Dans l’introduction de votre rapport pour avis dans le cadre du projet de loi de finances 2013, Monsieur le Député, vous appelez de vos vœux "une action volontariste pour réformer le système d’aides à la presse" qui correspond à "un effort annuel d’environ 1,2 milliard d’euros". À la base de ce souhait, la prise en compte de "ses dysfonctionnements et de ses contradictions" et le constat "d’une situation plus alarmante que jamais" en l’absence de modèle économique de substitution fiable.
Comment est-il possible que l’utilisation de ces ressources publiques favorise un objectif inverse à leur but ?
"Combien le contribuable aura-t-il dû débourser pour retarder la mort de France-Soir ? Combien aura-t-il versé au groupe Hersant Média, aujourd’hui au-dessus du gouffre ?" écrivez-vous. Vous auriez pu ajouter à cette liste la version papier de La Tribune, certains des hebdomadaires du groupe Ebra supprimés l’an dernier, et d’autres exemples encore.
Il faut, poursuivez-vous, remettre à plat l’intervention de l’État en faveur de la presse.
Les aides à la distribution : "Peut-on raisonnablement continuer à consacrer de tels montants pour aider simultanément le transport postal, le portage, et la vente au numéro, trois modes de distribution qui se concurrencent, pour constater in fine que la diffusion de la presse dans son ensemble ne cesse de reculer ? Une réflexion s’impose sur ce que peut être une bonne combinatoire entre portage, postage et vente au numéro, en fonction du type de presse, mais aussi de la zone géographique concernée, et sur la manière la plus intelligente de répartir l’aide publique en fonction de ce qui en ressort."
Les aides au pluralisme : Vous insistez sur "l’indispensable ciblage de l’effort financier de l’État sur les titres de presse citoyenne", en leur appliquant à eux seuls un taux super réduit de TVA à 2,1 %.
Les transparences et les contrôles nécessaires.
Les dysfonctionnements et les contradictions des aides à la presse, le SNJ, première organisation de la profession, les met en exergue depuis longtemps. Et il a, à de nombreuses reprises ces dernières années, interpellé les pouvoirs publics à ce sujet. Mais peut-être ne parlons-nous pas tout à fait de la même chose.
En effet, Monsieur le Député, nous pensons qu’il n’est pas acceptable que des grands groupes de presse dits "citoyens" (GHM, mais aussi Ebra, Sud-Ouest, La Montagne, Ouest-France ou encore La Voix du Nord) bénéficient d’aides de l’État conséquentes alors même qu’ils mettent à mal le pluralisme en supprimant des titres, des éditions, en fermant des agences, en mutualisant à tout-va, en diminuant les effectifs dans les rédactions tout en s’attaquant au statut des journalistes (récemment encore à travers la tentative de contestation des clauses de cession) ou en se désengageant des négociations de branches. Quid aujourd’hui par exemple de Sud-Ouest qui veut engager un vaste plan de restructuration avec 180 suppressions d’emploi à la clé, des fermetures possibles d’agences à Angoulême, Auch ou à Pau ? Que fait l’État, d’une manière plus large, pour contrer ce démantèlement territorial ? Les suppressions de titres ou d’éditions entraînent, on le sait, à chaque fois, des pertes objectives de lecteurs, désorientés par l’uniformisation de l’information qui en résulte : la presse régionale, qui repose d’abord sur la proximité avec son lectorat, voit son rôle de lien social et de vecteur du débat démocratique amoindri.
Oui, nous pensons qu’il n’est pas acceptable que les aides publiques soient détournées de leur objectif initial pour supprimer des emplois et faire du dumping social. Nous jugeons qu’il est incohérent que, d’un côté, l’État verse près de 4 millions d’euros à un syndicat patronal, le Syndicat de la presse quotidienne nationale, pour un projet de centre d’impression numérique en Corse et que, de l’autre, il aide à hauteur de près de 4 millions d’euros la société Newsprint de Monsieur Riccobono pour développer des imprimeries de labeur.
Face à cette situation, il existe plusieurs possibilités très concrètes d’amélioration importante.
Vous citez la reconnaissance légale de l’indépendance des rédactions. Cette reconnaissance constitue l’une des demandes récurrentes du SNJ. Et nous pensons, en effet, que le fait d’associer les journalistes aux choix éditoriaux est de nature à garantir la qualité et le pluralisme de l’information.
Vous estimez que "le respect d’un code de déontologie pourrait être une condition au bénéfice des aides de l’État". Sur cet aspect aussi, le SNJ est en première ligne. Il a actualisé sa charte d’éthique professionnelle en 2011 et a lancé un appel en octobre dernier pour la création d’une instance de déontologie, adossée à la commission de la carte.
Vous saluez "la mise en place d’incitation, sous forme de bonifications, aux entreprises de presse ayant engagé des efforts particuliers (...) en matière de responsabilité sociale, de développement de la formation". Nous souhaitons, nous aussi, que les aides à la presse fassent l’objet d’une contractualisation et d’une transparence totale.
Mais, pour défendre le pluralisme de l’information, clé de voûte de la démocratie, nous voulons que ces aides s’inscrivent à l’intérieur d’un pacte social, véritablement contraignant pour les éditeurs.
Nous souhaitons :
– que leur attribution soit assujettie à un réel souci de préservation des emplois (le nombre de cartes de journalistes est en diminution) et de maintien de la diversité des titres ;
– que cette attribution prenne en compte les conditions de travail des salariés en termes de gestion des compétences et de formation (l’accompagnement numérique que vous évoquez, par exemple, passe à notre avis par des équipes ayant reçu de réelles formations, gages de qualité de l’information), de lutte contre la précarité (l’absence de tarifs de rémunération à la pige pèse de manière forte sur les plus fragiles d’entre nous), d’égalité hommes/femmes, plus largement de respect du droit du travail, des conventions collectives et du dialogue social à l’intérieur de l’entreprise ;
– et enfin que cette attribution soit conditionnée à un engagement loyal des employeurs et de leurs organisations au sein des structures paritaires de la profession. À cette fin, nous souhaitons qu’un bonus-malus social soit instauré, basé sur des critères objectifs, qui permette de sanctionner, positivement ou négativement, l’attitude des employeurs. Et nous demandons, évidemment, à être partie prenante à ce dispositif.
C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, Monsieur le Député, que les aides à la presse retrouveront toute leur raison d’être et toute leur signification.
Anthony Bellanger (Premier secrétaire général)