Accueil > Critiques > (...) > « Indépendance ? » Procès, violences et répression

Moins-disant législatif et arbitraire répressif : le projet sur la protection des sources des journalistes

par Blaise Magnin,

Il y a quelques mois, dans un article intitulé « Protection du secret des sources des journalistes : vers une nouvelle loi ? », nous faisions part de notre « vigilance préventive » après l’annonce par François Hollande de l’adoption prochaine d’une « disposition législative » destinée à renforcer la protection du secret des sources des journalistes. Le flou sur le contenu du futur texte et, plus généralement, la frilosité du gouvernement sur la question des médias n’incitaient guère à l’optimisme… À voir le projet de loi présenté le 12 juin en conseil des ministres, cette circonspection était fondée : pour quelques avancées procédurales presque anecdotiques, le texte entérine, voire aggrave sur l’essentiel, le dispositif législatif existant.



Alors qu’aucune information substantielle mettant en cause les grandes institutions publiques ou privées, leurs dirigeants, leurs pratiques et leurs intérêts ne peut « sortir » si les informateurs des journalistes ne sont pas protégés, il n’est guère surprenant que le texte proposé par le gouvernement ait été quasi unanimement condamné par la profession, de Reporters sans frontières à la Fédération française des agences de presse, en passant par l’Association de la presse judiciaire ou les organisations syndicales comme le SNJ [1], sans compter la tonalité essentiellement critique de la couverture médiatique.

Avec ce texte, le gouvernement entendait pourtant remédier à l’inefficacité de la loi adoptée en janvier 2010. En effet, celle-ci n’avait pas empêché, quelques mois après son entrée en vigueur, le procureur de Marseille d’ordonner la réquisition des factures téléphoniques détaillées (« fadettes ») de deux journalistes du Monde pour « recel de violation du secret de l’instruction »… Une démarche si simple et si peu entravée par la loi nouvellement votée qu’il était suivi dans des démarches similaires, toujours en 2010, par le directeur central du Renseignement intérieur (DCRI), le procureur de Nanterre et deux juges d’instruction de Lille… Autant dire que cette loi garantissait surtout la liberté pour les autorités policières et judiciaires de traquer celles et ceux qui informent les journalistes !

Rien d’étonnant à cela, puisque comme nous l’écrivions dans l’article déjà cité, ce texte était à bien des égards un modèle de tartufferie. Affirmant un principe, il prévoyait une dérogation dont l’imprécision ouvrait la voie aux interprétations les plus arbitraires, permettant de porter atteinte au secret des sources « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. »

C’est pour pallier ce flou juridique patent, ouvrant la porte à tous les abus, que François Hollande chargeait la ministre de la Justice d’élaborer un texte qui garantirait plus efficacement la protection des sources qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), constitue « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ».

Et force est de constater que le projet initial de Christiane Taubira, très largement inspiré par loi belge qui constitue en la matière un exemple de clarté et de concision [2], proposait un certain nombre d’avancées notoires. Cette première mouture du texte prévoyait ainsi que seuls deux motifs pouvaient justifier la levée du secret des sources d’un journaliste : « prévenir ou réprimer la commission soit d’un crime, soit d’un délit constituant une atteinte grave à la personne » ; il ajoutait deux conditions restrictives devant être remplies simultanément : l’« importance cruciale » des informations recherchées, lesquelles ne devant pouvoir « être obtenues d’aucune autre manière ».

Pourtant, après l’examen du texte par l’assemblée générale du Conseil d’État, il ne reste plus rien de ces avancées. Au nom, notamment, de « la sauvegarde de l’ordre public » les magistrats ont réintroduit des exceptions à la règle qui vident le texte de toute portée. Ainsi, « sous la pression conjuguée des ministères de l’Intérieur et de la Défense », selon Le Monde, la nouvelle loi interdirait toute atteinte au secret des sources, sauf si elle est justifiée par « la prévention ou la répression d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la nation  ».

Certes, le texte aggrave les sanctions pénales pour atteinte au secret des sources et prévoit que l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention sera désormais nécessaire à une levée du secret. Mais la définition des « intérêts fondamentaux de la nation » est si vague et potentiellement si large qu’il est bien peu de cas où elle ne trouverait pas à s’appliquer… Pour ce qui est de la notion d’« atteinte grave à la personne » – là ou la loi belge évite autant que faire se peut l’ambigüité juridique en évoquant une « menace grave pour l’intégrité physique » –, elle est si équivoque qu’elle laisse la place aux interprétations les plus farfelues et opportunistes. De surcroît, la disparition du principe d’atteinte « indirecte » à la protection des sources, qui figurait dans le texte initial, pourrait faciliter encore la consultation des fameuses « fadettes ».

Deux seuls progrès sont à noter. Le premier élargit aux «  collaborateurs de la rédaction  » la protection auparavant accordée aux seuls journalistes, mais ne va pas au bout de sa logique en s’abstenant d’inclure les « lanceurs d’alerte » (ces citoyens qui médiatisent des informations d’intérêt public). Le second, plus significatif, supprime l’incrimination de « recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction », qui justifiait nombre de procédures.

***

On ne sait si c’est le sens de l’humour de François Hollande qui lui a inspiré ses réflexions sur le « bon équilibre » trouvé dans ce texte censé « renforcer l’exemplarité de la République » ou bien s’il croit vraiment aux « éléments de langage » que lui concoctent ses conseillers en communication… Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette question de la protection des sources des journalistes est la victime constante de l’hypocrisie de gouvernants qui, tout en multipliant les proclamations vertueuses sur leur attachement à la liberté de la presse, rechignent à abandonner des pouvoirs qui leur permettent, au nom de la raison d’État, de contrôler ou de ralentir un tant soit peu le cours de « révélations » susceptibles de les embarrasser lorsqu’ils sont « aux affaires ». Et de ce point de vue, le gouvernement actuel, pour « exemplaire » qu’il prétende être, ne fait pas mieux que le précédent. Reste à voir si la majorité parlementaire approuvera tel quel ce nouveau manque d’ambition et de courage politique du gouvernement sur la question des médias…

Blaise Magnin

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Dont on peut consulter le communiqué.

[2Celle-ci dispose que « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public », ainsi que les « collaborateurs de la rédaction  » ne peuvent être tenus de livrer leurs sources d’information « qu’à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes ». Pour s’y référer plus complètement, consulter notre article déjà cité.

A la une

Portraits de journalistes dans Libération : entre-soi et complaisance

Starification et dépolitisation.