Mais d’abord quelques remarques sur le traitement médiatique de la condamnation de 2013.
Serial plagiaire
Alain Minc et son éditeur sont donc condamnés, pour plagiat, à verser 5000 euros de dommages et intérêts à Pascale Froment, ainsi que 6000 euros pour couvrir les frais de justice engagés ; l’ouvrage devra par ailleurs comporter un encart relatant le jugement. Si le montant des réparations accordées ne devrait pas trop entamer les revenus de l’homme d’affaires multicartes [2], la couverture médiatique dont fait l’objet cette décision judiciaire ne le traumatisera pas non plus… Alors que les médias sont si prompts à se répandre en commentaires sentencieux lorsqu’ils estiment la morale publique outragée par les manquements d’un responsable politique ou les bris de glace occasionnés par une action syndicale, la condamnation d’un de leurs meilleurs clients, pour un motif qui pourrait pourtant le disqualifier intellectuellement, leur inspire des articles d’une étonnante sobriété.
Si les principaux titres de la presse quotidienne et hebdomadaire relatent bien la décision de justice, ils se contentent, du Monde au Point en passant par L’Express ou Libération d’articles purement factuels, reprenant l’AFP – le service minimum en quelque sorte. Sauf pour Le Figaro, qui, sans doute peiné de la très probable condamnation d’un des plus fidèles soutiens de Nicolas Sarkozy, avait pris les devants dès le 13 juin en permettant à Alain Minc de se disculper dans un « entretien exclusif ». Et gageons même que dans quelques semaines tout sera oublié et qu’Alain Minc sera de nouveau invité partout à pérorer sur tous les sujets…
Pourtant, cette condamnation pour plagiat est d’autant plus infâmante qu’Alain Minc est donc un récidiviste... Mais en 2001, il est vrai, les faits et le jugement étaient plus accablants encore.
Plagiaire servile
Pour le QVM (Quotidien vespéral des marchés, ex-Le Monde), la condamnation d’Alain Minc pour plagiat est un camouflet : Minc préside le « conseil de surveillance » de ce journal. Or, selon Raminagrobis (Colombani, directeur du QVM) un président de conseil de surveillance d’un journal a pour rôle de « veiller au respect de l’indépendance ». Au moment où ce journal entre en Bourse, l’indépendance du Monde est donc soumise aux caprices d’un personnage condamné pour « plagiat », « reproduction servile » et « contrefaçon ».
Les analyses du conseil scientifique de PLPL sont formelles : avec ce jugement, c’est l’ensemble du PPA (Parti de la presse et de l’argent) qui se trouve frappé au cœur. Le Plagiaire Servile Alain Minc est en effet au centre du dispositif qui soude des hauts fonctionnaires, les patrons qui plastronnent, les médias qui mentent et un quarteron d’intellectuels à gages. Lui-même ancien haut fonctionnaire, ex-industriel, conseiller de grands patrons, responsable de presse et auteur de deux douzaines d’essais à prétention intellectuelle, Minc joue le rôle de passeur entre ces divers milieux. « Son secret, c’est de passer pour un homme de presse auprès des banquiers, pour un financier auprès des journalistes, pour un écrivain auprès des industriels. » (Stéphane Marchand, Le Commerce des illusions, J-C. Lattès, p. 153) Il monnaye aux uns l’aide ou le contact des autres. Pour mesurer la surface sociale du plagiaire, il suffit de rappeler la manière dont, en 1999, il a fêté son cinquantième anniversaire : « Le mercredi 14 avril, il avait réservé le célèbre restaurant du Palais Royal, “Le grand Véfour”. Et c’est dans un impressionnant ballet de Safrane, de Mercedes et de BMW que ses invités sont arrivés. C’était l’événement mondain de l’année. Minc avait tenu à s’entourer de tous ceux qui comptent à Paris et qui sont évidemment ses amis : les journalistes Jean-Marie Colombani, et Franz-Olivier Giesbert, les banquiers Jean Peyrelevade (PDG du Crédit Lyonnais), David de Rotschild et François Henrot (Paribas), les industriels François Pinault, Vincent Bolloré et Pierre Blayau, Jean Drucker et Pierre Bergé, le baron Ernest-Antoine Seillière. La gauche étant au pouvoir, deux ministres avaient tenu à souffler en si brillante compagnie les bougies de cet anniversaire : Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, accompagné de son épouse Anne Sinclair. » (Le Canard enchaîné, 21.04.99)
A l’audience du 16 Octobre 2001 tenue publiquement.
Patrick RÖDEL est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Spinoza, le masque de la sagesse », ayant pour sous-titre « Biographie imaginaire », qui a été publié en mars 1997 par les Editions CLIMATS.
Alain MINC est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Spinoza, un roman juif » qui a été publié en octobre 1999 par les Editions GALLIMARD.
Faisant valoir que l’ouvrage « Spinoza, un roman juif » procède pour une large part du pillage méthodique de l’ouvrage « Spinoza, le masque de la sagesse » et insistant sur le mépris avec lequel les protestations de Patrick RÖDEL auraient été traitées [4], celui-ci et les Editions CLIMATS ont assigné, par acte du 2 mai 2000, Alain MINC et la société Editions GALLIMARD en contrefaçon. […]
Vu les écritures par lesquelles la société Editions GALLIMARD conclut […] que sa responsabilité n’est pas engagée. A titre subsidiaire, elle demande à être garantie par Alain MINC de toute condamnation. Elle sollicite la condamnation […] d’Alain MINC à lui payer 20 000 F [5] […].
Attendu que les demandeurs […] reprochent à Alain MINC :
- d’avoir démarqué étroitement la structure de l’ouvrage « Spinoza, le masque de la sagesse » en effectuant des emprunts, allant de deux mots à vingt sept lignes, dans l’ordre chronologique respectif des chapitres des ouvrages,
- d’avoir effectué trente six emprunts à l’œuvre première en ayant recours à plusieurs types de procédés allant de la reproduction servile d’expressions au plagiat de l’économie générale des passages en passant par la reprise des mêmes citations ou des mêmes anachronismes ; […]
Attendu que, s’agissant des 36 emprunts reprochés, Alain MINC admet dès l’abord, dans ses conclusions, la réalité de sept d’entre eux (référencés n° 13, 20, 23, 24, 25, 26, 27, 28 dans l’assignation) qu’il qualifie d’erreurs de sa part [6] ;
Que cependant ces emprunts vont, par leur nature et leur importance, au-delà de la simple réminiscence alléguée, la mauvaise utilisation des notes prises par Alain MINC ou son équipe [7] sur l’ouvrage « Spinoza, le masque de la sagesse » n’étant nullement une cause exonératoire de responsabilité ; […]
Qu’ainsi, nul avant Patrick RÖDEL ne raconte avec les détails et termes qui lui sont propres, précisément repris par Alain MINC :
- les circonstances du suicide de Uriel da Costa qui se serait, selon le seul Patrick RÖDEL, pendu avec une « corde de chanvre qui servait à descendre le seau au fond du puits » après l’avoir « accrochée à un piton de fer » et avoir « approché un tabouret » (n° 13 - Patrick RÖDEL p 28, Alain MINC p 67) [8] ; […]
- la lettre de Bouwmeester donnant à Spinoza la recette de la confiture de roses rouges, cette lettre étant fictive et servilement reproduite [9] dans l’ouvrage de Alain MINC (n° 29 - Patrick RÖDEL p 84 et 85, Alain MINC p 124 et 125) ; […]
Attendu que d’autres emprunts établissent encore que le court ouvrage de 140 pages de Patrick RÖDEL a bien été contrefait par l’ouvrage de Alain MINC [10] ; […]
- la scène de la flagellation de Uriel da Costa retracée de la même façon avec la reprise des mêmes termes non nécessaires notamment le « caftan » des notables de l’assistance, vêtement anachronique pour cette communauté juive de l’Amsterdam du XVIIe siècle [11] […]
Attendu que les griefs articulés par Patrick RÖDEL étant, comme il a été vu, partiellement fondés du fait de la reprise d’éléments protégés, la contrefaçon est constituée ;
Attendu que la responsabilité de cette contrefaçon pèse au premier chef sur Alain MINC, qui en tant qu’auteur de l’ouvrage contrefaisant n’ignorant rien de l’œuvre première et des emprunts indûment faits ne peut se prévaloir de sa bonne foi [12] […] ;
Que cette responsabilité pèse également sur la société Editions GALLIMARD, qui en tant que professionnel averti de l’édition ne pouvait manquer, sinon de vérifier, du moins de s’inquiéter auprès de son auteur de l’importance des emprunts faits, sans guillemets, à la « charmante biographie imaginaire de Spinoza (de) Patrick Rödel », expressément citée en ces termes par Alain MINC en page 120 de son ouvrage [13], et ce, alors même qu’Alain MINC ne se pose nullement en philosophe spécialiste de Spinoza [14] et que l’essentiel de ce qui est su sur Spinoza l’est par son œuvre philosophique ;
Que du fait de cette négligence, la société Editions GALLIMARD voit sa responsabilité quasi-délictuelle engagée envers Patrick RÖDEL.
Attendu que Patrick RÖDEL subit en sa qualité d’auteur, du fait de la contrefaçon de son oeuvre, un préjudice moral certain qui sera réparé par l’allocation d’une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, le paiement de cette somme étant mis à la charge des défendeurs, tenus in solidum ;
Attendu que la société Editions GALLIMARD est fondée à invoquer à l’encontre de Alain MINC la garantie contractuelle dont elle bénéficie en vertu du contrat d’édition les liant en date du 10 mars 1998 ;
Que Alain MINC sera condamné à la garantir de toute condamnation.
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, Dit que l’ouvrage « Spinoza, un roman juif » dont Alain MINC est l’auteur et la société Editions GALLIMARD l’éditeur est la contrefaçon partielle de l’ouvrage « Spinoza, le masque de la sagesse » de Patrick RÖDEL, édité par les Editions CLIMATS,
Condamne in solidum Alain MINC et la société Editions GALLIMARD à payer à Patrick RÖDEL la somme de 100.000 F (15.244,90 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Ordonne l’exécution provisoire de ce chef ;
Condamne Alain MINC à garantir la société Editions GALLIMARD des condamnations prononcées à son encontre [15] ;
[…] Fait à Paris le 28 novembre 2001
Le Greffier
Le Président