Entre le 11 et le 18 janvier, dans les JT de TF1, le journalisme d’information est resté, bon gré mal gré, un journalisme d’accompagnement, et ce, non seulement parce qu’il a tenu pour acquis que la guerre était légitime, mais plus prosaïquement parce qu’il a suivi le déploiement d’une armée qui interdit tout accès aux zones de combat et délivre plus que chichement des éléments sur les opérations qu’elle mène. Ce journalisme est resté un journalisme de remplissage qui, à défaut d’informations et d’enquêtes véritables, « fabrique » de « l’information » : une « information » à la fois pauvre, répétitive, imprécise, voire contradictoire, calquée sur la communication gouvernementale, et comme telle, « patriotique ». Du remplissage d’antenne teinté de propagande en quelque sorte. Mais le journalisme de JT, par temps de guerre, peut-il proposer autre chose ?
I. Un journalisme d’accompagnement ?
(1) Pris de court par une opération militaire que rien n’annonçait jusque-là, les journalistes de TF1, pendant les deux premiers jours, adoptent la présentation des évènements qu’en donnent les autorités françaises.
Dès le 12 janvier, Claire Chazal ne se soucie guère de mettre en question les éléments d’explication fournis par l’état-major et le gouvernement : « de nombreux groupes terroristes sont déployés en Afrique et dans le nord du Mali, on l’a vu à l’instant. Ces groupes proches d’Al Qaeda gagnent du terrain, d’où l’opération de la France », « la France a répondu à la demande des autorités de Bamako, elle a donc lancé l’opération baptisée Serval, elle sera d’ailleurs rejointe dès demain par d’autres pays africains », « l’engagement en vertu des résolutions des Nations unies se fait par voie aérienne et terrestre au côté des forces maliennes pour contrer l’avancée des islamistes ». L’absolue nécessité de l’engagement français, son opportunité, sa légitimité et sa légalité internationales sont donc présentées comme indiscutables et ne seront d’ailleurs jamais discutées, du moins pendant la première semaine de la guerre…
Dans le 20h du 13 janvier, la contribution d’autres forces à l’intervention française est présentée comme d’ores et déjà acquise.
- Selon Claire Chazal : « 550 militaires français déjà présents, d’autres unités des forces spéciales devraient les rejoindre rapidement, de même que des soldats africains du Nigéria et du Togo ; les États-Unis et la Grande-Bretagne ont, eux, annoncé leur soutien technique et matériel alors que l’Algérie a autorisé le survol de son territoire par les avions français »,
- De son côté, Patricia Allémonière, en direct depuis Bamako a du mal à cacher son enthousiasme devant le leadership français : « Des forces africaines devraient compléter le dispositif, des soldats venus du Sénégal, du Bénin, du Niger, du Nigéria sont attendus sur place, les premiers éléments sont déjà arrivés ici. En fait l’offensive islamiste a permis quelque chose qui paraissait impensable il y a encore une semaine : mobiliser la communauté internationale derrière la France pour déloger les djihadistes du nord Mali ».
- Quant à Michel Scott, grand reporter au service étranger, il joue en plateau le rôle de « l’expert », et son optimisme sur la suite des opérations fait plaisir à entendre, même s’il met quelques bémols sur l’imminence de l’arrivée des renforts africains : « la puissance de feu aérienne qui a été déployée ces dernières heures […] va ouvrir un boulevard aux forces maliennes pour reconquérir ces trois grandes villes du nord du Mali, à charge pour elles de se lancer dans cette reconquête avec l’aide pays amis, de pays africains, mais ça ce n’est peut-être pas pour tout de suite… »
Peu importe en l’occurrence que ces prévisions soient ou non ultérieurement vérifiées : ce qui fait problème c’est qu’elles reposent exclusivement sur la communication gouvernementale qu’elles épousent sans le dire…
… Jusqu’au moment où, le 15 janvier, sur cette délicate question du soutien international, le commentaire s’abrite derrière les propos du président français : « avec le soutien des pays africains et celui des européens, François Hollande se dit confiant dans les capacités des forces françaises à agir rapidement ». Or, le 16, les renforts africains pourtant annoncés depuis trois jours sur TF1 se font toujours attendre et leur arrivée est encore repoussée : « la force ouest-africaine qui doit prendre le relais de des forces françaises accélère sa mise en place, les premiers éléments de cette force de 3300 hommes sont attendus au Mali dans 48h ».
Quel crédit peut-on accorder à des prévisions toujours reportées et présentées sans grande prudence ? Des informations floues qui minent la crédibilité des autres informations. Et cela d’autant plus que ces reports successifs semblent subitement saper le moral et la confiance des journalistes de TF1 qui s’impatientent du peu d’évolutions sur le terrain et s’inquiètent…
Déjà, le 14 janvier, le présentateur du 20h, Gilles Bouleau, s’était rendu compte que « ce n’est pas une simple opération de police mais bien une guerre qui se déroule à 4000 km de Paris » ; le 17 janvier, il pouvait donc annoncer, avec gravité, le « 7e jour de guerre, une guerre d’usure », tandis que Patricia Allémonière, si enthousiaste et confiante quatre jours auparavant poussait ce cri d’alarme : « Enfin ce qu’il faut voir au-delà de toutes ces informations Gilles, ce qui compte le plus ce soir, c’est que ces djihadistes, ces islamistes armés, sont décidés à se battre jusqu’au bout, la partie ne sera pas facile, la France ce soir est bien seule et elle a besoin de renforts ».
(2) En cinq jours, l’intervention militaire de la France en compagnie d’alliés déjà mobilisés est donc devenue un âpre conflit dans lequel l’armée française s’est engagée seule ou presque, au moins du point de vue militaire… Le climat d’attente qui a été entretenu aux côtés de « nos » soldats, appesanti par les quelques doutes qui pointent dans les 20h des 17 et 18 janvier sur les difficultés de cette guerre et le déficit de soutien militaire d’autres pays a laissé en suspens bien d’autres questions, autrement décisives…
En effet, l’empressement des journalistes à se porter au côté de l’armée française, à grand renfort d’informations hasardeuses, a interdit, du moins provisoirement et dans les JT, non seulement de s’interroger sur la nature de cette guerre, mais plus simplement de fournir des informations qui permettent de répondre à ces interrogations : l’avancée des « groupes terroristes » sur le territoire malien justifiait-elle l’empressement de la France à intervenir ? quelle forme a pris la sollicitation des autorités de Bamako ? que dit exactement la résolution de l’ONU sur la base de laquelle l’armée française prétend intervenir ?
L’intérêt quasi exclusif porté au déploiement militaire de « nos » soldats et de ceux qui devaient les rejoindre a évacué, du moins des JT de TF1, toute information sur la situation politique au Mali (instable depuis plusieurs années, secoué récemment par un coup d’État et dirigé par un président de transition). Comment dans ces conditions se faire la moindre idée sur l’opportunité et l’efficacité d’un engagement de longue durée de la France dans son ex-colonie, comme sur les significations politiques qu’il pourrait revêtir ? Comme s’il allait de soi que nous n’avions pas affaire à une nouvelle version de la « Françafrique »...
Quand des bribes d’informations sur cette situation politique sont mentionnées, elles sont rendues incompréhensibles. Ainsi, dans le 20h du 14 janvier deux « analyses » tout à fait contradictoires se succèdent en quelques minutes. Une première envoyée spéciale déclare : « Tout aussi inquiétant et c’est des Maliens qui nous l’ont dit, eh bien c’est le vide du pouvoir, ils ont l’impression que leur pays n’est plus dirigé, qu’il va à la dérive ». Cette inquiétude semble contredite par le reportage à Bamako qui suit et dont le commentaire affirme que « Dioncouda Traoré président par intérim s’est mué en chef de guerre », ou qu’avec un « vocabulaire guerrier et conviction retrouvée, un vent de détermination et de patriotisme souffle sur le Mali ».
Enfin, l’état réel de l’armée malienne reste une grande inconnue… Il est sans cesse rappelé par les journalistes de TF1 que la France se contenterait de l’« appuyer », de se tenir « à ses côtés », mais aucun de ses officiers n’est jamais invité à s’exprimer. Plus problématique, Michel Scott, l’expert maison, ne semble pas prêter à cette armée un grand rôle dans les manœuvres à venir quand il affirme qu’« il va falloir aider les troupes africaines à lancer cette reconquête ». Par ailleurs, un reporter qui rencontre une unité à un check-point émet des doutes sur ses capacités opérationnelles : « ils affirment vouloir se battre mais il y a moins de 48h l’armée malienne abandonnait aux djihadistes la ville de Diabali toute proche » ; dans un autre reportage auprès de quelques soldats tenant une position à une trentaine de kilomètres du front, le commentaire moque « l’armement du lieutenant, les incontournables kalachnikov, une 14,5 de fabrication russe et… c’est tout », et ricane : alors que « tout semble calme eux ne le sont pas complètement … ».
Débauche de prévisions aléatoires sur le déploiement militaire et maigreur des informations précises sur le contexte politique : seul le légitimisme patriotique y trouve son compte.
II. Un journalisme de remplissage ?
Les questions d’opportunité et de légitimité du conflit mises de côté, celles relatives au contexte local étant si peu et mal traitées qu’on eut préféré qu’elles ne le soient pas du tout, les informations sur les opérations proprement militaires et leurs bilans étant inaccessibles, que restait-il à dire et à montrer pour accorder à cette guerre française la place exceptionnellement large qu’elle méritait dans le JT ?
(1) Loin des combats - Dès le 12 janvier, une interview aussi inoubliable qu’indispensable « pour mieux comprendre d’où viennent certains éléments de l’armée française » mettait en scène Ludovic Romanis seul devant l’entrée de la base de Saint-Dizier, de nuit, sans qu’aucune activité soit perceptible… Ce dernier, après une enquête et des déductions audacieuses justifiait ainsi sa présence sur place et en direct : « La base connait une effervescence toute particulière, des voitures arrivent en permanence, il y en a eu plus d’une centaine en moins de 3 heures, mais il y a eu aussi des convois militaires. Nous avons l’impression que cette base est placée en pré-alerte… La France compte au total 111 rafale, 50 ici à Saint-Dizier, d’autres basés à Mont-de-Marsan, donc s’il y a des renforts qui vont être envoyés en Afrique, ils le seront fatalement d’une de ces deux bases françaises ».
Le lendemain, les journalistes de TF1 sont déjà arrivés au Mali. Précisons immédiatement que ce ne sont ni leur courage, ni, du moins a priori, leur volonté d’informer qui sont ici en cause, mais l’incitation à fournir des reportages sans avoir accès à d’autres sources que celles que les militaires leur concèdent.
Le 14 janvier les journalistes de TF1 sont donc au Mali et rien ne nous est épargné des scènes de débarquement, de vérification ou de rangement des équipements, des militaires se brossant les dents, mangeant dans des gamelles en fer blanc, ou se reposant en groupes à l’ombre d’un hangar, des allées-venues des avions cargo, du réglage des canons des chars ou de la fixation des bombes sous les ailes des Mirage, avec au passage l’inévitable promotion du made in France avec le « blindé Sagaie, rapide et malléable [sic] dans le désert »… Le 14 janvier, les reportages arrivent de Bamako comme celui qui montre, micro-trottoir à l’appui, avec interview d’un vendeur de drapeaux ambulant et d’un passant, que « les drapeaux du pays et ceux de la France ont fait leur apparition dans la rue, ils pullulent sur les trottoirs ».
Le 15 janvier, enfin, Gilles Bouleau peut affirmer : « Une de nos équipes s’est approchée de cette ligne de front, là où les forces spéciales françaises et les rebelles islamistes s’affrontent ». Le reportage qui suit fait monter la tension d’un cran : « Nous sommes en zone rouge interdite, les check-point se succèdent, les autorisations données par les autorités ne suffisent pas, nous sommes escortés auprès du commandant de zone ». Après avoir repris la route, les journalistes rencontreront les mêmes difficultés avec leurs accréditations dans une autre localité, et termineront leur reportage en étant parvenus à « voler ces quelques images ; interdit de filmer les militaires, l’heure est à la contre-offensive »…
Trois jours plus tard, dans le 20h du 18 janvier, nouveau reportage qui n’apprend rien d’autre que les tribulations des « premiers journalistes français sur place, non loin des combats », cette fois à Mopti, que Patricia Allémonière a rejoint en passant par « une route quasi déserte que nous avons dû emprunter et sur près de 400 km nous n’avons croisé aucun, aucun camion. Il nous a fallu montrer patte blanche aux nombreux gendarmes et militaires nerveux qui gardaient les barrages que nous avons finalement franchis. Chaque fois nous avons dû parlementer […] Mopti c’est aussi sa base aérienne où sont basées les forces spéciales françaises qui partent combattre les djihadistes. Mais cette base nous est ce soir totalement fermée . »
Le 16 janvier, même scénario : les reporters du 20h remontent jusqu’à « la ville stratégique de Markala à 250 km au nord de Bamako » avec une colonne de blindés français. Après quelques images de la route de nuit, on aperçoit « au petit matin » le pont que les militaires français doivent tenir. On y apprend que « l’ennemi restera invisible et lointain, les Français statiques et prêts à réagir, au soulagement de la population. Officiellement, seules les forces du COS, le commandement des opérations spéciales, combattent au sol, celles précisément dont le ministère de la Défense refuse systématiquement de parler », et l’envoyé spécial précise même : « Ces commandos rayonnent pourtant à partir de cette caserne, nous pouvons même les croiser sans avoir bien sûr le droit de les filmer ; je peux juste vous dire grâce à une indiscrétion radio qu’ils sont une quarantaine vraisemblablement avec une dizaine de véhicules, cela sans compter évidemment les autres équipes qui opèrent dans le reste de l’immensité malienne ».
Le 17 janvier encore, c’est à Diabali, à 30 km de « la ligne de front », « donc très près », que l’envoyée spéciale de TF1 a « vu beaucoup de forces spéciales françaises, elles étaient dans cette localité, elles travaillaient avec l’armée malienne, mais comme vous pouvez l’imaginer elles ne nous ont pas fait de confidences, surtout à des journalistes »…
(2) Sans images - S’ils n’apprennent rien sur la réalité de la situation dans les zones où ont lieu les combats, et bien peu de choses sur les conséquences du conflit dans le reste du Mali, ces reportages ont l’immense mérite d’avoir permis à TF1 de se constituer, à partir du 16 janvier, un stock d’images « fraîches » – quitte à en faire un usage pour le moins… discutable : ainsi des plans du pont de Markala qui, dans le 20h du 17 janvier, servirent d’illustration pendant l’interview de Patricia Allémonière, intervenant en direct de… Ségou !
Entre le 12 et le 16 janvier, la pénurie d’images originales était telle que les mêmes images d’archives ont illustré, en boucle, les comptes rendus des opérations militaires – lesquels relayaient les déclarations souvent vagues de l’état-major ou du ministre de la Défense français – : des officiers autour de cartes à l’état-major de l’armée de l’air, les décollages et les atterrissages, de préférence de nuit, d’avions de chasse, des Mirage en vol au-dessus d’un paysage désertique, des hélicoptères de combat, à peine visibles, très haut dans le ciel alors « qu’ils partent ou reviennent des combats », les rues de Gao et son gouvernorat, des pick-up armés de mitrailleuses lourdes et arborant un drapeau noir attribué aux islamistes, des hommes ayant l’allure de Touaregs portant des kalachnikov et présentés comme des djihadistes, un homme fouetté par de supposés islamistes, ou encore deux des chefs des groupes qui contrôleraient le nord du Mali, Abou Zeid « l’émir d’Aqmi » et « celui que l’on surnomme le barbu rouge ». Aucune de ces images n’étaient datées et sourcées… Mais elles avaient au moins le mérite d’agrémenter un recours massif à l’infographie qui prétendait rendre compte des manœuvres militaires en faisant apparaître des symboles d’explosion sur des cartes satellite du Mali…
Autre conséquence de la volonté de remplir l’écran quand les images et surtout les informations font défaut : le recours à des sources sinon farfelues, du moins invérifiables et soustraites à toute tentative de recoupement... Ainsi, le 16 janvier, c’est un site internet mauritanien dont on ne dit rien au téléspectateur et dont les pages, en arabe, défilent à l’écran, qui est cité pour mettre en doute les déclarations de l’armée malienne selon lesquelles la ville de Konna était reprise. Et les reporters en sont réduits, pour les JT du 16 et du 18 janvier, à s’en remettre à un chauffeur de bus « habitué à faire la route depuis Gao » ou encore au directeur de la radio de Markala « qui a de la famille dans le nord » pour glaner quelques maigres informations de première main sur la situation qui prévaut dans la zone où se déroulent les combats…
(3) En guise de contexte ? - On le voit, les équipes de journalistes de TF1 disposent d’un vrai savoir-faire pour produire de « l’information », si peu informative soit-elle, à partir de… pas grand-chose ! Pourtant, même ces expédients à partir d’images d’archives, de micros-trottoirs à Bamako ou dans la communauté malienne de Montreuil et de reportages dans des régions du Mali où il ne se passe rien en rapport avec la guerre, ont aussi leurs limites. C’est alors en France que les limiers du 20h trouvent leur salut, quitte à s’éloigner encore un peu plus de l’objectif d’informer les téléspectateurs sur le déroulement de cette guerre…
Ajoutant une pincée de voyeurisme et de drame humain dans les JT, les angoisses des familles des sept otages détenus depuis de longs mois dans le nord du Mali offrent un sujet facile… C’est ainsi que le 12 janvier, puis à nouveau le 18, la détresse et les espoirs de différents proches des otages étaient complaisamment exposés et qu’étaient diffusés, puis rediffusés, des extraits d’un entretien avec Pierre Camatte, enlevé au Mali et détenu par Aqmi entre novembre 2009 et février 2010. Pour parachever le tout, le 15 janvier, Michel Scott qui, selon le présentateur connaît « le Mali et [connaît] les coulisses de cette guerre », venait expliquer que pour les otages « le risque est là et il est évident », mais que « l’intervention française au Mali peut avoir toutes sortes de conséquences pour les otages y compris les meilleures ». Avec de telles analyses, les risques d’être démentis sont faibles…
Comme il aurait été dommage de ne pas profiter d’un tel contexte pour entretenir la crainte de l’islamisme radical et du terrorisme en France, le 20h du 15 janvier gratifie ses spectateurs d’un sujet annoncé ainsi : « les djihadistes du Mali disent vouloir frapper le cœur de la France, faut-il prendre cette menace au sérieux, Pierre Baretti et Laure Debreuil ont enquêté » et qui traite du cas… d’un Tunisien arrêté en juillet 2012 parce qu’il administrait un site Internet djihadiste ! En prime, pour qui n’aurait jamais vu un webmaster d’Al Qaeda au travail, TF1 proposait cette reconstitution époustouflante en images de synthèse …
(4) Au premier plan - Enfin, last but not least, c’est la mue de François Hollande au cours de ces quelques jours qui retient l’attention des journalistes de TF1 – comme de toute la profession d’ailleurs… La magie de la guerre aurait ainsi transformé un président indécis et inconstant en homme d’État assumé et intransigeant ! La transformation aurait commencé le 15 janvier lorsqu’en visite sur une base militaire d’Abu Dhabi, François Hollande se présente « dans les habits du chef de guerre » et qu’« en chef des armées il ne mâche pas ses mots ». À tel point que le journaliste se demande : « ce baptême du feu a-t-il changé François Hollande, lui à qui certains ont reproché de ne pas savoir trancher ? ». Et dès le lendemain, le doute n’est plus permis. Christophe Jakubyszyn, en charge du service politique de TF1 et LCI, invité en plateau pour l’occasion l’affirme : « il assume et il tranche, les Français donc découvrent à cette occasion depuis quelques jours un nouveau président, excusez-moi encore d’utiliser une expression militaire, droit dans ses bottes, comme si la gravité de la situation militaire lui avait fait tout d’un coup accepter d’endosser ce costume de président qu’il semblait jusqu’à présent, parfois, rechigner à endosser [...] François Hollande aime toujours la discussion, le débat, le compromis, mais on le découvre aujourd’hui, il aime aussi trancher quand il y est acculé, quand il n’a pas le choix finalement et apparemment son bras dans ces cas-là ne tremble pas. »
Plutôt que d’informer modestement sur les difficultés, voire l’impossibilité d’informer sur la dimension militaire de l’intervention française au Mali, TF1 a donc préféré pendant toute une semaine faire comme si elle était en position de fournir une information de première main, fiable et de nature à éclairer sur le déroulement des opérations en cours.
Déplorant à plusieurs reprises de couvrir « une guerre sans images », les journalistes ne se sont jamais attardés sur l’absence d’informations, pourtant autrement plus gênante pour l’exercice de leur métier… Dépendants des sources militaires et gouvernementales françaises, ils ont à peine questionné le récit qu’elles leur faisaient des modalités politiques, juridiques et internationales de l’entrée en guerre de la France. Pour combler l’absence d’images récentes, ils ont utilisé des images de propagande de l’armée française et fait tourner pendant plusieurs jours des montages d’archives censés agrémenter un recours massif à une infographie n’apportant rien au propos.
Envoyant de nombreux journalistes « sur le terrain », TF1 les condamnait d’avance à produire des reportages qui, marchant sur les traces des militaires français, puis maliens (sans pouvoir, et pour cause, placer leurs caméras du côté des fanatiques d’en face), ne diraient des opérations militaires que ce que l’armée leur laisse dire et voir après coup. Pourtant, au lieu d’en profiter pour enquêter sur la société malienne, sur ses structures, son économie, son histoire récente et ses difficultés, ils sillonnèrent les régions dans lesquelles ils étaient à peu près libres de se déplacer, cherchant le « scoop » au plus près d’un front qu’ils ne pouvaient pas même approcher. Ils ne feront que croiser quelques pick-up de soldats maliens en armes, quelques blindés français et des membres des forces spéciales qu’ils ne pouvaient ni filmer, ni interroger… Mais en contrepartie, ils ramèneront quelques images pittoresques de diverses localités, des scènes de rue de Bamako, et des plans de soldats français « sur zone » utilisables dans les JT suivants.
Tant et si bien qu’un téléspectateur qui aurait cherché à s’informer sur cette guerre au Mali en se contentant de suivre les JT de TF1 n’en saurait presque rien… Pas même que les journalistes qui, depuis Paris comme depuis le Mali, prétendent l’informer, ont toutes les peines du monde à collecter les maigres informations qu’on lui livre !