La narration visuelle au service du journalisme fait rarement dans la dentelle. En ce jour de manif du Front de gauche, le Monde.fr a remis en Une le signalement du long article d’analyse politique de Raphaëlle Besse Desmoulières et Vanessa Schneider publié dans M le magazine, illustré par une photo noir et blanc d’un Mélenchon vociférant, parfaitement raccord avec les éléments de langage gouvernementaux (voir ci-dessus).
La presse de la « middleclass » entretient une allergie notoire pour le leader gauchiste, qui s’exprime abondamment par l’image. Un récent article de Libération comportait un choix iconographique qui tapait délibérément sous la ceinture, en dévoilant l’œil noir d’un Méluche comme sorti d’un puits d’ombre. L’association avec Marine Le Pen constitue un classique de la dénonciation du populisme mélenchonien, que le Journal du Dimanche reprend dans son édition d’aujourd’hui (voir ci-dessous).
Rien n’interdit à un journal d’opinion de critiquer celles qui l’indisposent. Le Monde entretient de surcroît de mauvaises relations avec le dirigeant, qui a insulté un de ses journalistes. Mais un pas est franchi avec la photo de Laurent Hazgui, dont le noir et blanc, traitement rare dans le registre du portrait politique, souligne la violence tout en évoquant un rapport au passé. Comme le délit de sale gueule, l’attaque iconographique ne fait pas appel à des arguments politiques ou philosophiques, mais construit sur le mode de la médisance un document accusatoire qui s’appuie sur l’aspect physique et sur des jeux associatifs plus ou moins avoués.
Sélectionnée parmi les reportages de French-politics, collectif spécialisé dans le portrait politique, l’iconographie de l’article (5 visuels, dont une vidéo et 3 photos noir et blanc) a fait l’objet d’un travail élaboré. Sans surprise, elle souligne la dimension tribunicienne du dirigeant, angle traditionnel de dénonciation du “populisme”. Deux portraits qui montrent Mélenchon en pleine harangue sont des allusions manifestes à l’imagerie des dictateurs des années 1930, dont les discours tonitruants et les postures martiales nourrissaient dès cette époque le stéréotype du tyran (voir ci-dessous).
La diabolisation par l’image fonctionne à la manière de l’allusion : comparaison elliptique suggérant un rapprochement avec les clichés des totalitarismes, elle omet le comparant, qui reste implicite et doit être restitué par le destinataire. Cette figure s’est appliquée à diverses personnalités, à commencer par l’ancien président du Front National, Jean-Marie Le Pen, fréquemment associé depuis les années 1980 au souvenir de la période nazie. Nicolas Sarkozy a subi à son tour cette forme de caricature pendant une courte période, suite au tournant du discours de Grenoble en août 2010, qui prônait ouvertement une politique xénophobe (voir ci-dessous).
Ces applications sélectives d’une forme d’insulte par l’image montrent que le journalisme politique, ou du moins son volet visuel, reflète moins une analyse politique qu’une condamnation morale. La diabolisation qui frappait Jean-Marie Le Pen en raison de ses nombreux dérapages et allusions racistes est largement épargnée à sa fille, dont les options politiques ne diffèrent pourtant qu’à la marge. De même, l’association de Mélenchon avec le répertoire de la diabolisation est la punition ponctuelle de l’expression “coup de balai”, qui a fortement déplu aux élites politiques et médiatiques. Sorte de point Godwin visuel, le traitement iconographique du Monde traduit une réprobation dont la dimension morale autorise à franchir les limites habituelles de l’objectivité journalistique.
Post-scriptum d’Acrimed
À propos du « dossier » du supplément magazine du Monde du 4 mai consacré à Jean-Luc Mélenchon, voir aussi l’article « Diabolisation de Mélenchon et nombrilisme journalistique : les errements du magazine du “Monde” ». Nous-mêmes avions déjà souligné, il y a un an, le concert des éditocrates usant de procédés similaires pour exprimer leur mépris et leur animosité à l’égard de Jean-Luc Mélenchon.