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Rumeurs sur un compte suisse de Fabius ? Les tortueuses « excuses » de Nicolas Demorand

par Henri Maler,

De l’art de ne pas répondre à des critiques, mais de caresser les lecteurs, en deux temps : esquiver sans s’excuser, puis s’excuser en esquivant.

Esquiver sans s’excuser

Publier en « Une » de simples rumeurs sur l’existence d’un compte suisse de Laurent Fabius, démentie par le ministre des Affaires étrangères et un article en pages intérieures sur les effets à L’Élysée de ces rumeurs ?

Pas de problème selon Sylvain Bourmeau qui, d’après une dépêche de l’AFP datée du 8 avril, aurait déclaré : «  Il était impensable de ne pas donner ces informations à nos lecteurs  ». Pour Nicolas Demorand, répondant lui aussi à l’AFP « il s’agissait d’une décision éditoriale collégiale. » Le collège a dû être restreint ! Et de confirmer « Quand la rumeur est devenue un fait politique, fallait-il réserver cette information aux seuls initiés, non, on a tenu à la partager avec nos lecteurs  », a-t-il dit à l’AFP.

Le lendemain, 9 avril, Nicolas Demorand surenchérit, en se fendant d’un billet sur-titré « À nos lecteurs » et titré « Quand la rumeur affole l’exécutif et devient fait politique » : « Comment une rumeur a pu devenir, l’espace d’un week-end, un motif d’affolement pour l’exécutif et, à ce titre, un fait politique majeur ? C’est la seule question à laquelle Libération entendait répondre dans son édition d’hier », écrit Nicolas Demorand. « Si Libération a donc fait le choix de publier le nom de Laurent Fabius et donné la parole à son avocat, c’est tout simplement pour partager avec ses lecteurs les informations en notre possession à l’instant où le journal part à l’imprimerie  », ajoute-t-il.

Le directeur du quotidien constate pour conclure que « de l’incompréhension a pourtant accueilli notre travail, que ce soit à l’intérieur du journal ou à l’extérieur. Nous en prenons évidemment notre part : un message mal reçu pose à son émetteur des questions auxquelles il se doit de répondre, afin de lever doutes et ambiguïtés sur sa démarche. C’est chose faite ».

Entre la démarche de l’émetteur et les critiques des récepteurs, on pouvait pourtant découvrir... la « Une » et l’article d’ouverture du journal : à leur propos, sur la nature des « informations » qu’ils recèlent, Nicolas Demorand n’a rien à dire sinon que pour le journalisme politique d’ambiance, celle qui aurait régné à l’Élysée est « un fait politique majeur »qui méritait, ne soyons pas chiches, un article de 2500 signes tout au plus !

Esquiver en s’excusant

Nicolas Demorand, enfin, dans Libération du 11 avril répond, une nouvelle fois, aux critiques, sous le titre « À nos lecteurs ». Comme nous faisons partie de ces lecteurs, nous reproduisons, sans hésitation, la lettre qui « nous » est ainsi adressée.

Retour sur l’édition de Libération du lundi 8 avril 2013. À la une, cette manchette : « Affaire Cahuzac, le cauchemar continue », accompagnée d’un sous-titre : « Après le scandale impliquant l’ex-ministre, Laurent Fabius dément, à Libération, détenir un compte suisse. Panique à l’Élysée ». En page 2, un article raconte comment la République a tremblé de la base au sommet pendant 48 heures, les journalistes du service politique de Libération parvenant à établir les faits et la chronologie de ce week-end pas comme les autres (informations confirmées, d’ailleurs, par le Canard enchaîné de ce mercredi, au terme de sa propre enquête).

Fin de l’acte 1 et début du suivant au moment où le journal paraît. Indignation immédiate autour de trois critiques principales : Libération aurait accusé, sans preuve, Laurent Fabius de détenir un compte en Suisse ; ce faisant, nous aurions propagé une rumeur au lieu de publier des informations ; nous avons révélé que des confrères menaient une enquête sur le sujet.

Il est possible de répondre à ces critiques, exprimées à l’extérieur du journal et au cours de vifs débats internes à la rédaction. Mais l’essentiel est ailleurs : l’édition du 8 avril 2013 a creusé un écart entre l’intention journalistique de départ et la réception, par une partie du public, de notre travail. Cet écart, impossible de l’ignorer ou de le minorer. Or, comme directeur de Libération, je suis aussi comptable des réactions que suscite le journal une fois qu’il circule dans l’espace public et des erreurs dont j’assume par définition la responsabilité. Que les lecteurs de Libération ayant été choqués par l’édition du 8 avril reçoivent ici mes excuses les plus sincères.

« Il est possible de répondre » aux critiques… « Mais l’essentiel est ailleurs ».

De réponse aux critiques, il n’y en aura donc pas ! L’essentiel, ce ne sont pas les critiques, mais « l’écart » entre l’intention et la réception. Pas d’erreur sur l’intention, donc. Mais entre l’intention et la réception, il y a la « Une » et l’article. Silence, toujours, sur leur contenu. Quant à la réception, ce sont des « réactions » (parmi lesquelles on ne compte pas les critiques, si nous savons bien lire…) !

Les critiques, Demorand n’en est ni responsable, ni comptable : il ne leur répond pas. Mais que dire face aux « réactions » (qu’il convient de distinguer rigoureusement des critiques) ? « Je suis […] comptable des réactions », déclare Demorand. Quelles réactions ? On ne sait, puisque ce ne sont pas les critiques. Pour leur répondre, il suffit de s’excuser d’avoir provoqué des « réactions » indéterminées. Courageusement, Demorand assume aussi les « erreurs » ! Quelles erreurs ? On ne sait. Mais ce ne sont sans doute pas celles qui ont fait l’objet de critiques.

Les contorsions de Nicolas Demorand vont-elles susciter des critiques (auxquelles il pourrait répondre, mais auxquelles il ne répondra pas) ou bien des « réactions » dont il serait comptable, à condition de ne pas préciser lesquelles ? Le suspense est à son comble.

Il vaut sans doute mieux, pour lui-même, que Nicolas Demorand n’ait pas répondu aux critiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire la façon toute personnelle dont il les résume, à commencer par celle-ci : « Libération aurait accusé, sans preuve, Laurent Fabius de détenir un compte en Suisse ; ce faisant, nous aurions propagé une rumeur au lieu de publier des informations ». Or la version la plus sérieuse de cette critique est celle-ci : « Avoir propagé une rumeur, à peine tempérée par le démenti de Laurent Fabius, au lieu d’avoir enquêté sur elle ».

C’est d’ailleurs ce que soulignait, très justement, la Société des personnels de Libération : « Notre travail de journaliste ne consiste pas à rendre publique une rumeur, mais à enquêter pour savoir si elle correspond à des faits. » Et non de laisser à des confrères le soin (le coût, les risques) de le faire, ni de révéler qu’ils le font, et encore moins de se servir de cet argument pour transformer la rumeur en « information »… Mais Libération est-il encore en état d’enquêter, ses chefs et ses propriétaires en ont-ils encore les moyens, l’ambition et l’envie ?

Au cours d’un tchat, l’auteur de l’article, maladroitement peut-être, mais courageusement, lui, a reconnu : « On a probablement commis des erreurs dans la mise en forme, dans la mise en scène de nos informations. » Et plus nettement encore : « J’ai un sentiment de regret, et probablement de faute, quand je vois la réception de cet article, et les effets qu’il a produits. »

Les meilleurs des journalistes peuvent commettre des erreurs ou des fautes. Cela exige non un pardon, mais une explication. Que l’on ne compte pas sur le boss de Libération (flanqué de son ami de longue date, Sylvain Bourmeau) pour le reconnaitre sans détours, ni fourberie !

Henri Maler

 
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