Rappel des faits : en juillet 2008, Charlie Hebdo publie une chronique de Siné dans laquelle celui-ci dénonce le prétendu opportunisme religieux de Jean Sarkozy. Extrait : « il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » S’en suit une véritable fronde contre le caricaturiste qui mène à son licenciement de Charlie Hebdo pour cause « d’antisémitisme ».
Une grande partie des patrons de presse, des éditocrates et des philosophes de télévision ont alors soutenu Philippe Val – directeur de l’hebdomadaire – dans sa purge anti-Siné. Ainsi, Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler, Claude Askolovitch, Pascal Bruckner, Robert et Élisabeth Badinter, Laurent Joffrin... mais aussi Dominique Voynet ou Bertrand Delanoë n’hésitent pas à prendre leur plume pour attaquer Siné. La plupart de la rédaction de Charlie Hebdo se range même derrière Val dans cette affaire [1]. Pourtant, pour qui connaît un peu Siné et son œuvre, l’accusation d’antisémitisme est dénuée de fondement et même complètement farfelue. Ainsi que nous le rappelions en 2008 dans un article de soutien à Siné [2], ce licenciement est donc une véritable atteinte à la liberté d’expression.
Depuis, que s’est-il passé ? Philippe Val quitte Charlie Hebdo en 2009 pour prendre la direction de France Inter et renvoyer quelques chroniqueurs encombrants [3]. Il laisse la gestion de l’épave satirique à Charb qui n’a pas brillé par son courage dans cette affaire comme nous l’écrivions dans notre article sur l’histoire de Charlie Hebdo. En effet, au moment du licenciement de Siné, Charb était rédacteur en chef adjoint et avait pris parti... contre le chroniqueur, dans un éditorial amphigourique dans lequel il expliquait que Siné avait porté « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo (rires).
Siné de son côté, soutenu par des milliers de personnes, a remonté la pente et lancé un hebdomadaire (Siné Hebdo) en septembre 2008 qui s’est muté en mensuel trois ans plus tard (Siné Mensuel). Mais surtout Siné a gagné. À deux reprises. Une première fois [4], le 30 novembre 2010, quand le tribunal de grande instance (TGI) a rendu un jugement dépourvu de toute ambiguïté : « Il ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Maurice Sinet sont antisémites, (…) ni que celui-ci a commis une faute en les écrivant (…). [De plus,] Il ne pouvait être demandé à Siné de signer et faire paraître une lettre d’excuse ». Charlie Hebdo (plus précisément la société Les Éditions Rotatives) a été condamné à verser 20 000 euros à Siné pour rupture abusive de contrat. En outre, pour le TGI, « la médiatisation de la rupture et le caractère humiliant de son annonce apprise en même temps que les lecteurs par la publication du numéro du 16 juillet 2008, ont causé à Siné un préjudice moral qu’il convient d’indemniser en lui allouant la somme de 20 000 euros ». Soit un total de 40 000 euros auquel il faut ajouter 5 000 euros de frais de justice.
Pourtant Charlie Hebdo a préféré faire appel. Et c’est ainsi que Siné vient de remporter une deuxième victoire, avec un jugement encore plus terrible pour l’hebdomadaire :
« Charlie Hebdo est condamné une nouvelle fois par la justice à verser des dommages et intérêts au dessinateur Siné pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal depuis 16 années. L’hebdomadaire dirigé par Charb devra également publier sur la couverture, un communiqué judiciaire sur un bandeau de 15 centimètres de haut sur toute la largeur sous peine d’astreinte de 2000 € par semaine. La cour d’appel de Paris par un arrêt du 14 décembre 2012 confirme ainsi le jugement de tribunal de grande instance de Paris du 30 novembre 2010. La cour condamne le journal à verser 90 000 € de dommages et intérêts et 15 000 € pour les frais de justice au lieu des 40 000 € et des 5000 € attribuées lors du premier jugement. » (extrait du communiqué de presse de Siné) [5]
Nous rappelions qu’au moment du premier jugement, les juges médiatiques de Siné (nommés plus haut) n’avaient pas fait la publicité de cette condamnation... Cette fois-ci, le silence est assourdissant.
À l’époque des faits, Laurent Joffrin, alors directeur de Libération, mais également proche de Philippe Val, s’était fendu de deux articles qui ne faisaient pas preuve d’une grande honnêteté intellectuelle. Dans le premier il n’hésitait pas à comparer la phrase de Siné aux œuvres complètes de Drumont, Maurras ou Brasillach. Dans le second, que nous avions décrypté en long et en large ici-même, il accumulait les insinuations, multipliait les omissions et surtout, réécrivait l’histoire. Maintenant que Siné a gagné deux fois, Joffrin, parti de Libération pour Le Nouvel Observateur, a choisi le silence. Quant au nouvelobs.com, il s’est contenté de reproduire le communiqué de l’AFP annonçant la victoire de Siné... sans rappeler les virulentes prises de position de Joffrin.
Les éditocrates ont la mémoire courte... ou la mémoire sélective.
Mathias Reymond