Le 12 septembre dernier, en pleine polémique sur le ras-le-bol fiscal, et alors que les Français recevaient leurs avis d’imposition, trois des hiérarques de la rédaction du Monde badinaient sur Twitter à propos de cet « évènement » qu’ils considéraient visiblement comme funeste. Des échanges relayés par un « twittos » sarcastique :
Visiblement, les « très hautes fonctions » occupées au Monde, par Arnaud Leparmentier, rédacteur en chef, Raphaëlle Bacqué, grand reporter (le grade le plus élevé pour les rédacteurs expérimentés qui ne souhaitent pas intégrer les postes d’encadrement), et Olivier Biffaud, chef du service newsdesk (service assurant les relations entre les rédactions « papier » et numérique), leur font perdre le sens des réalités
Pour que l’on puisse prendre la mesure de l’effrayant racket fiscal qu’ils semblent subir et à propos duquel ils se sont empressés de se répandre sur Twitter, il aurait été intéressant qu’ils précisent le montant de leurs revenus… Lesquels, s’ils sont sans doute très loin d’atteindre les sommets indécents de certains de leurs confrères du petit écran, sont tout de même, à coup sûr, sans commune mesure avec le salaire médian des Français…
D’autant que nos trois croisés du « ras-le-bol fiscal » se sont bien gardés de préciser qu’ils bénéficient d’une niche fiscale propre aux journalistes, sous la forme d’un abattement forfaitaire de 7650 euros.
Cet avantage fiscal a des effets très… ambigus. C’est vrai : il bénéficie d’abord aux journalistes les moins bien payés (et ils sont nombreux…). Mais cette forme indirecte d’aide à la presse dispense son patronat d’augmenter les salaires autant qu’il le faudrait.
Faut-il supprimer ce dispositif qui profite à l’élite de la profession, tout en ayant des effets mitigés sur la situation salariale des soutiers mal payés des rédactions, toujours plus nombreux et précaires ? Pas si simple, du moins si les journalistes les plus mal payés ne sont pas en mesure d’imposer les compensations salariales qu’ils méritent. Faut-il envisager une extinction progressive du dispositif, étalée sur trois ans comme le propose le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIL) ? C’est une question de rapports de force. L’avantage fiscal concédé aux journalistes profite aussi aux entreprises de presse qui peuvent ainsi pratiquer une certaine modération salariale – notamment eu égard au niveau de qualification moyen de la profession –, et elles seraient sans doute peu enclines à revaloriser les salaires de tous leurs journalistes si la niche fiscale était supprimée… Défense d’un « acquis social » ambivalent ou suppression sans garantie de compensation ? Pour sortir de cette alternative, un examen plus détaillé de la question est nécessaire. Nous y reviendrons plus longuement sous peu.
Toujours est-il que, jamais avares de leçons de civisme ou d’intérêt général, ces trois journalistes semblent oublier que dans un État démocratique le consentement à l’impôt est un des fondements de la citoyenneté… Ils semblent également oublier que les impôts qu’ils rechignent à payer serviront indirectement à abonder les finances chancelantes du quotidien qui les emploie et qui a touché près de 17 millions d’euros de l’État en 2011, au titre des aides à la presse. Mais les jugements à l’emporte-pièce et l’absence de cohérence intellectuelle n’ont jamais empêché de devenir de « grands journalistes »…