En janvier et février 2013, la grève des instituteurs parisiens contre la réforme des rythmes scolaires avait fait l’objet dans les grands médias d’un traitement certes classique, mais non moins cavalier, se contentant le plus souvent de fustiger « le corporatisme enseignant » et un mouvement « incompréhensible et injustifié ».
Quelques mois plus tard, sans complexes et en toute amnésie, les mêmes acteurs tancent cette fois l’institution pour son impréparation, sans jamais reconnaître que les craintes des grévistes étaient peut-être fondées. Quant à des excuses…
Du Parisien au Monde ...
– Spécialiste du genre, Le Parisien Aujourd’hui en France trouve dans cette affaire tous les ingrédients pour fabriquer des Unes racoleuses à souhait. Perdant tout sens de la mesure, il commence le 22 janvier 2013 par verser de chaudes larmes sur le sort des pauvres enfants privés d’école par les grévistes :
Puis, le 2 septembre 2013, soit le jour même de la rentrée, Le Parisien retourne sa veste, anticipe d’éventuels problèmes d’organisation et dénonce un chaos imaginaire :
– Le Monde, qui ne rate jamais une occasion de blâmer la frilosité, voire l’arriération de ceux qui n’applaudissent pas les réformes libérales – quels que soient leur objet, leurs finalités et leurs conséquences –, avait été particulièrement virulent à l’encontre des enseignants qui se mobilisaient contre une réforme qu’ils jugeaient mal pensée. Dès le titre de l’éditorial daté du 22 janvier 2013, le ton était donné : « L’école, ou le triomphe du corporatisme », et la suite se révélait… pire encore : si les instituteurs se mettent en grève, c’est pour éviter « de perdre dans l’affaire un privilège qui remonte à la monarchie de Juillet », ils aggravent de surcroît leur cas en tentant « d’entraîner les parents dans leur combat », bref, le « corporatisme étriqué » dont ils font preuve « est lamentable » !
Pourtant, quelques mois plus tard, Le Monde préfère oublier cette saine colère et, avec un culot certain, titrer sur « Le consensus oublié sur la réforme des rythmes scolaires » avant de demander : « Qui se souvient qu’on parlait encore, il y a un an, d’une réforme faisant "consensus" ? Qu’enseignants, parents, chercheurs, collectivités, associations..., réunis sous les ors de la Sorbonne pour une "grande concertation" estivale, semblaient parler d’une même voix pour dénoncer l’ineptie de la semaine de quatre jours ? »
Plutôt que d’admettre qu’il s’est égaré, qu’il a induit ses lecteurs en erreur, et que les réticences des enseignants pouvaient être fondées [1], le quotidien du soir préfère donc occulter une mobilisation qui lui fait particulièrement horreur et inventer rétrospectivement un « consensus » qui n’a jamais existé, mais qui a l’avantage de justifier a posteriori sa compulsion réformatrice…
… et de Libération au Figaro
– À Libération, le volte-face a été à peu près identique. Après un temps d’hésitation, le quotidien de Rothschild avait fini, le 11 février dernier, par rejoindre Le Monde pour étriller « le monde enseignant, ou ses syndicats » qui, écrivait Nicolas Demorand dans un éditorial intitulé « Paralysie », risquent de finir par incarner « l’archétype le plus achevé du conservatisme ». D’ailleurs, pour Libération, un seul enjeu importait dans ce conflit autour des rythmes scolaires, que les enseignants auraient ignoblement ignoré… Le bien être des élèves ? L’efficacité pédagogique ? Que nenni ! La question nodale était résumée ainsi : « Le ministre vaincra-t-il les corporatismes pour imposer une réforme globalement soutenue par les parents d’élèves ? »…
Comme au Monde, six mois après ces diatribes automatiques pro-réforme, le rétropédalage est complet ! Oublié l’enthousiasme réformateur, à quelques jours de la rentrée Libération doit bien se rendre à l’évidence : « À Paris, la révision des rythmes scolaires ponctuée de fausses notes ». Et d’égrener l’ensemble des objections (justifiées) et des dysfonctionnements (désormais avérés) que les grévistes partisans d’un report de la réforme en 2014 prévoyaient, mais dont la « maison commune de toute la gauche » n’avait pas daigné faire état : « une mise en œuvre encore approximative », une « organisation [qui] patauge encore », une « cohabitation [qui] commence mal » entre les animateurs de la ville et les associations qui les suppléent, des lieux d’accueil pour les enfants qui constituent « encore un objet de bisbille », bref, une « usine à gaz à 50 millions d’euros ».
– Comparativement à celui du Monde et de Libération, le traitement par Le Figaro de ce dossier, qui lui donnait pourtant l’occasion de surenchérir dans un registre qu’il affectionne tout particulièrement, a été… exemplaire [2] ! Qu’on ne s’y trompe pas cependant, ce traitement relativement équilibré peut s’expliquer par la jubilation du quotidien de Dassault à voir un ministre important d’un gouvernement qu’il combat en difficulté…
Pour preuve, en cette rentrée, Le Figaro insiste plus que lourdement sur des dysfonctionnements qui ne concernent après tout que 20% environ des élèves [3], en se faisant l’écho, avec une belle capacité d’écoute envers les syndicats d’enseignants, de préoccupations qui ne sont pourtant pas toujours au cœur de ses priorités éditoriales, comme le bien être des « personnels d’animation qui, eux, sont “stressés” », ou la capacité de la réforme à gommer « des inégalités périscolaires qui vont de 1 à 10 »… Une sollicitude pour les salariés et un souci égalitariste qui font chaud au cœur !
La couverture de la mobilisation des professeurs des écoles contre cette réforme des rythmes scolaires, puis de sa mise en œuvre par quatre des principaux titres de la presse quotidienne nationale révèlent donc des pratiques journalistiques pour le moins... étonnantes. Avec, des résultats inégaux certes, mais le parti pris systématique du Figaro contre le gouvernement ne vaut de manière générale pas mieux que le suivisme et la versatilité du Parisien, du Monde et de Libération… Et dans tous les cas, l’information sur la réalité du monde de l’éducation est la victime de petits jeux partisans et d’a priori idéologiques.