Un plan de licenciement
Le mardi 15 octobre, la direction de France Télévisions a présenté devant le Comité central d’entreprise du groupe un plan de licenciements portant sur 361 postes de techniciens, administratifs et journalistes permanents. Manifestement, ce plan a été rédigé dans l’urgence : il fallait de toute hâte inscrire ces économies dans le Com (Contrat d’objectifs et de moyens) dont la signature, prévue initialement en février 2013, n’avait que trop tardé. Ce plan représente une intensification d’une politique d’économies déjà à l’œuvre… et n’est sans doute qu’un commencement.
Aux suppressions d’emploi prévues dans le cadre du plan de licenciement s’ajoutent plusieurs centaines de postes déjà gelés, ainsi qu’un « plan social bis » concernant les non-permanents (CDD, intermittents…) qui constituent environ 20 % des effectifs. L’objectif : la disparition de 500 équivalents temps-plein, qui devront accepter, en échange d’un chèque, une forme d’interdiction professionnelle : manière pour France Télévisions de diminuer l’emploi tout en se protégeant des procédures prud’homales.
Le chiffrage des syndicats permet de donner un aperçu de l’ampleur de la saignée imposée par la direction : sur les 10000 salariés à temps plein que compte le groupe, les suppressions d’emploi représentent environ près de 10 % des effectifs.
Un avenir encore plus sombre
Mais le pire est peut-être à venir. « La tutelle », comme on dit (c’est-à-dire le gouvernement), a décidé de soustraire 320 millions d’euros de subventions publiques sur la durée du Contrat d’objectifs et de moyens 2013/2015, soit l’équivalent de 10 % du budget ! Comme le dit la présentation officielle du plan, le secteur audiovisuel apporte ainsi sa « contribution à la réduction des déficits publics ».
Autant dire que le plan en question n’est sans doute qu’une première salve dont la justification, somme toute, n’est ni vraiment stratégique, ni pas purement économique, mais politique, puisqu’elle s’inscrit dans le pacte d’austérité négocié par Nicolas Sarkozy et signé par François Hollande avec Angela Merkel. Dans ces conditions, la direction de France Télévisions explique qu’il n’y a pas d’alternative aux coupes dans la masse salariale pour combler le déficit et martèle que « le plan est incontournable. »
Mais ces premières économies risquent de ne pas suffire, et l’étape législative qui s’annonce sera cruciale. La « grande loi audiovisuelle » prévue pour le printemps 2014 doit, en effet, définir le périmètre, la stratégie à long terme, et surtout le financement de la télévision publique.
Cette loi sera préparée par la mission d’élus et d’experts, chargée, d’ici fin décembre, de définir l’avenir de France 3 qui, il faut le rappeler, représente environ la moitié des effectifs de France Télévisions. Trop sans doute quand l’austérité impose des économies. Plus généralement, dans un contexte de crise, de reflux des recettes publicitaires et de baisse de la dépense publique, le gouvernement cherche à réaliser avant tout des économies de structure et de masse salariale…
… Des économies qui restent pour l’instant à géométrie variable : dans le plan social actuel, aucun poste n’est supprimé à la rédaction nationale de France 3 et à la rédaction de France 2, même si ce n’est sans doute que partie remise. La fusion des rédactions nationales, en principe prévue à l’horizon 2015, s’accompagnera surement de licenciements. Aujourd’hui ce sont surtout les régions de France 3 et France Ô qui sont visés. La future loi prévoit de revoir le cahier des charges, les missions de France 3 et France Ô. Et tout semble indiquer que le maillage du pays, l’information et les programmes de proximité sur l’ensemble du territoire seront remis en cause.
Une politique schizophrène
Avec ce plan de licenciements, imposé au mépris de toute concertation avec les syndicats de France Télévisions, la direction fait montre de toute la schizophrénie de la politique du gouvernement en matière d’audiovisuel public. D’un côté, réduire brutalement les effectifs et les moyens, de l’autre conserver des objectifs ambitieux de service public.
Parmi ces objectifs, France Télévisions doit développer le tout numérique. Le groupe participe à 15 % de l’organisme en charge de la mise en place de la télévision numérique terrestre, qui finance des dossiers d’aide aux collectivités locales.
France Télévisions doit assurer les programmes et l’information en région et permettre le développement des chaînes premières d’outremer, alors même que le plan de licenciement y affecte directement les capacités de fabrication du groupe et contribue à réduire encore la dimension régionale de France 3, en poussant davantage la logique des mutualisations des antennes régionales et la réduction du temps d’antenne qui leur est dédié.
Enfin, comme nous l’indiquions dans notre précédent article, France Télévisions doit faire des économies supplémentaires, tout en contribuant à la production audiovisuelle dont 60 % provient de la commande publique en France. Mais France Télévisions, sous-financée, n’arrive pas à alimenter une industrie audiovisuelle digne de ce nom. Résultat : toutes chaînes confondues (publiques et privées), le volume de production des fictions est l’un des plus faibles d’Europe.
Sous-financée, France Télévisions souffre d’une faiblesse structurelle. Les « décrets Tasca » lui interdisent de produire en interne plus de 5 % de ses programmes. Dans le même temps, elle est tenue de consacrer 400 millions d’euros (dans le nouveau COM, il y a 20 millions d’euros d’obligations en moins) à des achats de programmes audiovisuels que se partagent une quarantaine de producteurs. Une externalisation de la production financée par le régime de l’intermittence qui garantit des profits indécents à quelques producteurs tout en dépossédant France Télévisions de son propre patrimoine.
… Une situation telle que des députés du PS s’en alarment… un peu :
Comme le pire n’est pas certain, il est encore possible que la future « grande loi » audiovisuelle, prévue pour le printemps prochain, redonne un peu d’oxygène aux chaînes « premium » nationales. Avec à la clé une réécriture des décrets Tasca pour que ces chaînes puissent disposer de droits patrimoniaux sur les fictions et les documentaires qu’elles financent. Une urgence vu l’arrivée de la télé connectée et l’impossibilité pour les chaînes publiques de disposer d’un catalogue ré-exploitable sur tous les modes de diffusion...
Cette modification de la loi semble aujourd’hui faire consensus malgré les cris d’orfraie du lobby des producteurs. Si le gouvernement fait le choix d’une certaine audace, la modification des décrets pourrait même entrainer une ré-internalisation partielle de la production et un maintien, voire un certain développement de l’outil de production (cars de production lourde, studios...). Mais l’audace du gouvernement n’étant pas sa principale vertu… la vigilance s’impose.
Face à l’ampleur du plan de licenciement et l’absurdité de cette politique, les syndicats se mobilisent : un préavis de grève pour le 7 novembre 2013 a été déposé le 16 octobre par toutes les organisations syndicales représentatives de France Télévisions.
Au lendemain du dépôt du préavis de grève, la direction a reçu les représentants des différentes organisations à l’occasion d’une réunion de « dialogue social »… au terme duquel elle a réaffirmé sa volonté d’imposer tel quel le plan de licenciement. Le préavis de grève a été maintenu, et les élus cesseront de siéger aux futures réunions tant que la direction refusera de retirer son plan.
En matière d’audiovisuel public, le « changement » annoncé par le candidat Hollande prendra donc la forme d’une continuité d’avec les politiques menées par Nicolas Sarkozy : asphyxie progressive des moyens financiers de France Télévisions (déjà largement entamée avec la suppression sans contrepartie de la publicité après 20h) et soutien à une politique salariale brutale qui va réduire encore davantage les moyens du service public audiovisuel – une manière pratique, sans doute, de contribuer à « inverser la courbe du chômage ».
Il est indispensable de remettre les choses à leur place dans l’audiovisuel public : les intérêts du public avant ceux des producteurs privés, la logique de service public avant les logiques financières, surtout quand celles-ci sont la conséquence d’une volonté délibérée de réduire les financements publics au plus grand bénéfice des chaînes privées.
C’est pourquoi Acrimed s’engage aux côtés de ceux qui se battent contre le plan de licenciement qui menace France Télévisions.
Frédéric Lemaire, Henri Maler et Fernando Malverde