s après le début du journal, cette transition : « À l’étranger toujours ». À l’étranger, quoi donc ? « Aux États-Unis, la côte est en état d’alerte » face à « l’énorme ouragan ». Fugitivement, le présentateur précise : « Dans les Caraïbes, il a déjà fait vingt-quatre morts ». Le « sujet » lui-même porte sur les mesures préventives prises aux États-Unis et sur la trajectoire de l’ouragan.
Pourtant, au cœur de ce « sujet » d’1 min 15 s, quelques phrases, prononcées à grande vitesse (20 s), informent, images à l’appui : « Juste en face, dans l’Atlantique, dans l’archipel des Bahamas, Sandy est déjà passé. Voici les résultats : ravages des vents et montée de l’océan. Mais rien de dramatique, comme ici à Cuba. C’est à Santiago que les destructions ont été les plus impressionnantes. Bilan : onze morts. Pire encore : en Haïti un pont a même été emporté. La subite montée des eaux a causé la mort de vingt-six personnes, dont des enfants. » C’est tout ? C’est tout. Il est temps, en effet, de passer au sujet suivant : l’impact possible de l’ouragan sur le scrutin présidentiel, en direct avec Maryse Burgot, depuis les États-Unis ? Un direct suivi d’un « sujet » sur le « microciblage électoral » ; durée ? 2 min 55 s.
– Dimanche 28 octobre. Parmi les titres du journal : « New York en alerte Ouragan ». 18 min 45 s après de début du journal, 3 min (un « sujet » et un « direct) sont consacrées aux précautions prises face à l’imminence de l’arrivée de l’ouragan. Rien sur les dévastations dans les autres pays.
– Lundi 29 octobre. Première annonce : « L’Amérique en alerte ouragan […] La tempête devrait frapper dans les heures qui viennent », avec ce titre à l’image :
1 min 5 s d’annonce des titres et « direction d’abord les États-Unis » ; pour 7 min d’informations et de reportages : « Les dernières images », « Les dernières informations : l’ouragan Sandy s’approche de New York », « Arrivée imminente de l’ouragan Sandy dans le New-Jersey », « New York et Washington retiennent leur souffle » ». Puis, plateau : « Ouragan Sandy : pourquoi fait-il si peur ? ». Rien sur les conséquences de l’ouragan dans les autres pays.
– Mardi 30 octobre. Premier titre annoncé : « La côte est américaine dévastée ». Plus de 10 min 30 s seront consacrées aux conséquences du passage de l’ouragan.
Et rien sur les conséquences de l’ouragan dans les autres pays.
– Mercredi 31 octobre. Premier titre annoncé : « L’affaire Zyed et Bouna rebondit ». Or « l’affaire », ce n’est pas eux, mais le rôle de la police. On se demande dès lors s’il n’aurait été plus décent de dire : « Les suites judiciaires de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré », au lieu de les désigner familièrement (et affectueusement) par leurs prénoms… Deuxième titre annoncé : « Quel bilan aux États-Unis ? » 7 min 8 s après le début du journal, il est temps de l’apprendre : en deux reportages et un « direct » d’une durée totale de 7 min. Premier reportage (2 min 40 s environ) : « L’ampleur des dégâts », suivi de l’image pittoresque d’un journaliste surpris par les flots, mais heureusement indemne. Et il est temps de passer au second reportage : « Le calme des New-Yorkais ». Et sur les autres pays ? Rien.
– Jeudi 1er novembre. Le journal n’est pas disponible sur le site de France 2.
– Vendredi 2 novembre. Le toujours souriant Laurent Delahousse annonce les titres du journal et introduit, 8 min 50 s après le début du journal et avant de revenir sur la campagne électorale aux États-Unis, un reportage centré sur la pénurie d’essence, la vente de matériel de camping et tous les désagréments de la vie à Manhattan (1 min 20 s environ). Et sur les autres pays ? Toujours rien.
Du samedi 27 octobre au vendredi 2 novembre (sans compter le jeudi 1er novembre et les annonces des titres des journal) environ (comptage approximatif) 30 min ont été consacrées à l’arrivée puis aux effets de l’ouragan aux États-Unis. Et 20 s environ à ses effets dans les autres pays.
– Samedi 3 novembre. Le toujours souriant Laurent Delahousse annonce :« Voici le titre du journal de ce samedi » (en 1 min 30 s). Et, subitement :
« Avant de revenir sur ces titres, un cri d’alarme ce soir, le cri des oubliés de l’ouragan Sandy. Quelques heures avant de toucher les côtes américaines, la tempête a fait des ravages sur l’île d’Haïti. Mais la situation n’a pas fait l’objet de la même couverture médiatique. Pourtant un drame de plus est en train de se jouer pour cette population déjà meurtrie. Elle est désormais menacée par le manque de nourriture »
Cette présentation très indirectement et très allusivement autocritique valut aux téléspectateurs de bénéficier d’un reportage correctement informé (malgré sa brièveté : 1 min 30 s environ) sur « Les victimes oubliées de Sandy » : les cinquante morts recensés, les maisons, les routes, les hôpitaux détruits, le million d’habitants menacés par le manque de nourriture, l’agriculture sinistrée, le développement du choléra, etc.
Mais les questions demeurent.
Les « victimes oubliées », mais par qui ? Pourquoi se borner à déplorer vaguement la couverture médiatique sans dire un mot de la couverture effectuée par France 2 ? Par timidité ?
Les « victimes oubliées », mais pourquoi ? À cela plusieurs explications possibles qui peuvent se combiner. D’abord, puisque depuis le 11 septembre 2001, selon leurs dires, « Nous sommes tous américains », ou plus exactement états-uniens, rien de ce qui arrive dans ce pays ne doit nous rester étranger. Quant aux autres pays, c’est selon… Ensuite, et par conséquent, la couverture de l’élection présidentielle aux États-Unis focalise l’attention des responsables des rédactions et justifie à leurs yeux la multiplication des envoyés spéciaux : de quoi faciliter la couverture de l’ouragan dévastateur. Enfin, tout dépend de l’abondance des images, de préférence spectaculaires. Et pour ça, les États-Unis sont mieux lotis que Cuba ou Haïti. « Dis-moi ce qu’on trouve dans les banques d’images et où sont les caméras, je te dirai ce qui mérite qu’on en parle. »
Que peuvent contre tout cela, qui produit machinalement de redoutables effets, des bilans critiques qui, quand ils existent, sont aussi maigres que celui de France 2 ?
Henri Maler