Le 30 novembre 2012, Grazia met en ligne sur son site un article dont les premières lignes, sous forme de témoignage, donnent le ton : « J’étais enceinte de six mois quand j’ai compris que quelque chose clochait : je ne sentais plus mon bébé bouger. Quand les médecins ont posé les patchs de l’électrocardiogramme, son cœur ne battait déjà plus. Mon fils est mort de faim dans mon ventre. Et c’est ma faute : même enceinte, je voulais garder ma ligne à tout prix ».
Ce témoignage dramatique sert d’introduction à un article traitant d’un problème qui serait de plus en plus répandu chez les femmes enceintes, et que résument le titre et le chapeau suivants :
Et la journaliste du magazine de convoquer divers témoignages relatant les dangers de cette obsession de la minceur, dont celui de « Pascale Zrihen, psychologue spécialisée dans les troubles alimentaires, qui tient “le star system et la société hyperféminisée pour responsables” ». Grazia associerait-il sa voix aux nombreuses féministes et médecins dénonçant la « dictature de la maigreur » ? À première vue, oui. Mais seulement à première vue…
Quelques semaines plus tôt, le même magazine publiait en effet sur son site un article d’un tout autre genre, classé il est vrai dans la rubrique « Beauté » et non dans la rubrique « Société », à la différence de celui que nous venons d’évoquer. De quoi traitait cet article ? La réponse en images :
Vous avez bien lu. « Garder la ligne », c’est-à-dire la même expression que celle employée par la jeune femme témoignant dans le premier article cité, qui a tragiquement perdu son enfant : « je voulais garder ma ligne à tout prix ». Poursuivons la lecture : « Si Heidi Klum et Adriana Lima exhibent une silhouette parfaitement harmonieuse durant leur grossesse et affichent un corps de rêve peu de temps après l’accouchement, pour le commun des mortelles c’est un exercice un peu plus délicat ». Et Grazia de donner de bons conseils à celles qui rêvent de « garder la ligne à tout prix ».
Maladresse ? Cynisme ? Incompétence ? Nul ne le sait. Mais le moins que l’on puisse dire est que la publication consécutive de ces deux articles est pour le moins malvenue. À moins que l’article sur les dégâts occasionnés par l’obsession de la minceur ne soit un tardif « contrepoint » apporté à l’article donnant des conseils minceur ? Mais si tel était le cas, pourquoi ne pas admettre explicitement l’erreur, voire présenter des excuses aux lectrices ?
Cet épisode démontre en réalité, une fois de plus, que « le star system et la société hyperféminisée » ne sont pas les seuls responsables de l’imposition de normes et de comportements qui ne se contentent pas d’assigner les femmes à des fonctions sociales rétrogrades, mais qui mettent également parfois leur vie en danger, quand ce n’est pas celle des futurs enfants.
Les prétendus « magazines féminins » comme Grazia jouent eux aussi un rôle dans la diffusion de ces normes, quitte à flirter tragiquement avec l’absurde en reconnaissant, sans le vouloir, la dangerosité de certaines d’entre elles. Mais il est malheureusement peu probable que la vie ou l’intégrité physique et mentale de ses lectrices préoccupe le magazine Grazia et l’empêche, à l’avenir, de distiller ses « bons conseils ».
Après tout, les temps sont durs, et il faut bien vendre.
Julien Salingue
P-S : Quelques heures après la publication de cet article, celui de Grazia donnant des conseils pour garder la ligne lorsque l’on est enceinte a brusquement disparu du site du magazine. Aveu de culpabilité ? Sans doute. Il ne reste plus qu’à communiquer à ce propos... (Acrimed, 10 décembre, 15h30).
P-S 2 : Le lendemain de la publication de cet article, celui de Grazia est réapparu, mais dans une version considérablement modifiée et expurgée. Voir notre commentaire sur ce bidouillage. (Acrimed, 12 décembre)
Annexe : Comment s’élabore (parfois) un article d’Acrimed