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Déception unanime de l’éditocratie face à la nouvelle réforme des retraites

par Blaise Magnin,

Dès l’annonce, le 26 août 2013, du plan gouvernemental de réforme des retraites, l’ensemble des éditorialistes, des chroniqueurs et des rédacteurs spécialisés se sont levés comme un seul homme pour dénoncer la modestie de la réforme et des mesures trop peu « ambitieuses » à leur goût. Tous ou presque regrettaient l’occasion manquée de mener « la » grande réforme « structurelle » qui bouleverserait enfin un système qu’ils jugent trop dispendieux, et donnaient rendez-vous à leurs lecteurs dans quelques années pour de nouveaux sacrifices… Un consensus médiatique à peu près total qui pourrait sembler stupéfiant si depuis vingt ans l’on n’avait pas été habitué, sur cette question des retraites plus que sur toute autre, à un rabâchage aussi univoque que systématique [1]. Petit tour d’horizon, monotone par la force des choses, des commentaires parus dans la presse écrite les 27 et 28 août.

S’il fallait encore démontrer l’absence de pluralisme des opinions parmi les « grandes signatures » de la presse, la simple lecture des titres des articles consacrés aux annonces du Premier ministre constituerait une preuve irréfutable. Tous ces titres sont interchangeables et pourraient coiffer des articles déroulant une seule et même analyse : la réforme présentée par le gouvernement ne va pas assez loin, assez vite et assez fort...

Ainsi, L’Opinion, le nouveau quotidien (déjà en sursis) de Nicolas Beytout, assène : « Retraite : une réforme à reculons » ; La Tribune l’âme plus artistique, mais non moins péremptoire, prétend : « Ceci n’est pas une réforme des retraites » ; de son côté, Le Figaro s’en remet à ses experts pour faire le même constat : « Retraites : les économistes dénoncent une “non-réforme” » ; tandis que Le Monde tient en substance le même raisonnement : « Retraites : le choix d’une grande réforme globale encore repoussé » ; à Libération également, on semble déçu : « Retraites : une réforme habile mais timorée » ; Le Point, qui doit fréquenter les mêmes économistes que Le Figaro, dit la même chose… de la même façon : « Retraites : la réforme qui n’en est pas une » ; du côté d’Ouest France, premier titre de la PQR, le refrain est exactement le même avec un édito intitulé : « Réforme ou replâtrage ? » ; et c’est finalement le Journal du dimanche » qui résume le mieux ce que tous sous-entendaient : « Retraites : vivement la prochaine réforme ».

Tous ces prescripteurs d’opinions qui se plaisent aussi à jouer aux prescripteurs de réformes, préfèrent donc « analyser » le projet de loi, non pas à l’aune de son contenu, mais au regard de leurs propres fantasmes… Tous reprochent donc au gouvernement d’avoir renoncé à repousser encore l’âge légal de départ à la retraite, d’avoir différé l’entrée en vigueur des hausses de durée de cotisation, et bien sûr, d’avoir épargné les retraites de la fonction publique et des régimes spéciaux. Une antienne qui tourne à l’obsession à l’occasion de chaque réforme et qui inspire au JDD ce commentaire qui en dit long : « L’idée qu’un fonctionnaire ou assimilé, dit "en catégorie active", ait le droit de partir plus tôt aux frais des autres, voire touche une meilleure pension, reste insupportable pour beaucoup. […] Chacun va donc continuer à vivre avec ces "préjugés" et 35 régimes de retraites. »

Des préjugés qui, s’ils ont une quelconque réalité, n’ont bien sûr rien à voir avec les idées reçues que les médias véhiculent lorsqu’ils présentent le « problème des retraites » et préconisent les solutions les plus régressives… Car une fois de plus, les grands médias ont basé leur commentaire de la réforme gouvernementale sur le postulat selon lequel les retraites devaient être drastiquement harmonisées par le bas, sans jamais évoquer, ne serait-ce que pour les écarter, des mesures alternatives qui aborderaient la question sous l’angle des arbitrages macroéconomiques, du partage de la richesse nationale, de la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle.

Dans ces conditions qui interdisent tout débat de fond un tant soit peu approfondi, les commentateurs ont le champ libre pour ramener la discussion sur le terrain politicien qu’ils affectionnent tant. Ainsi de la grande question qui taraudait l’ensemble de la presse : cette réforme moins « dure » qu’attendu et espéré signe-t-elle la lâcheté ou au contraire l’habileté politique du gouvernement ? Dans les deux cas, la conclusion est la même : il faudra remettre l’ouvrage sur le métier pour achever la « grande » réforme définitive et punitive que l’on promet aux Français depuis vingt ans…

 Pour Gaëtan de Capèle du Figaro, qui intitule son édito du 27 août « Courage fuyons ! », ça ne fait pas l’ombre d’un doute, le gouvernement est couard : « Si Jean-Marc Ayrault cherchait à ne pas s’attirer d’ennuis supplémentaires avec les retraites, il peut être rassuré. La grande réforme annoncée, qui devait épater l’Europe entière, est tout bonnement passée à la trappe ! »

 Pour Le Monde, plus amène avec le gouvernement, c’est « Une réforme des retraites habile, trop habile  », ce qui n’empêche pas que « tout indique donc que cette réforme ne sera pas la dernière. Et que de lourds problèmes sont, une nouvelle fois, occultés. Pour les affronter sérieusement, il faudra plus que de l’habileté : de l’audace. »

 Idem pour Libération qui salue la talent manœuvrier de l’exécutif : « Rétablir l’équilibre financier, corriger certaines injustices, éviter un vaste mouvement social cristallisant les mécontentements : tel était le cahier des charges à respecter. Étonnamment, le dernier critère semble en passe d’être validé, grâce à l’habileté tactique du gouvernement - ou au talent typiquement hollandais pour la "synthèse molle", diront certains. ». Mais le quotidien de Rothschild, reste sur sa faim, comme ses concurrents : « Pour les retraites, ce n’est certainement pas le grand soir : la fameuse "réforme structurelle", celle qui remettrait à plat un système illisible et à l’avenir financier encore incertain, attendra. »

 Le JDD combine lui les deux approches : « Les fâcheux calculs politiciens à l’approche des échéances électorales (municipales en mars, européennes en mai 2014) ont tué dans l’œuf toute réforme d’envergure. […] Faute de courage politique et d’une indispensable réflexion globale sur l’État providence, on retient qu’il faudra bien un jour remettre le couvert. »

 Le Nouvel Observateur pour sa part ne parvient pas à trancher : « Ayrault et les retraites : lâcheté politique ou habileté tactique ? » Et plutôt que de se mouiller sur cette question décisive, l’hebdo se contente « avec l’AFP » d’une paresseuse revue de presse qui recense les analyses interchangeables des éditorialistes.

 Le Point ne choisit pas non plus. En s’appuyant sur le même papier de l’AFP, il titre sur « le tour de passe-passe d’Ayrault » pour constater que « les éditorialistes sont plus ou moins sévères avec le Premier ministre, dont la réforme manque certes de courage mais pas d’habileté. » Avec une même conclusion : « 1993 (Balladur), 2003 (Fillon), 2008 (régimes spéciaux), 2010 (Woerth), 2013 (Ayrault), à quand la nouvelle réforme des retraites ?  »

Dans cette grille de lecture d’une effrayante uniformité, un seul point a permis aux titres les plus engagés, et en l’occurrence les plus fanatiquement libéraux, d’aborder le plan gouvernemental sous un angle quelque peu différent :

 Le Figaro, fidèle à sa réputation, interprète ainsi la réforme à partir de sa principale préoccupation : les impôts. Le 9 août, déjà, alors que le contenu de la future réforme se précise, le quotidien de Dassault explique que « François Hollande n’a pas intérêt à un affrontement violent » avec les syndicats, et que « la violence s’exprimera cette fois-ci par d’autres moyens : la pression fiscale », avec le risque de « brutaliser, pour le coup, le pouvoir d’achat des ménages ». Quelques jours plus tard, c’est la consternation devant une « mini réforme » et des « maxi cotisations », et l’occasion de déplorer que le gouvernement n’ait « retenu que des hausses de cotisations et d’impôts. »

 L’Opinion et La Tribune, ne voient pas les choses différemment. L’Opinion dénonce ainsi une réforme « a minima », qui risque de faire « pschiittt », et qui, surtout, ne répond pas aux exigences de la Commission européenne qui « a aussi demandé de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires. Et sur ce point, ce sera raté. Le vice-président de la Commission européenne, Olli Rehn, est clair : “ la France ne va pas assez loin ni assez vite dans la mise en œuvre de réforme structurelle ”. À bon entendeur… » Quant à La Tribune, elle discute toute les dispositions à la lumière du « ras-le-bol fiscal »…

 À Ouest France, où l’on s’inquiète aussi d’une « rentrée déjà plombée par […] le choc fiscal », on rappelle : « (Sur) taxer n’est pas réformer », avant de s’interroger : « En recourant à la fiscalité, cet instrument usé par la gauche jusqu’à la corde, l’exécutif prendra-t-il le risque de freiner la consommation des ménages en mal de pouvoir d’achat, de gripper le moteur de la croissance, de mettre à mal la compétitivité de la France qu’il cherche par ailleurs à restaurer ? »

Une fois encore, la présentation et l’interprétation médiatiques de cette réforme des retraites est d’une consternante partialité. Une fois encore, elles occultent totalement l’existence d’autres points de vue sur la question. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’une fois encore, les manifestations du 10 septembre soient présentées comme de simples nuisances de la part de quelques privilégiés défendant l’indéfendable, de nostalgiques d’une époque révolue ou de purs et simples extrémistes déjà résignés devant l’inéluctabilité et, en l’occurrence, la prétendue « douceur » de la réforme…

Blaise Magnin

 
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Notes

[1Voir nos copieux dossiers consacrés au traitement médiatique des réformes de 2003 et 2010.

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