L’auteure de l’article, Virginie Spies, maître de conférences en sciences de l’information, est présentée comme analyste des médias. D’emblée elle se demande s’il était « bien utile de montrer que cette émission était bidonnée ». Très vite, son analyse renverse la situation et accuse « le piège » de Rémi Gaillard de mettre « en péril le contrat entre les téléspectateurs et la télévision. » En substance, son argument est le suivant : tout le monde sait que « Confessions intimes » est un bidonnage, il est donc contre-productif de le démontrer.
En effet, selon elle, « cela n’échappe à personne que nombre de participants à l’émission en rajoutent un maximum et que les scènes sont rejouées. [...] Du côté du public, la plupart des téléspectateurs prennent cette émission pour un divertissement. » Et pour cause, « celle-ci appartient à la catégorie des divertissements qui ne disent pas leur nom, qui prétendent vendre du vrai alors que nous sommes plutôt à la frontière de la tragi-comédie. "Confessions intimes" convoque chez le téléspectateur ce qu’il a de pire : le voyeurisme et le sadisme, avec ce côté rassurant qu’il peut y avoir à observer que le voisin est toujours pire que nous. » Notre spécialiste des médias suppose donc que tout le monde (ou presque) sait (ou se doute) que ces émissions ne présentent pas la réalité. Pire, ce type de programme se justifierait par la demande supposée des téléspectateurs voyeurs et sadiques. Joli retournement dialectique qui permet de se dédouaner sur le public.
Reste à connaître l’avis de la spécialiste sur les conséquences du canular monté par Rémi Gaillard : « La question que cela pose est de savoir si cette émission nous montre le vrai ou le faux. Remi Gaillard offre ici une réponse que nous connaissions déjà, à ceci près qu’il essaye de le prouver. [...] Sous sa promesse de nous montrer le réel, cette émission est d’abord un divertissement, qui se joue aux dépens des témoins qui se prêtent malheureusement au jeu. » Mais aussi (et surtout) aux dépens des téléspectateurs à qui l’on « promet du réel » et à qui on fourgue de la fiction. N’est-ce pas là justement le fameux « contrat entre les téléspectateurs et la télévision » ? N’est-ce pas TF1 qui le « met en péril » avec ses promesses non-tenues de montrer « le réel » ?
Elle poursuit et aborde ce qui semble être le cœur du problème selon elle : « À mon sens, le problème est ailleurs. Il est probable que ce piège démontrant un bidonnage que tout le monde soupçonnait déjà contamine la télévision dans son ensemble. » Même si son auteure n’est pas journaliste, il y a quelque chose de surréaliste à lire ce genre d’énormités sur le site d’un grand média : en effet, comment démêler le vrai du faux, comment séparer le bon grain de l’ivraie, si ce n’est en démontrant ? Au-delà de l’aspect épistémologique, il s’agit de l’essence-même du journalisme. Sans la recherche de la vérité (qui passe par la démonstration), l’information reste cantonnée dans le soupçon, la rumeur, les accusations gratuites et l’incertitude, avec les conséquences que cela implique sur la formation libre et informée de l’opinion publique.
Mais attention, le virus de la démonstration ne va pas seulement « contaminer la télévision » elle-même, mais bien l’esprit des téléspectateurs, qui pourraient se mettre à penser, voire même, comble de l’horreur, à développer un sens critique face aux médias : « Une émission comme "Confessions intimes" n’est pas comparable à un vrai documentaire ou au journal télévisé. Mais il est possible que l’on finisse par se dire que si "Confessions intimes" est bidonné, le journal télévisé l’est aussi, et que ce qui se passe sur TF1 doit aussi certainement se passer sur France 2. » C’est à se demander sur quelle planète vit cette « analyste des médias »... Comment pourrait-elle ignorer que TF1 ne se prive pas de bidonner des reportages, y compris dans son JT, comme nous l’avons relevé à plusieurs reprises [3] et que de nombreuses autres chaînes ont déjà fait pareil dans le passé ?
En 2003, Amaury de Rochegonde relevait : « […] les annales ont retenu la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor en 1993, les barbus retouchés à la palette graphique en guise d’islamistes sur France 3 en 1994, un reportage avec des armes factices sur France 2 en 1995, un reportage de TF1 sur un prétendu flagrant délit de trafic de drogue en 1998, sans oublier le réfrigérateur jeté d’une tour HLM dans un Entrevue de 1999 [4]. » Mentionnons encore le cas du « Petit Journal » de Canal+, coupable lui aussi de bidonnages à répétition, également relevés par nos soins [5] et qui appartient également « à la catégorie des divertissements qui ne disent pas leur nom, qui prétendent vendre du vrai » et qui, par là même, contribuent à brouiller davantage la ligne déjà floue entre information et divertissement.
Mais évidemment, si les téléspectateurs se permettent de douter de ce qui est dit à la télévision, ou pire, de démontrer qu’on leur ment, où va le monde ? Probablement à la catastrophe, selon Virginie Spies : « Voilà qui pourrait finir par un "tous pourris à la télé" dangereux et regrettable. » Oui, vous avez bien lu : le fait de démontrer des bidonnages à la télévision risque d’avoir des conséquences « dangereu[ses] et regrettable[s] ». Car bien sûr, selon elle, le fait de vaguement soupçonner sans démontrer est le moyen le plus efficace d’éviter le « tous pourris à la télé »...
Et la spécialiste de conclure : « En produisant des programmes de ce type, TF1 est peut-être en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. » Il aura fallu attendre la dernière phrase de l’article pour qu’elle admette finalement que TF1 ne peut s’en prendre qu’à elle-même de « [produire] des programmes de ce type ». Mieux vaut tard que jamais.
Adriano Brigante