Le président populiste de gauche du Venezuela [2], Hugo Chavez, est mort mardi 5 mars après avoir lutté pendant deux ans contre le cancer. Si les dirigeants du monde devaient être jugés sur les doses de vitriol médiatique et de désinformation dont leur action politique a fait l’objet, Chavez serait dans une catégorie à part.
Juste après sa première élection en 1998, le gouvernement américain désignait Chavez comme une menace contre les intérêts américains – une présentation caricaturale que les médias étatsuniens ont largement repris à leur compte. En 2002, un coup d’État préparé par le secteur privé et les élites médiatiques parvint à évincer Chavez du pouvoir ; de nombreux titres de presse étatsuniens applaudirent (Extra !, 6/02). Le New York Times (4/13/02), annonça une « démission », expliquant : « la démocratie vénézuélienne n’est plus menacée par un dictateur en puissance ». Le Chicago Tribune (4/14/02) applaudit lui aussi le départ d’un dirigeant qui aurait « fait les louanges d’Ousama Ben Laden » – une allégation bien entendue complètement fausse.
Ces allusions sans fondement eurent cependant des répercussions médiatiques. Sept ans plus tard, CNN (1/15/09) organisait une discussion sur Chavez avec le stratège démocrate Doug Schoen. Alors que le présentateur lui demandait si Chavez était pire ou non qu’Ousama Ben Laden, Schoen affirma que Chavez « avait donné une invitation à Al Qaida et au Hamas de venir à Caracas ».
Les polémiques médiatiques sur Chavez ont été nombreuses, certaines sont allées chercher très loin. Dans un article de presse, Newsweek (11/2/09) comparait le dirigeant vénézuélien à Mussolini, Hitler et Staline. Chavez s’était alors construit un studio de tournage, ce qu’apparemment font tous les dictateurs. Pour Fox News (12/5/05) le gouvernement de Chavez est « authentiquement communiste ». Pour ABC (World News, 10/7/12) le leader vénézuélien est un « ennemi farouche des États-Unis », pour le Washington Post (10/16/06) un « démagogue autocrate ». Le tout malgré le fait que Chavez ait été régulièrement réélu lors d’élections certifiées par des observateurs internationaux (Extra !, 11-12/06), élections qualifiées de « meilleures du monde » par Jimmy Carter (Guardian, 10/3/12).
Outre les accusations de terrorisme et la dénonciation d’une menace militaire croissante que le Venezuela ferait peser sur la région (FAIR Blog, 4/1/07), les médias ont souvent essayé de faire passer le message selon lequel Chavez était nuisible pour les Vénézuéliens, invoquant la ruine économique du pays. L’éditorial du Washington Post (1/5/13) se lamente ainsi sur les « souffrances économiques causées par M. Chavez », l’homme qui a « détruit leur pays jadis prospère ». Un article récent du New York Times (12/13/12) expliquait comment le président Hugo Chavez s’était malgré tout maintenu en poste 14 ans en restant populaire dans la majorité de la population grâce à sa personnalité hors du commun, les largesses de ses dépenses publiques et sa capacité à convaincre les Vénézuéliens que la révolution socialiste qu’il promouvait améliorerait un jour leur vie.
Il n’est pourtant pas si inimaginable de penser que Chavez a vraiment amélioré le quotidien des Vénézuéliens (FAIR Blog, 12/13/12). A travers notamment la fourniture de nourriture et de soins pour les plus démunis, le renforcement du système d’enseignement public, qui ont permis de diviser par deux le niveau de pauvreté, ainsi que des efforts pour construire des institutions démocratiques depuis la base (pour plus d’information, lire l’article de Greg Grandin dans Nation, 3/5/13).
Cet aspect-là n’est certes pas toujours oublié par les médias étatsuniens. Mais ces politiques sociales, qui reflètent de nouvelles priorités dans la redistribution de la richesse pétrolière du pays, sont présentées comme un plan préparé par Chavez pour s’attirer les faveurs des pauvres. C’est ce que sous-entend le Washington Post (2/24/13) : Chavez aurait gagné le « soutien inconditionnel des masses frappées par la pauvreté » en « distribuant des postes à ses soutiens et en faisant crouler les pauvres sous les cadeaux ». Pour l’émission « All Things Considered » de NPR – National Public Radio – (3/5/13), « des millions de Vénézuéliens l’aimaient parce qu’il multipliait à outrance les programmes sociaux pour les pauvres. »
Acheter le soutien de ses propres citoyens est une chose ; faire preuve d’hostilité à l’égard des États-Unis en est une autre. Ainsi comme le journal télévisé CBS Evening News (1/18/13) l’expliquait récemment, « Chavez a fait carrière en s’attaquant aux États-Unis ». Mais personne ne s’interroge sur la manière dont un dirigeant américain se comporterait à l’égard d’un pays qui aurait soutenu un coup d’État contre lui.
Le soutien des États-Unis au coup d’État de 2002 a été clairement établi. Des documents du département d’État (FAIR Blog, 1/11/13) montrent que plusieurs agences étatsuniennes ont « apporté entraînement, formation et soutien aux personnes et organisations activement impliquées dans la brève éviction du gouvernement Chavez ». L’administration Bush avait d’ailleurs déclaré son soutien au régime d’un jour issu du coup d’État en expliquant que Chavez « était responsable de son destin » (Guardian, 4/21/09).
Pour le Washington Post (1/10/13), il s’agirait pourtant de l’une des théories du complot véhiculées par Chavez pour rester au pouvoir. « Un des piliers idéologique du pouvoir de Chavez pendant 14 années a été l’opposition aux administrations républicaines et démocrates, qu’il a accusé de vouloir déstabiliser son gouvernement. »
Bien entendu, comme pour n’importe quel autre pays, il y a des aspects du régime de Chavez qui méritent d’être critiqués. Néanmoins, il est vraisemblable que l’attitude particulièrement défiante des médias étatsuniens à l’égard du Venezuela n’ait pas été sans lien avec l’agenda de Washington ; une étude de FAIR (Extra !, 2/09) sur les éditoriaux traitant des droits humains montre que le Venezuela a fait l’objet de critiques beaucoup plus virulentes que la Colombie, alliée des États-Unis, malgré la violente répression de l’opposition dans ce pays.
La couverture médiatique de la mort de Chavez n’y change rien. Le tyran du Venezuela Chavez est mort » rapporte ainsi la Une du New York Post (3/6/13) ; « Mort d’un démagogue » peut-on lire sur l’écran d’accueil du Time (3/6/13). Le présentateur de CNN Anderson Cooper (3/5/13) a déclaré que c’était « la mort d’un dirigeant qui faisait l’Amérique voir rouge, rouge comme Fidel Castro, le président socialiste du Venezuela Hugo Chavez. »
« Les mots “homme fort du Venezuela” ont souvent précédé son nom, et ce pour une bonne raison » déclarait le présentateur de NBC Nightly News Brian Williams (3/5/13) ; pour ABC World News (3/5/12), « de nombreux américains le voyaient comme un dictateur ». A commencer, vraisemblablement, par les journalistes des grands groupes de médias !
Le rôle des intérêts américains dans les relations tumultueuses entre les États-Unis et le Venezuela est parfois évoqué dans les médias. De nombreux reportages sur la mort de Chavez ont noté la richesse pétrolière immense du pays. Williams expliquait sur NBC, « tout cela est très important pour les États-Unis, car le Venezuela est assis sur un tas de pétrole, et c’est là que ça devient intéressant pour les États-Unis ». Ce qui est confirmé par Rachel Maddow sur MSNBC (3/5/13) [3] : « Vous comprenez, le Venezuela est un pays qui compte sur la scène mondiale. Il est assis sur les réserves les plus importantes de pétrole de la planète ».
Et Barbara Starr (3/5/13) d’expliquer sur CNN : « Désormais de nombreuses entreprises étatsuniennes vont suivre de très près la transition au Venezuela. Ils vont vouloir s’assurer que les investissements sont sûrs, et que le pays est suffisamment stable pour investir ». Et parmi ces entreprises figurent les grands groupes de média.
Traduction de Frédéric Lemaire