Accueil > Critiques > (...) > Nouveau gouvernement, nouvelles mobilisations (2012-2017)

L’interrogatoire de trois syndicalistes par Jean-Pierre Elkabbach (avec vidéo)

par Henri Maler, Naïma Benhebbadj, Yannick Kergoat,

« L’interview de 8 h 20 de Jean-Pierre Elkabbach », en direct sur Europe 1, nous a offert, le 4 février 2013, une des meilleures prestations récentes d’un des plus anciens des « nouveaux chiens de garde ». Il s’était même déplacé puisque, ce matin-là, son interview était retransmise en direct d’Aulnay-sous-Bois, de Chez David, restaurant qui se trouve, nous a-t-on précisé, « à quelques encâblures de l’usine PSA d’Aulnay, qui doit fermer ses portes en 2014 ». Étaient invités Jean-Pierre Mercier (délégué CGT de PSA Aulnay), Mickaël Wamen (CGT de Goodyear) et, au téléphone, Édouard Martin (CFDT Arcelor Mittal).



Dès l’entame, le ton était donné par le maître de céans : « En direct avec nous, trois stars du syndicalisme de combat pour des industries mises à mal par l’inadaptation à la compétition européenne et mondiale. » Inadaptation ? Nos trois syndicalistes furent donc invités à s’adapter par une star qui peut effectivement se vanter d’être hyper-adaptée à une compétition médiatique où seuls les plus veules triomphent…



Trois entretiens ? Que nenni : trois interrogatoires.

Ne tardons pas plus longtemps et offrons à l’internaute avide quelques extraits de cette émission menée par un directeur des ressources humaines conduisant des entretiens d’embauche. Ou par un capitaine de gendarmerie.
Les extraits choisis l’ont été pour mettre en évidence ce que peut un Elkabbach. Ils ne font pas ressortir la force des réponses des syndicalistes, qui ne se laissent pas faire.

Reprenons notre souffle. Généreusement, Acrimed vous offre la transcription intégrale en fichier.pdf…

… Et vous invite à lire posément quelques morceaux choisis.

I. Face à Jean-Pierre Mercier (CGT PSA)

De violents extrémistes ?

D’entrée, Jean-Pierre Elkabbach interroge et gourmande, perfidies à la clé, non un délégué syndical mais le chef d’une bande de délinquants. Mais d’abord, chefaillon d’une presse caporalisée, Elkabbach cauchemarde le mouvement social comme il souhaiterait sans doute que fonctionne une rédaction !

- Jean-Pierre Elkabbach : « Et nous sommes à Aulnay, ce territoire qui souffre, qui s’angoisse et qui espère quand même. Jean-Pierre Mercier (CGT PSA), l’usine PSA Peugeot Citroën, qui en était réduite à fabriquer en moyenne 700 voitures par jour, en produit moins de 100 maintenant. Ce matin, est-ce que vous avez ordonné la poursuite de la grève aux vôtres ?  »
- Jean-Pierre Mercier : «  Tout d’abord, je n’ordonne rien du tout. Ce sont les salariés qui décident… »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Bien sûr, bien sûr…  »
- Jean-Pierre Mercier : « … de ce qu’ils font en assemblée générale. Et ils ont décidé de voter la grève reconductible avec occupation. Et depuis hier, c’est zéro voiture qui sortent de l’usine… »
- Jean-Pierre Elkabbach (en père sévère) : «  Et vous en êtes fier ?  »
- Jean-Pierre Mercier : « Heu… Bien sûr ! Fier de ce mouvement, fier de faire cette grève. Parce que c’est énormément de courage, pour faire grève. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Neuf dixièmes des salariés, avec à leur tête le syndicat majoritaire, sont dans les ateliers, voudraient entrer dans les ateliers et travailler, amputer ni leurs droits, ni leur salaire… »
- Jean-Pierre Mercier : «  Ils peuvent… ils peuvent…  »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  … Pourquoi les en empêcher ? S’ils ont envie de travailler, s’ils ont besoin de travailler ?  »
- Jean-Pierre Mercier : « Non. Monsieur Elkabbach, il faut… Moi, je vous invite à venir. Là, on est à quelques kilomètres de l’usine. Tous les non-grévistes qui veulent venir, ils peuvent venir. La grève, vous savez, elle est suffisamment forte pour que les chaînes de production ne puissent pas tourner. Ça, c’est un fait ! »

Suit un échange sur les soutiens politique éventuels ; Mercier évoque les insultes et les calomnies de la direction, ainsi que le recours à la Sûreté territoriale par la direction pour réprimer le mouvement. Elkabbach réagit immédiatement, par un rappel à l’ordre.

- Jean-Pierre Elkabbach : «  Mais est-ce qu’on ne peut pas, à l’intérieur de l’usine, utiliser moins de boulons, de pétards et d’œufs ?  »
- Jean-Pierre Mercier : « Il n’y a eu aucun boulon à l’intérieur de l’usine qui a été utilisé ! Je le nie en bloc. […] »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Oui, mais vous êtes 200 ou 300 grévistes, et il y a… »
- Jean-Pierre Mercier : « 480 exactement, oui. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Oui, et il y a 2 800 salariés ! C’est-à-dire cinq fois plus, qui ont envie, peut-être, de travailler. [Elkabbach lève immédiatement une main en signe d’opposition à la tentative de réponse de Mercier] Non, mais ça c’est autre chose ! La contestation, Jean-Pierre Mercier… [Mercier rit devant la malhonnêteté et le culot du procédé]… est utile. Mais les cris, les invectives, les menaces, les coups le sont beaucoup moins ! [À l’image un plan sur le visage de Mercier, qui se décompose devant le commentaire d’Elkabbach] On vient d’entendre Arnaud Montebourg… »
- Jean-Pierre Mercier : « Mais je peux vous laisser dire…Vous voyez, là, moi je vous ai répondu, et puis vous avez le dernier mot ! Non  ! »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Je n’ai pas le dernier mot, parce qu’on parle… »
- Jean-Pierre Mercier : « Je dis ça ne s’est pas passé comme ça. Ça ne s’est pas passé comme ça.  »

Et après un long échange où il est question du refus de Montebourg de débattre (et de répondre à l’invitation d’Europe 1), vient le moment d’en appeler à l’acceptation de la « solution » préconisée par… l’accusateur.

Des syndicalistes irréalistes ?

- Jean-Pierre Elkabbach : « […] À Paris, les syndicats majoritaires sont en train, aujourd’hui, de rédiger un accord final avec la direction. Pourquoi vous n’êtes pas là plutôt, pour essayer de trouver des solutions, puisqu’on nous dit que la plupart… »
- Jean-Pierre Mercier : «  Les solutions, alors… »
- Jean-Pierre Elkabbach : « … des salariés auraient pu trouver des emplois de reclassement. Et pas loin d’ici ! »
- Jean-Pierre Mercier : « Je vais vous répondre… »
- Jean-Pierre Elkabbach (tout en finesse) : « De l’autre côté à Poissy, qui est pas la Sibérie !  »
- Jean-Pierre Mercier : «  La solution, la vraie solution, ça serait de répartir les productions entre toutes les usines du groupe […] ».

Indifférent à la réponse, Elkabbach passe de l’accusation à l’inquisition…

Des politiques manipulateurs ?

- Jean-Pierre Elkabbach : « Quand on lit les tracts distribués par vos amis et qu’on se souvient que vous, Jean-Pierre Mercier, CGT Lutte ouvrière, vous avez été le porte-parole de Nathalie Artaud dans la campagne électorale, on peut penser que vous menez une bataille politique. Dans quel but ? »
- Jean-Pierre Mercier : « Je ne mène pas une bataille politique. Vous savez, on est 3 000 menacés de licenciement. On est 3 000 à refuser… »
- Jean-Pierre Elkabbach (pour la énième fois) : «  Il y en a 2 400 qui acceptent !  »
- Jean-Pierre Mercier : « … à refuser cette fermeture. Et si moi, parce que j’appartiens à Lutte ouvrière, je ne devrais pas faire grève parce que j’appartiens à Lutte ouvrière, excusez-moi, ça pose problème. Et je vous pose la question : est-ce que vous trouvez ça normal que la famille Dassault, qui est présidente du groupe Dassault, puisse être député UMP ? Ça, on ne leur reproche pas ! Par contre, quand c’est un ouvrier qui a un engagement politique, ça, on le lui reproche. Eh bien, ça… »
- Jean-Pierre Elkabbach : « On appelle… »
- Jean-Pierre Mercier : « Ça, excusez-moi, mais c’est ridicule. »

II. Face à Édouard Martin (CFDT ArcelorMittal)

- Jean-Pierre Elkabbach : « On appelle Édouard Martin, qui va prendre son train. Vous êtes toujours avec nous ? »
- Édouard Martin : « Oui, je suis dans le train. » (...)

Porte-voix de la raison éditocratique, Elkabbach invite d’emblée les syndicalistes à négocier, voire à réclamer eux-mêmes les « dur sacrifices », à ses yeux inévitables. Bel exemple de pédagogie de la soumission

Se sacrifier pour se défendre ?

- Jean-Pierre Elkabbach : « Arcelor Mittal négocie avec les syndicats. Est-ce qu’il y a une chance d’aboutir à des accords qui soient acceptables par toutes les parties ? Édouard Martin ? »
- Édouard Martin : « Pour l’instant, on n’est pas dans ce cas de figure. […] si on veut encore une industrie, il faut un véritable plan Marshall pour sauvegarder le tissu industriel. Parce que, regardez, face à la crise, les pays qui s’en sortent le mieux actuellement, ce sont les pays qui ont su garder leur industrie. Or la France, elle laisse faire. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Au prix, Édouard Martin, de sacrifices durs, aux États-Unis ou en Allemagne, pour des plans de restructuration. »

Et Elkabbach d’enchaîner aussitôt sur de nouvelles questions-assertions qui excluent l’intervention de l’État, au nom de la défense des contribuables dont notre éditocrate est le fort libéral défenseur (invitant tacitement à s’en remettre aux desiderata des investisseurs privés…)

- Jean-Pierre Elkabbach : « Vous avez manifesté, vous avez marché, défilé, vous avez discuté avec l’exécutif ! Je regardais, hier soir, sur Public Sénat, un documentaire qui était consacré à la CFDT et à vous. Vous et vos amis, vous avez explosé de joie lors de la victoire de François Hollande ! Est-ce qu’aujourd’hui (vous y aviez cru, alors), vous croyez toujours que la solution passe par l’État et l’exécutif ? »
- Édouard Martin : « Bah, écoutez la solution passe par l’État et l’exécutif, parce c’est le seul, aujourd’hui, instrument politique qui peut enlever un outil à un prédateur comme Mittal […] »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Mais à quels politiques, ce matin, (s’il y a des politiques) vous faites confiance ? Pour trouver des solutions ? »
- Édouard Martin : « Ecoutez, la seule politique à laquelle nous faisons confiance, c’est à la détermination de nos combats ! […] Monsieur Ayrault a eu peur du mot nationalisation. Ça fait peur à beaucoup de monde. Ça devient un gros mot dans la bouche de beaucoup, alors que… »

Nationalisation ? N’écoutant que lui-même (dont on ne dira jamais assez qu’il interroge…), Elkabbach se pose en défenseur des contribuables et ressasse sa solution : reconversion…

- Jean-Pierre Elkabbach : «  Mais, parce beaucoup de gens disent : “On va appeler tous les contribuables pour sauver...” Alors qu’il y a des possibilités de reconversion…  »
- Édouard Martin : « Mais non. Monsieur Elkabbach, de quelle reconversion parlez-vous ? Vous savez, nous avons quarante ans de restructuration en Lorraine. Alors il n’y a pas une industrie qui puisse s’implanter. On veut nous faire faire quoi ? Aller travailler dans des McDo, dans des Flunch ? C’est ça, la reconversion ? »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Louis Gallois, le gouvernement et l’opposition… »
- Édouard Martin : «  Vous ne me laissez pas terminer mes réponses, Monsieur Elkabbach.  »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Allez-y, finissez. » (…)

S’en sortir en subissant ?

Notre ami des contribuables, ayant exclu toute intervention publique, a préféré ne pas entendre la proposition d’un plan Marshall évoquée par Martin. Cette surdité, semblable à celle d’un policier en quête d’aveu, l’amène à répéter obstinément la même question, dans le vain espoir d’obtenir sa propre réponse.

- Jean-Pierre Elkabbach : « Mais alors, le gouvernement vous a répondu, avec son Premier ministre, et même le Président de la République. Quelle est la solution pour en sortir, pour à la fois… reconvertir l’industrie française… et qu’il n’y ait pas des sacrifices pour les salariés, et en même temps pour des pans entiers de l’industrie ? Quelles solutions ? Quelles solutions ?  »
- Édouard Martin : « Des pans entiers ! Je vous dis : le plan Marshall. […] En tous cas, il y a des capitaux publics dans… »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Comment on en sort ? Comment…  »
- Édouard Martin : «  … dans les capitaux des usines. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Édouard Martin, comment on en sort ?  »
- Édouard Martin : « Comment on en sort, d’où ? »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Ah, bah, de la situation dans laquelle on est ? »

« Comment en sortir ? » La réponse d’Elkabbach qui a guidé toutes ses questions est à peine implicite : accepter les sacrifices imposés par la mondialisation.

- Édouard Martin : « Je vous ai dit : il va falloir qu’à un moment les élus, le gouvernement, fassent des choix stratégiques. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Mais, il y a une transi… »
- Édouard Martin : « … Arcelor Mittal va virer… »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Oui… »
- Édouard Martin : « … va virer un milliard et demi de dollars aux actionnaires. Est-ce que vous trouvez ça normal ? »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Heu… Y a en même temps une mondialisation, une transformation du monde, des habitudes, des comportements. Et je vais interroger maintenant Mickaël Wamen… »
- Édouard Martin : « Attendez. Attendez, Monsieur Elkabbach. La mondialisation, on n’y met tout ce qu’on veut. Si le seul débat qui vaille en France, c’est que c’est moins cher ailleurs, alors effectivement tous est moins chers ailleurs. On ferme la boutique France et on part tous ailleurs. Et y compris vous, les journalistes, vous partez ailleurs.  »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Ah non ! Ça ce n’est pas le cas ! Mais enfin, le problème n’est pas là . »

Cynisme d’un hiérarque inamovible d’une profession non délocalisable qui exige d’ouvriers en concurrence avec des travailleurs du monde entier de s’ouvrir au vent du large…

III. Face à Mickaël Wamen (CGT, Goodyear)

Et notre insubmersible de commencer, avec l’interlocuteur suivant, par un nouvel appel à la modération.

- Jean-Pierre Elkabbach : « Mickaël Wamen, Arnaud Montebourg vous a conseillé, y a pas longtemps, de mettre de l’eau dans votre vin. À quelles conditions vous accepteriez de revenir, vous, à la table des négociations ? »
- Mickaël Wamen : «  Tout d’abord, vous nous avez présentés, avec Jean-Pierre et notre collègue de la CFDT, comme des stars. Je pense qu’on n’est pas des stars. On est simplement des syndicalistes qui essayons de faire au mieux, au quotidien, pour défendre l’intérêt des salariés qui nous ont élus. »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Oui ? Mais on vous entend, on vous envoie à la télé. Parce que lorsque je vous ai vu, j’ai tout de suite…  »
- Mickaël Wamen : « Je pense qu’aujourd’hui, sur le plateau, la star c’est plutôt vous. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Non, non, non. C’est pas comme ça non plus que je me vois. Je me vois comme un journaliste. Vous voyez, c’est syndicaliste et journaliste. »
- Jean-Pierre Elkabbach (enchaînant aussitôt après l’autoportrait en journaliste) : « Vous ne m’avez pas répondu. À quel moment vous acceptez de discuter. Parce qu’en février 2012 (c’est-à-dire il y a un an) et à deux reprises, vous avez rejeté le plan qui était proposé par le repreneur éventuel, Titan. Ça, vous le savez, vous l’entendez, etc. Il s’est découragé. Comment vous pensez qu’il peut revenir ? S’il peut revenir. »

Apparemment, celui qui se « voit comme journaliste » ne se voit pas en chargé de communication de l’investisseur découragé…

De virulents jusqu’auboutistes ?

- Mickaël Wamen : « Tout d’abord, il y a beaucoup d’inexactitudes dans vos propos. Alors c’est peut-être pas de votre faute, c’est simplement reprendre en boucle tout ce qui a été dit pendant un certain nombre de semaines, qui sont qu’un tissu de mensonges. Et qui, en fin de compte, ne vise qu’à criminaliser l’action du syndicalisme. Et notamment de la CGT, chez Goodyear comme chez Peugeot. »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Vous… »
- Mickaël Wamen : « La réalité, par apport à la réalité… »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Vous ne croyez pas que vous exagérez dans la formule ?  » (…)

Et quelques temps après, à la suite d’une réplique virulente de Wamen :

- Jean-Pierre Elkabbach (pointant le doigt vers son interlocuteur) : «  Ça a l’air d’être facile de discuter avec vous ! Quand on vous entend et qu’on vous voit parler comme ça !  »
- Mickaël Wamen : « Mais pour discuter, il faut être deux, Monsieur. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Justement, je suis là. »
- Mickaël Wamen : « Alors, allez-y. Je vous écoute. »

Elkabbach d’asséner alors, comme un slogan publicitaire, que les licenciements d’hier auraient pu être les emplois de demain…

- Jean-Pierre Elkabbach : « De saison en saison, vous le dites, vous avez gagné du temps pendant cinq, six ans. »
- « Mickaël Wamen : « Six ans au mois de mars. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Ah ben, vous voyez. Vous cherchez à gagner du temps ! Est-ce que ce n’est pas perdre, à terme, des emplois ?  »
- Mickaël Wamen : « Moi, je pense que, pendant six ans, ne pas perdre notre boulot, c’est pas perdre notre temps ! […] »

La suite est délectable. Au nom de la concurrence, un appel réitéré à la résignation !

- Jean-Pierre Elkabbach : « Il faut être deux, hein, il faut être deux, vous avez dit. Pourtant, les experts disent que l’usine sortait, hein, ça c’est une réalité, 20 000 pneus par jour. Aujourd’hui 3 000. Ce sont des réalités.  »
- Mickaël Wamen : « Et c’est qui le responsable, c’est Wamen, c’est la CGT ? »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Non ! C’est la concurrence mondiale… C’est qu’il y a des pneus qui sont fabriqués ailleurs. C’est qu’il y a des prix qui sont différents ! »
- Mickaël Wamen : « Non, Monsieur, il n’y a pas de concurrence. Goodyear en 2004 vendait 22 millions de pneus en Europe. Aujourd’hui, en 2012, il en vend 22 millions. La différence, c’est qu’il a transféré les pneumatiques de notre usine vers des usines sœurs concurrentes […] »

Mais Elkabbach esquive et martèle…

- Jean-Pierre Elkabbach : « Et le 13 février, une fois que la manifestation aura eu lieu ? Qu’est-ce que ça aura changé ?  »
- Mickaël Wamen : « Déjà, on va d’abord arriver avec les salariés de chez Goodyear… »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Qu’est-ce que ça va changer ?  »
- Mickaël Wamen : « … de chez Goodyear, pour dire qu’au bout de six ans, on est toujours... »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Est-ce que c’est la solution arrivera ?  »
- Mickaël Wamen : « … à garder notre emploi. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « On comprend hein… »
- Mickaël Wamen : « Notre combat, il est sur l’emploi et uniquement l’emploi ! »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Je vous entends souvent dire que vous promettez de vous battre jusqu’au bout ?  »
- Mickaël Wamen : « Oui ! »
- Jean-Pierre Elkabbach : « D’autres l’ont dit avant vous. »
- Mickaël Wamen : « Oui !  »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Qu’est-ce que c’est, jusqu’au bout ?  »
- Mickaël Wamen : « Jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause sur nos emplois. »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Jusqu’au bout de quoi ?  »

Des antilibéraux irréalistes ?

- Mickaël Wamen : « Moi, je suis pas parti dans un combat pour aller chercher le plus gros chèque possible. […] Il parlait de démondialisation, Montebourg ! Et aujourd’hui, il me demande de mettre de l’eau dans mon pinard ! Faudrait peut-être qu’il arrête d’en boire, du pinard ! »
- Jean-Pierre Elkabbach (rit) : « Ouais, mais peut-être il a compris, lui aussi, les réalités…  »
- Mickaël Wamen : « Non mais, en attendant, ils n’ont même pas le courage de venir autour de la table pour dire quelle est la politique qu’ils vont mener pour l’industrie de notre pays ! […] »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Quand vous entendez parler du mot compétitif, du mot compétitivité, vous pensez que c’est un gros mot ?  »
- Mickaël Wamen : « Non, on est compétitif aujourd’hui en France. Parce que lorsque l’on rapporte le coût du travail à la productivité, on est l’un des pays les plus productifs au monde. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Donc il faut s’attendre, Jean-Pierre Mercier, CGT PSA, à des actions communes ? Vous allez manifester avec lui. »
- Jean-Pierre Mercier : « […] Il faut qu’on fasse cause commune, parce qu’on est frères. C’est le camp des travailleurs face au camp des patrons ! Voilà ! Même si ça ne vous fait pas plaisir, Monsieur Elkabbach, c’est la vie, c’est comme ça. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Non, non. Moi je suis ni du camp des patrons, ni des salariés. Je suis… vous voyez… »
- Mickaël Wamen : «  Vous êtes neutre.  »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Oui.  »

On ne sourit pas ! La suite témoigne de cette délicate neutralité…

- Jean-Pierre Elkabbach : «  Qui va apporter la solution ?  »
- Mickaël Wamen : « C’est au gouvernement actuel de légiférer pour donner des droits nouveaux aux représentants du personnel, pour interdire les licenciements… »
- Jean-Pierre Elkabbach (pris de court) : « Heu… Attendez… »
- Mickaël Wamen : « Parce que Goodyear, aujourd’hui, fait 400 millions de bénéfices et que Peugeot n’a pas non plus de légitimité à licencier. »
- Jean-Pierre Elkabbach (reprenant l’initiative en toute « neutralité ») : «  Vous parliez des patrons. Ce n’est pas le patron qui paie les salaires, c’est le client, c’est l’acheteur. Donc, aujourd’hui, il faut séduire et convaincre l’acheteur . »
- Jean-Pierre Mercier : «  Écoutez, c’est les travailleurs qui font les profits. […] »

La leçon d’économie du professeur Elkabbach ayant ainsi reçu le zéro pointé qu’elle mérite, l’entretien s’achemine vers sa fin.

- Mickaël Wamen : « La seule chose dont on est responsable (nous, à la CGT, chez Goodyear), c’est que si cette usine existe encore avec plus de 1 000 salariés, c’est grâce à notre combat. Voilà la seule chose dont on est responsable.  »
- Jean-Pierre Elkabbach : «  Mais en face de chez vous, sur Amiens Sud, il y a une entreprise qui marche…  »
- Mickaël Wamen : «  Sauf que cette entreprise, elle est en train de crever, Monsieur ! Parce que la réalité, il faut la regarder en face. »
- Jean-Pierre Elkabbach : « En tous cas, c’était intéressant de vous écouter, comme ça, en direct, face à vous. »

Fermez le ban !

Naïma Benhebbadj, Yannick Kergoat et Henri Maler

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

Sortie du Médiacritiques n°52 : Médias et écologie

À commander sur notre site ou à retrouver en librairie.