Les propositions du Front de gauche, affinées depuis notre article du 30 août 2011, tranchent nettement avec la timidité gouvernementale, qui se place dans la continuité du programme du Parti socialiste et de celui de son candidat devenu Président de la République que nous avions examinés en leur temps.
En discutant ces propositions et en les confrontant aux nôtres (le cas échant pour les enrichir) nous poursuivons un débat entamé à plusieurs occasions, notamment à l’occasion d’une invitation d’Henri Maler pour Acrimed à une soirée organisée par le Parti de Gauche et dont la vidéo, sous le titre « Pour un service public de l’information et de la culture » est disponible sur notre site.
1. Le CSA et le périmètre du pôle public des médias
Le document du 6 juin avance les propositions suivantes :
- « création d’États Généraux des Médias et d’un Conseil supérieur des médias (CSM) qui contrôlera le respect des obligations ; assurera les fonctions actuelles du CSA, du BVP (bureau de vérification de la publicité) [1] et de l’ARCEP. Il élaborera un statut des médias publics, privés et associatifs en relation avec les syndicats. Sa composition sera tripartite : parlementaires en fonction de leur importance au Parlement, syndicats et citoyens (dans un collège usagers) ; son président(e) sera élu(e) par le Conseil sur proposition du président de l’Assemblée bationale. Il rendra compte de son travail devant les États Généraux des Médias et sollicitera le Parlement ;
- élection des PDG de l’audiovisuel public par les Conseils d’administration, sur proposition du CSM et sur un projet d’entreprise. »
Ces propositions peuvent être confrontées avec les nôtres, telles figurent notamment dans l’article « En finir avec le CSA ! Pour un Conseil national des médias… de tous les médias ». Conseil Supérieur des médias ou Conseil national des médias ? Peu importe la dénomination : l’essentiel réside dans la composition et les missions envisagées. De ce point de vue, l’effort de clarification est louable même si nous regrettons :
- que la constitutionnalisation de ce Conseil ne soit pas envisagée : la notion même d’un quatrième pouvoir aurait ainsi un contenu ;
- que la représentation des forces politiques soit restreinte aux seuls parlementaires représentants des partis politiques ayant des élus au Parlement. Que l’on soit favorable ou non au scrutin majoritaire (et le Front de gauche soutient le scrutin proportionnel), il n’existe aucune raison pour ne pas appliquer en ce cas, ainsi que nous le proposons, une représentation strictement proportionnelle (sur la base pas exemple des résultats au premier tour des élections législatives). S’en tenir à la représentation parlementaire (non seulement à l’Assemblée nationale, mais également au Sénat) perpétuerait un véritable déni de démocratie.
En ce qui concerne les États Généraux des Médias, ils seraient, selon le coordinateur du Front de gauche sur la question des médias, Jean-François Téaldi, « composés de professionnels, parlementaires, associations, ayant un rôle de suivi des média et un pouvoir d’interpellation du Conseil supérieur des média et des conseils d’administration des chaînes » [2]. Cette idée intéressante mérite d’être approfondie afin de préciser les prérogatives de ces États Généraux et leur articulation avec le Conseil supérieur (ou national…) des médias.
Mais, aussi intéressantes soient-elles, ces propositions ne sauraient masquer certaines omissions sur des questions d’importance : silence sur la « déprivatisation » (ou « renationalisation ») de TF1, voire de France Télécom/Orange, ou sur l’intégration de l’AFP à un service public de l’information et de la culture, qu’Acrimed revendique. Ces lacunes notables avaient certes été comblées par les réponses de Jean-Luc Mélenchon alors candidat à l’élection présidentielle, à nos questions, publiées les 5 et 13 avril 2012 :
« La privatisation de cette chaîne a été un bradage d’un bien public sans aucune conséquence positive pour le paysage audiovisuel français. Il faut donc envisager la réintégration de TF1 dans le service public […] Nous créerons un pôle public des médias qui rassemblera les réseaux de diffusion, de communication et les moyens de production de France Télévisions, Radio France, l’Audiovisuel Extérieur de la France, l’INA, l’AFP […] Nous assurerons la maîtrise publique des infrastructures, des centres de production, de diffusion, de recherche et des réseaux d’information, grâce à un pôle public industriel des télécommunication. » [3]
Ces propositions bienvenues de Jean-Luc Mélenchon n’ont donc pas été intégrées au document du Front de gauche. Silence également sur la place des médias coopératifs dans la refondation d’un service public de l’information et de la culture. Leur créativité, mais aussi la qualité de bon nombre d’entre eux apportent d’ores et déjà et apporteraient sans aucun doute, s’ils étaient effectivement soutenus au lieu d’être laissés, peu ou prou, à l’abandon, un renouvellement, une diversification, y compris sociale, et une amélioration des programmes.
Pour lever toute ambiguïté, il est donc décisif que le Front de gauche précise ses intentions sur ces points. Comment en effet envisager qu’un service public de l’information et de la culture puisse lutter à armes égales avec le secteur privé s’il est amputé de la première chaîne de télévision européenne (TF1) et de l’AFP ? Comment concevoir un tel service public si l’on considère qu’il ne peut être garanti que par un secteur public, à l’exclusion des médias associatifs et coopératifs ?
2. Le financement
Le document du 6 juin 2013 prévoit :
- « l’inscription dans la Constitution de la pérennité de financement pluriannuel de l’audiovisuel public comme le préconisait le Rapport Clément ;
- la contribution à l’audiovisuel public (CAP) dont le montant, proportionnel aux revenus, doit s’inscrire dans un plan pluriannuel d’augmentation progressive afin de parvenir au niveau moyen européen ;
- l’abrogation des « décrets Tasca », qui interdisent de facto aux chaînes de télévision publique d’avoir des retours sur investissements, notamment avec le développement du numérique. »
Pour être tout à fait précis, le rapport de la philosophe Catherine Clément remis au ministre de l’époque Jean-Jacques Aillagon le 10 décembre 2002 préconise exactement « l ’inscription du service public de l’audiovisuel dans le préambule de la Constitution, au même rang, à la même dignité que l’Éducation nationale », et le justifie ainsi : « Comme l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés, le service public de l’audiovisuel (radio et télévision) est un devoir de l’État [4]. » Une proposition qui va donc au-delà de la seule problématique du financement du service public de l’audiovisuel dont l’inscription dans une Constitution, fût-ce pour le pérenniser, n’est peut-être pas souhaitable.
En revanche, on ne peut que soutenir, ainsi que nous l’avons fait à plusieurs reprises, l’exigence d’abrogation des « décrets Tasca » et la proposition d’augmentation progressive de la redevance, rendue proportionnelle au revenu.
Pour augmenter les ressources de l’audiovisuel public, le document du 6 juin suggère en outre :
- « vu l’évolution des pratiques pour accéder aux programmes télévisuels, taxer non plus les seuls téléviseurs mais l’ensemble des moyens de réception de la télévision ;
- revenir sur l’accord Google et taxer les agrégateurs de contenus ;
- maintenir la publicité dans l’attente d’un financement pérenne. »
On ne peut que soutenir les deux premières propositions – sur lesquelles nous ne nous étions pas prononcés jusqu’alors. Il est néanmoins indispensable que le financement en provenance d’internet – dont le libre accès gratuit et la neutralité doivent être garantis sans restriction – soit lui aussi régulé pour éviter de laisser les forces du « marché », notamment Google, imposer leur loi du « plus fort ».
Reste la délicate question de la publicité Même si l’on considère que la publicité commerciale est nocive, la troisième proposition demeure malheureusement indispensable dans un contexte de sous financement public [5]. La supprimer brutalement sans contrepartie au moment où le gouvernement pratique, dans ce domaine aussi, l’austérité reviendrait à signer l’arrêt de mort de France Télévisions, déjà menacé d’asphyxie, et à ouvrir la porte à une privatisation « à la découpe » du groupe.
Dans sa réponse, publiée le 13 avril 2012, à nos questions aux candidats à l’élection présidentielle de 2012 sur le service public et les médias associatifs, Jean-Luc Mélenchon proposait en outre qu’un « prélèvement sur les recettes de la publicité et sur les opérateurs de télécommunications sera assuré pour alimenter un fonds de répartition géré par l’État en faveur du pôle public des médias. » Une proposition qui n’a pas été reprise par le Front de gauche dans son document de juin.
Si elles ne concernent pas à proprement parler le financement, il faut aussi saluer les propositions du Front de gauche concernant les droits des salariés du secteur public de l’audiovisuel :
- « requalifier les précaires en situation de CDI » ;
- « donner plus de place aux syndicats dans les conseils d’administration (50 % minimum) et des droits nouveaux aux comités d’entreprises, notamment un droit de veto sur les orientations stratégiques. »
La mise en œuvre de la première mesure sortirait de nombreux contractuels de leur précarité et les mettrait à l’abri en période de « disette » budgétaire, et la seconde pourrait constituer une arme potentiellement efficace contre les mesures de réduction de « voilure », voire même de privatisation partielle du groupe.
Les propositions du Front de gauche, si elles suscitent des objections et appellent des précisions permettent de poursuivre le débat sur l’avenir de l’audiovisuel public et du CSA, hélas « sous respiration artificielle ». Un débat auquel concourent également d’autres propositions que nous rappelons en « Annexe ». Un débat indispensable pour construire le projet complet et cohérent nécessaire à la création d’un service public de l’information et de la culture émancipé de ses pesantes tutelles économiques et politiques. Un débat, enfin, qui gagnerait à être porté jusque… dans les médias audiovisuels ! [6]
Benjamin Lagues et Denis Perais
Annexes
– Le document du Front de gauche
– D’autres propositions
I. Le document du Front de gauche du 6 juin 2013
« Médias. Pour une vraie Loi sur l’Audiovisuel public et le CSA »
II. D’autres propositions
Parmi elles :
1. Les propositions contenues dans une première déclaration « Des états généraux pour une information et des médias pluralistes » qui avait regroupé en 2006 diverses associations et syndicats, et/ou dans une deuxième mouture de cette plateforme critique qui avait vu s’associer plusieurs formations politiques ainsi que deux représentants du... Parti socialiste directement concernés par le sujet à cette époque là : Anne Hidalgo, secrétaire nationale à la Culture et aux Médias et Stéphane Pellet, délégué chargé des médias [7]. Nombre des propositions qui suivent, émanant de forces syndicales et politiques, figurent dans ces deux déclarations (comme la renationalisation de TF1 et de France Télécom/Orange, l’intégration des médias associatifs d’un côté, de l’AFP de l’autre, à un service public des médias, ou encore l’abrogation des décrets Tasca).
2. Les propositions du SNJ et du SNJ-CGT qui réclament « l’abrogation des « décrets Tasca », le second revendiquant également, l’intégration de l’AFP à un pôle public des médias.
3. Les propositions du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) contenues dans sa brochure intitulée « Tout changer, les médias aussi ! » [8]
4. Les propositions d’Europe-Ecologie-Les Verts présentées, dans son programme validé en décembre 2011 [9], de regrouper toutes les autorités administratives indépendante (AAI), dont le CSA donc, dans le giron d’« une Haute Autorité citoyenne [...] chargée de coordonner [leurs] missions [avec l’instauration du] droit de saisine direct et gratuit de ces AAI par toute personne physique ou morale [...], ces [institutions] ayant le droit (comme dans d’autres pays européens) de procéder à des injonctions à l’égard de l’administration et, dans certains cas, à l’égard des personnes morales de droit privé des différentes autorités » (page 86).
Différent d’un droit de saisine par le CSA des juridictions compétentes en cas de transgression des dispositions législatives en matière de pluralisme médiatique ou de concentration qu’Acrimed revendique, la proposition du parti écologiste, pour peu qu’elle soit précisée, pourrait en être un utile complément.