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Un article ne plaît pas au préfet ? Il interdit de conférences de presse (Montpellier Journal)

par Jacques-Olivier Teyssier,

Nous reproduisons ci-dessous, avec l’accord de son auteur, un article paru sur le site de Montpellier Journal : un cas exemplaire d’arbitraire préfectoral. Sans doute le journaliste interdit de conférence de presse, dont il en est question ici, n’est-il pas titulaire de la carte de presse. Mais celle-ci est avant tout un coupe file qui n’offre aucune garantie sur la qualité professionnelle de celui qui la détient (sinon qu’un média a jugé bon de l’employer…) et qui ne l’assure pas de pouvoir en faire usage en toutes circonstances : encore faut-il qu’il soit accrédité et que, pour cela, trop souvent, il sache faire le dos rond. Nul doute que les professionnels de la profession, de Montpellier et d’ailleurs, vont s’insurger contre la censure inacceptable qui frappe leur collègue sans carte. (Acrimed)

Un article ne plaît pas au préfet ? Il interdit de conférences de presse. La première raison avancée par l’entourage de Pierre de Bousquet de Florian est que je n’ai pas la carte de presse. Mais très vite, la deuxième raison pointe le bout de son nez : un article a laissé « un petit peu interrogatif », nous dit-on au cabinet du préfet – dirigé par Frédéric Loiseau.

Pierre de Bousquet de Florian le 14 janvier 2014 à son arrivée à la préfecture de l’Hérault (photo : J.-O.T.)




C’est un préfet avec de bonnes manières. Pierre de Bousquet de Florian est un préfet qui, devant les journalistes, ostensiblement, remercie, en l’appelant par son prénom, l’employée de la préfecture qui lui apporte un café. Un préfet qui s’excuse d’un retard de seulement 10 minutes à une conférence de presse. Mais c’est aussi un préfet. Un préfet qui priorise, décide et tranche. Il a aussi la particularité d’avoir dirigé de 2002 à 2007 la Direction de la surveillance du territoire (renseignement, contre-espionnage) avant d’en être évincé par Nicolas Sarkozy pour cause d’affaire Clearstream [1]. Il a aussi passé plus de deux ans chez Elf-Aquitaine de 1988 à 1991, à l’époque où Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven, deux des protagonistes de « l’affaire Elf », étaient aux commandes. Un préfet avec sa part d’ombre, donc.

PBF – pour reprendre l’acronyme cité dans Sarko m’a tuer – est nommé préfet du Languedoc-Roussillon puis prend ses fonctions à Montpellier le 14 janvier. J’assiste à deux de ses conférences de presse : une pour son arrivée et une, le 22 janvier, pour présenter le « bilan 2012 de la sécurité dans l’Hérault » dont je ferai un compte-rendu (lire : Délinquance : les changements politiques… ne changent rien à la présentation des chiffres). Je reçois les communiqués de la préfecture jusqu’au 1er février. Puis plus rien.

Prétexte

Un peu habitué – on va le voir – à ce genre de pratique, j’appelle l’attachée de presse pour savoir ce qu’il se passe car je n’ai été prévenu de rien. Elle commence par m’expliquer : « On a retravaillé la liste de diffusion et on a restreint aux titulaires de la carte de presse. » Je lui demande comment elle sait que je n’ai pas la carte de presse et lui précise que j’aurais très bien pu l’obtenir récemment.

Mais une fois de plus, cette question de la carte de presse semble n’être qu’un prétexte et l’attachée de presse finit par lâcher : « Il y a aussi – ce qui a accéléré les choses – l’article que vous avez fait paraître, « Bourquin traite le préfet de ‘couillon’ » ou quelque chose comme ça [le titre exact de l’article publié le 31 janvier : [« LGV Montpellier-Perpignan : le nouveau préfet, un « couillon » pour Christian Bourquin ? »-> http://www.montpellier-journal.fr/2013/01/lgv-montpellier-perpignan-le-nouveau-prefet-un-couillon-pour-christian-bourquin.html]. Ça a été moyennement apprécié, enfin ce n’est pas moyennent apprécié c’est plus que ça nous a laissé un petit peu interrogatifs dans le sens où la phrase de Bourquin ne visait pas spécialement le préfet. » Interrogatif, je le suis aussi. D’autant que l’attachée de presse n’est pas abonnée à Montpellier journal et elle n’a donc pu lire que le titre et le chapeau de l’article puisque, à ce moment-là, l’article était réservé aux abonnés – il a été mis en accès libre après l’affaire.

Mais au fait qui a pris la décision ? L’attachée répond : « C’est une décision globale du cabinet » (dirigé par Frédéric Loiseau, ci-dessous). Et le préfet est-il au courant de cette décision ? « Oui. » Conséquence : je n’ai plus accès aux conférences de presse – organisées, rappelons le, avec de l’argent public. Mais attention, ce n’est pas si grave : « Si vous êtes détenteur de la carte de presse, n’hésitez pas à nous le faire savoir », me dit l’attachée de presse. Je manifeste ma surprise : « Mais vous m’aviez dit qu’il y avait aussi la question de l’article sur Christian Bourquin… » Un blanc puis : « Oui, il y a ça aussi. » Bref, on dirait bien que PBF – et d’autres – ne partage ce que disait Hubert Huertas ce matin sur France culture : « Dans une démocratie le rôle, essentiel, de la presse n’est pas de caresser mais de gratter. »

Frédéric Loiseau, directeur de cabinet à la préfecture de l’Hérault, le 22 janvier 2013 (photo : J.-O.T.)




Accrédité par le ministère de l’éducation nationale

Quant au prétexte de la carte de presse pour interdire d’accès des journalistes qui dérangent, il n’est pas nouveau (lire : Des journalistes écrivent au Club de la presse) et n’est évidemment pas pertinent (lire sur le site d’Acrimed : [Ces journalistes indésirables quand ils ne sont pas encartés->http://www.acrimed.org/article3099.html]). La preuve la plus éclatante en a été fournie par le ministère de l’éducation nationale huit jours après ma conversation avec l’attachée de presse de la préfecture. Un déplacement du ministre Peillon était annoncé pour le 22 février à Montpellier. J’apprends qu’il est prévu un point presse à l’agglomération. J’écris alors au ministère : « S’il faut une accréditation pour la conférence de presse à l’agglo de Montpellier, pourriez-vous me compter, svp ? » Réponse du bureau de presse : « Je vous confirme que vous êtes bien accrédité pour le déplacement de Vincent Peillon vendredi 22/02. » Pas facile pour l’État de parler d’une même voix.

Accréditation de Montpellier Journal pour la visite de Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, le 22 février 2013




Autre anecdote : de avril à septembre 2012, j’ai déjà été interdit de conférence de presse – toujours en raison de l’absence de carte de presse alors que cette absence n’avait pas posé de problème pendant trois ans – par le préfet Claude Baland. Nicolas Honoré, son directeur de cabinet d’alors, a confirmé par écrit que la décision venait bien de Claude Baland. Ce dernier a été promu, fin mai, Directeur général de la police nationale (DGPN) suivi en septembre par Nicolas Honoré. Et le lendemain de l’annonce du départ de ce dernier pour… le ministère de l’intérieur, Montpellier journal était réintégré dans la liste de diffusion des communiqués de presse. L’attaché de presse d’alors m’écrit le 24 septembre 2012 : « Le nouveau préfet est d’accord pour vous réintégrer dans notre liste d’envoi des communiqués. » Oubliée la question de la carte de presse ! Ce nouveau préfet, c’était Thierry Lataste qui est resté à peine six mois à Montpellier avant d’être nommé directeur de cabinet du… ministre de l’intérieur. Il a été remplacé par Pierre Bousquet de Florian. Nicolas Honoré a, lui, été remplacé par Frédéric Loiseau, ancien policier (de 1994 à 2007).

Claude Baland à la préfecture de l’Hérault, le 25 janvier 2012 (photo : J.-O.T.)
Le préfet Thierry Lataste et Nicolas Honoré, son directeur de cabinet de l’époque, le 23 juillet 2012 (photo : J.-O.T.)



Pourquoi je n’ai plus la carte de presse

Même si la question a peu d’intérêt puisque la carte ne garantit en rien la qualité du travail journalistique (et vice-versa), il faut quand même expliquer pourquoi je n’ai plus la carte de presse après l’avoir eu en 2005-2006. D’abord parce qu’au lancement de Montpellier journal, je ne tirais pas de revenus de mon travail. Puis, pendant deux ans, j’ai été rémunéré, en contrat aidé. Je tirais alors suffisamment de revenus de mes activités pour faire la demande de carte dont l’attribution est fonction des revenus liés à un travail journalistique – d’autant qu’en 2011, j’ai également publié six articles pour Mediapart. Sauf que je suis également « directeur de la publication » de Montpellier journal ce qui signifie – outre que je suis le seul responsable devant la justice de mes écrits – que je suis considéré, par la commission de la carte de presse, comme un patron de presse (si, si) et je ne peux donc pas obtenir la carte de presse de journaliste. Je pourrais obtenir une carte de presse « patron de presse » mais il faudrait pour cela que j’ai eu, pendant les trois précédentes années, la carte de journaliste. Ce qui n’est pas mon cas. (Lire sur le site de la commission de la carte : A la fois Directeur de la publication et rédacteur en chef (ou toute autre fonction journalistique), peut-on obtenir la carte ?).

Les « Couillons »

Sans vouloir polémiquer sur le contenu de l’article sur PBF, Christian Bourquin et les « couillons » car le contenu – du moins dans un pays démocratique – ne devrait regarder que les lecteurs et éventuellement la justice s’il n’est pas conforme à la loi, soulignons quand même qu’il était très prudent, argumenté, sourcé et que j’avais tenté – comme indiqué au bas de l’article – de recueillir la position de PBF et du président de région. Sans succès. Je n’ai ensuite reçu aucun droit de réponse.

De plus, plusieurs journalistes que j’ai interrogés m’ont dit avoir eux aussi tout de suite fait le lien entre PBF et les « couillons » que visait Christian Bourquin. La question posée par l’article était donc au minimum pertinente car au-delà de la petite phrase, c’étaient des relations entre le représentant de l’État et le président de région dont il était question. Mais pour le cabinet du préfet, rappelons-le, « la phrase ne visait pas spécialement le préfet ». De nouvelles techniques d’analyse des pensées des hommes politiques seraient-elles maintenant opérationnelles et utilisées par les équipes de Pierre de Bousquet de Florian ? Orwell revient ! En tout cas, le nombre de visites pour cet article est le plus élevé parmi ceux publiés depuis octobre 2012. Une certaine consolation ?

 
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Notes

[1Lire : Sarko m’a tuer, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, 2011, Stock, 355 pages, 19 €. Dans le livre est il est présenté comme une victime de l’ancien président de la République, muté dans le Nord. Les journalistes citent « une source très proche de l’Elysée [qui] appelle, un par un, tous ses contacts dans la presse parisienne » pour délivrer le message suivant : « Tu as vu ? On a dégagé Bousquet, on l’envoie dans le Pas-de-Calais… » Le livre n’établit cependant pas clairement les responsabilités de Pierre de Bousquet de Florian dans l’affaire Clearstream. « Il ne semble pas que PBF ait joué ce double jeu dont l’accusent les sarkozystes », écrivent, prudemment, les auteurs.

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