Le dessin de Plantu mérite une fois encore d’être reproduit.
Ce dessin a suscité de toutes parts des critiques plus au moins virulentes… jusque dans le courrier adressé au médiateur du Monde, arbitre des élégances, chargé de désamorcer les critiques qu’il mentionne : ce qu’il fait, sous le titre « Les intouchables ? ».
Parmi les critiques adressées au Monde figurait une lettre (qu’on lira en « Annexe ») du secrétaire général de la CGT, demandant un droit de réponse. Le médiateur mentionne une phrase qui soutient le droit à la critique, mais « oublie » celles qui justifient, aux yeux de la CGT, la demande d’un droit de réponse dont le médiateur ne mentionne pas l’existence dans le quotidien... alors qu’il la découvre sur son blog (comme on le verra plus loin).
Droit de réponse censuré
Que croyez-vous qu’il lui arriva ? Cette demande alla rejoindre la vaste poubelle où s’entassent innombrables demandes de droit de réponse. Avec pour argument, apparemment imparable, la jurisprudence :
« Le droit de réponse réclamé ce lundi par le secrétaire général du syndicat, Thierry Lepaon, est lui resté lettre morte – une telle demande est non recevable selon la jurisprudence concernant la publication de photos ou de dessins de presse », écrit le Médiateur sur son blog, avant de préciser, non sans prudence : « Il [le droit de réponse] n’apparaît cependant pas totalement illégitime sur le fond […] »
On relèvera en passant que Pascal Galinier, Médiateur du Monde, est beaucoup moins audacieux quand il écrit pour le quotidien que Galinier Pascal quand il écrit sur son blog.
En vérité, en refusant de publier ce droit de réponse la direction de la rédaction du Monde est d’abord solidaire d’elle-même, si l’on en croit, une dépêche de l’AFP du 4 octobre (« Le Monde défend Plantu contre les critiques de la CGT ») [3] : « Chaque matin, Plantu envoie au Monde cinq ou six dessins et la direction de la rédaction en choisit un destiné à la Une. “Au-delà de Plantu, il y un choix éditorial qui doit être assumé”, ont dit à l’AFP plusieurs journalistes du Monde. La Société des rédacteurs du Monde (SRM) a préféré quant à elle s’abstenir de toute prise de position publique, malgré le vif débat interne qu’a provoqué la publication du dessin. »
S’il se vérifie que c’est un choix qu’elle a effectué parmi d’autres dessins, la responsabilité de la direction du Monde est aussi totale que l’indépendance qu’elle revendique, en publiant un dessin qu’elle juge compatible avec son orientation éditoriale.
Droit de réponse libéré
Plantu outragé ! Plantu martyrisé ! Mais Plantu libéré ! Libéré par lui-même, puisqu’il bénéficia dans Le Monde, sous le titre « Plantu persiste et signe » du droit de répondre au droit de réponse que Le Monde ne publia point ! Et quand Plantu écrit au lieu de dessiner, il répond qu’il a le droit – que personne ne lui conteste – de dessiner ce qu’il veut, que la CGT « fait interdire depuis 1945 tout dessin qui le mettrait en cause après une grève » (un scoop !) et que « interdire d’aller à l’école ou interdire d’aller travailler le dimanche est un problème d’intolérance » Quelle finesse ! Peu importe ce qui est interdit, interdire est intolérant !
Tolérant, Plantu l’est indiscutablement quand il met son talent incontestable au service d’un dialogue interculturel plutôt surprenant, comme ce fut le cas le 20 décembre 2010. Ce jour-là, il se fit remettre, par l’ambassadeur de la grande démocratie qu’est… le Qatar, Mohamed Al Kuwari, le prix « Doha capitale culturelle arabe », assorti de la somme de 10 000 euros. Au cours de ses remerciements, il avait une fois de plus fait la démonstration de sa lucidité et de sa hauteur de vue : « Que ce soit au Qatar ou au Proche-Orient, j’apprends beaucoup sur la liberté d’expression et sur la liberté de penser. » Comme nous le rappelions alors, le Qatar est l’un des pays les plus liberticides du monde. En 2010, Reporters sans frontières le classait à la 121e place (sur 178 pays) pour la liberté de la presse.
Mais comme le droit de critiquer Plantu est une atteinte à la dignité de tous ses confrères en journalisme, Europe 1, le 4 octobre, s’empressa d’accueillir confraternellement le proscrit pour qu’il puisse se répandre à nouveau. Et le site de cette très tolérante radio publia (sous le titre : « Plantu dénonce "la fatwa de la CGT" ») un joyau : caricature de lui-même, Plantu se caricature à nouveau en présentant la demande de droit de réponse de la CGT – un simple droit de réponse… – comme une « fatwa ». Et comme un amalgame ne va jamais seul quand les neurones font des nœuds, Plantu s’offre et nous offre ce mélange de tout avec le reste :
« Le fait de voir toute la polémique autour… C’est une autre fatwa ! C’est la fatwa de la CGT. Il faut savoir que tous les dessinateurs de presse depuis 1945 n’ont jamais le droit de critiquer le Syndicat du Livre-CGT. Les dessinateurs danois n’ont pas le droit de dessiner Mahomet, les dessinateurs français n’ont pas le droit de critiquer la CGT ! »
Sauvons le soldat Plantu malgré lui : personne ne lui conteste le moindre droit de critiquer. Mais lui espère réduire au silence toute critique en les assimilant à des actes de censure. Il bénéficie pour cela du concours du service public, comme on va le lire.
Le Soir 3 à la rescousse…
Trois jours après le fameux dessin, le JT de la nuit de France 3 semble vouloir revenir sur l’affaire… mais ce n’est que pour mieux redorer le blason du dessinateur (comme permet de le vérifier la transcription intégrale que l’on peut lire en « Annexe »).
Dès l’annonce des titres, « Plantu le poil à gratter », auteur de « provocations à dessein », est dépeint de la sorte : « Son trait est parfois redouté et destiné aussi à faire sourire ou à passer des messages, le dessinateur Plantu met son talent au service de la paix » [4].
C’est en fin du JT, après un débat plutôt opportun sur « l’ouverture des magasins le dimanche, la semaine de quatre jours et demi à l’école : comment gérer le temps » [5], qu’intervient le sujet (que l’on peut revoir ici même).
Le présentateur du Soir 3, Francis Lettelier l’introduit en grande pompe : « Chaque jour, il signe à la Une du journal Le Monde son éditorial à lui, sous forme de dessin », allant même jusqu’à l’apparenter à « une institution ». Car « Plantu fait sourire et parfois même, grincer des dents », rappelant ainsi qu’ « il y a quelques jours, c’était un croquis à propos du travail du dimanche […] ». Cette fugitive allusion à un dessin que la plupart des téléspectateurs n’ont pas vu les informe avec une rare précision. Pas grave, puisque, nous dit-on il ne s’agissait que d’un « croquis »… peut être un peu trop vite esquissé pour être véritablement réfléchi ! Non, il ne fallait pas y voir de la malveillance car avant tout « […] Plantu est aussi un homme engagé pour la paix » !
S’ensuit alors un bref reportage, intitulé « Les dessins pour la paix de Plantu », à l’occasion d’une invitation du dessinateur le soir même à l’Institut du monde arabe « pour raconter son œuvre ». On apprend que « Plantu le polémiste, le corrosif […] nous invite à réfléchir », et ce grâce à « l’esprit critique et un dessin »… Et tout cela, il le fait « simplement par la magie d’un coup de crayon et cela fait 40 ans que ça dure ». Quand on vous dit, que c’est une institution !
Une très furtive captation de l’intervention, devant un auditoire semble-t-il assez réduit, laisse entendre en fond, le caricaturiste affirmer : « On a une opinion… ». Ah bon ? Affirmation aussitôt reprise par le commentaire du journaliste, qui souligne : « Avoir un esprit libre sans concession, comme pour son dessin de mardi dernier qui a su créer la polémique ». Plantu « avec ses armes » nous livre alors son explication :
« Justement le dessin c’est fait pour ça, pour qu’on puisse alimenter l’débat » et de renchérir par un nouvel apport brillant au débat : « Regardez ce dessin là que j’ai fait ce matin [montrant et décrivant son dessin] : "Travailler le dimanche". Et puis y’en a un qui vend L’Huma Dimanche et qui dit : "Oh chef, ça vous embête si je vends L’Huma Dimanche plutôt le mercredi ?" Bon ben voilà !… ». Pas de doute, c’est clair, limpide, et le choix de « L’Huma Dimanche » n’est sûrement que fortuit…
N’allez surtout pas croire que Plantu charge la bête, rouge dans ce cas, qu’elle soit cégétiste ou affiliée. Car comme reprend le journaliste « Plantu c’est aussi le dessinateur du trait d’union. Avec ces deux signatures en mai 1991, sur un même dessin, Arafat le Palestinien, Shimon Perez l’Israélien, deux territoires côte à côte ». C’est oublier un peu vite que le trait d’union est séparé par un mur de part et d’autre duquel un dessin-éditorial de Plantu, en septembre 2003, renvoyait dos à dos Israéliens et Palestiniens, comme on peut le vérifier ici-même.
Les journalistes de France 3 nous offrent alors cette confidence savoureuse de Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe : « Bien sûr qu’il s’attaque parfois aux puissants du moment, ou à l’ordre établi, qu’il met en dérision ». Et l’amateur des arts et belles lettres, de poursuivre : « Mais, au-delà de tout, sa subversion, s’il y a une subversion, elle vient de sa poésie intérieure… ». La colombe, doublée du poète…
Et le reportage de terminer par cette conclusion, sinon édifiante, qui a vocation avant tout à clore toute polémique ultérieure : « Ce soir, Plantu l’éditorialiste poil à gratter, voulait surtout, dessiner la paix. »
Rideau !
Henri Maler et Nils Solari
Annexes
– Demande de droit de réponse de la CGT (1er octobre 2013).
– Communiqué de la CGT (7 octobre 2013) : « Quand Le Monde censure la CGT... ».
– Transcription du « Soir 3 » du 4 octobre 2013.
(1) Demande de droit de réponse de la CGT (1er octobre 2013)
adressé à Madame Natalie NOUGAYRÈDE, Directrice du Monde, 80 boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris CEDEX 13
Montreuil, le 1er octobre 2013
Madame la Directrice,
J’ai pris connaissance avec consternation, dégoût et tristesse du dessin signé Plantu et publié à la Une du Monde daté du 1er octobre 2013.
L’objectif et le ressort du dessin de presse est de susciter la réflexion et la réaction du lecteur sur un registre décalé de l’argumentation ou du raisonnement. Que la posture de la CGT soit remise en cause, moquée, voire ridiculisée ne nous a jamais choqué, c’est la règle du jeu de la presse dans une société démocratique. Le miroir que celle-ci nous renvoie parfois peut même s’avérer salutaire. Nous le prenons comme un élément du débat, de la confrontation des idées, des points de vue et des convictions.
Mais le parallèle que fait le dessin de Plantu entre la CGT et la face la plus violente d’un extrémisme politique liberticide ne relève pas de ce registre-là. Il est non seulement indécent mais également antirépublicain. Il nous déshonore tous.
Veuillez agréer, Madame la Directrice, mes salutations distinguées.
Pour la Commission exécutive confédérale de la CGT
Thierry LEPAON
Secrétaire général de la CGT
(2) Communiqué de la CGT (7 octobre 2013) : « Quand Le Monde censure la CGT... »
Le Monde a refusé un droit de réponse au secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon qui dirige la première confédération syndicale française, suite au dessin de Plantu tirant un trait d’égalité entre un islamiste et un cgtiste à propos du travail du dimanche. La direction du Monde a choisi, dans son édition datée du 5 octobre, de laisser le médiateur s’exprimer sur la question, en reprenant des extraits du droit de réponse mais sans publier le passage où monsieur Lepaon mettait en cause le choix du Monde : « […] le parallèle que fait le dessin de Plantu entre la CGT et la face la plus violente d’un extrémisme politique liberticide ne relève pas de ce registre-là. ll est non seulement indécent mais également antirépublicain. Il nous déshonore tous. » Drôle de méthode…
La Direction du Monde a beau se draper dans sa virginité vespérale, l’ouverture des colonnes du journal à la CGT aurait permis d’instaurer un dialogue démocratique et le droit des lecteurs d’avoir un autre point de vue que celui du dessinateur vedette…
Peut-être aussi d’éclairer le lectorat du journal du boulevard Blanqui sur les raisons qui contraignent les salariés à travailler le dimanche et le soir, par exemple en raison de la modicité de leur salaire, notamment des femmes qui subissent des mi-temps contraints, etc.
Et par exemple de savoir que si les grandes chaînes de magasins – nullement en difficultés économiques, leurs profits croissant sur le dos des salariés – appliquaient le SMIC à 1700 euros comme le propose la CGT, il y aurait certainement moins de volontaires pour travailler le dimanche et le soir.
Au lieu de cela on peut lire sous la plume du médiateur les sempiternelles rengaines du dessinateur sur la nécessité de combattre « toutes les formes d’intolérance », justifiant l’injustifiable pour expliquer le parallèle fait entre l’islamiste barbu et le cgtiste éructant.
Ce refus est mal venu au moment où de tels amalgames font le lit des idées véhiculées par le FHaine. Un parti frère sur le plan idéologique des néonazis de l’Aube Dorée en Grèce qui boxe les journalistes, tabasse les émigrés, mais aussi les syndicalistes…
Pour sa part le SNJ-CGT n’a pas de leçon à recevoir sur le droit des journalistes et des caricaturistes à s’exprimer librement. En général ce sont plutôt les patrons de presse qui contraignent les rédactions à l’autocensure. Aux licenciements. Et ailleurs dans le monde nous avons toujours défendu ceux qui caricaturaient Mahomet et ceux qui comme en Turquie actuellement sont dans les geôles d’Erdogan, dont le pays est la plus vaste prison de journalistes au monde...
Vérité en deçà du boulevard Blanqui, erreur au-delà ?
Montreuil, le 7/10/2013
(3) Transcription de « Soir 3 » du 4 octobre 2013 (Sujet à 18’38)
Présenté par Francis Letellier
[En annonce du Soir 3] : « Plantu le poil à gratter. Provocations à dessein »
« Son trait est parfois redouté et destiné aussi à faire sourire ou à passer des messages, le dessinateur Plantu met son talent au service de la paix ».
Francis Letellier : « Chaque jour, il signe à la Une du journal Le Monde son éditorial à lui, sous forme de dessin. Une institution. Plantu fait sourire et parfois même, grincer des dents. Il y a quelques jours, c’était un croquis à propos du travail du dimanche justement on en parlait [en référence au débat précédent sur le plateau]. Mais Plantu est aussi un homme engagé pour la paix. Hervé Guttmann et Philippe Lagaune l’ont suivi ce soir, à l’Institut du monde arabe à Paris ».
18’57 : Sujet intitulé « Les dessins pour la paix de Plantu »
Voix off du journaliste : « Plantu le polémiste, le corrosif, simplement par la magie d’un coup de crayon et cela fait 40 ans que ça dure. Ce soir, invité à l’Institut du monde arabe pour raconter son œuvre, c’est par l’esprit critique et un dessin qu’il nous invite à réfléchir. »
Plantu en fond… : « On a une opinion… »
Voix off du journaliste : « Avoir un esprit libre sans concession, comme pour son dessin de mardi dernier qui a su créer la polémique, et avec ses armes, il s’en explique ... »
Plantu (présenté comme « dessinateur de presse et caricaturiste ») : « Justement le dessin c’est fait pour ça, pour qu’on puisse alimenter l’débat. Regardez ce dessin là que j’ai fait ce matin [montrant et décrivant son dessin] : « Travailler le dimanche. Et puis y’en a un qui vend l’Huma Dimanche et qui dit : "Oh chef, ça vous embête si je vends l’Huma Dimanche plutôt le mercredi ?" Bon ben voilà… »
Voix off du journaliste : « Et pourtant Plantu c’est aussi le dessinateur du trait d’union. Avec ces deux signatures en mai 1991, sur un même dessin, Arafat le Palestinien, Shimon Perez l’Israélien, deux territoires côte à côte. »
Insert d’une interview de Jack Lang (président de l’Institut du monde arabe), en marge de la conférence :
Jack Lang : « Bien sûr qu’il s’attaque parfois aux puissants du moment, ou à l’ordre établi, qu’il met en dérision. Mais, au-delà de tout, sa subversion, s’il y a une subversion, elle vient de sa poésie intérieure… »
Voix off du journaliste : « Ce soir, Plantu l’éditorialiste poil à gratter, voulait surtout, dessiner la paix… » [fin à 20’13]