Quoi qu’il en dise, José Anigo est loin d’être traité en paria par les journalistes. Il peut même compter sur de nombreux relais médiatiques pour défendre sa réputation. Au premier rang desquels Raphaël Raymond, envoyé spécial permanent de L’Équipe à Marseille. Préposé au sauvetage du soldat Anigo, le reporter surgit toujours au moment opportun. Soigneusement calibrées – ni trop complaisantes, ni trop incisives –, les interviews de L’Équipe présentent Anigo comme la victime d’un acharnement médiatico-judicio-policier. « Je suis plus que serein » [3], se défend le directeur sportif au surlendemain d’une perquisition de la police judiciaire au siège du club. « Voilà pourquoi je dure » [4], riposte encore José Anigo, trois semaines après la parution d’un livre enquête sur l’OM [5].
Retour sur une opération réhabilitation, orchestrée en trois mouvements.
Flagrant délit de connivences
Le 16 janvier 2013, la brigade financière de Marseille perquisitionne les bureaux de la direction du club, dans le cadre d’une information judiciaire pour « extorsion de fonds et association de malfaiteurs ». [6] Deux jours plus tard, Aujourd’hui en France/Le Parisien, un quotidien du groupe Amaury – comme L’Équipe – lève le voile sur « les drôles de relations » d’Anigo : « Le directeur sportif de l’OM semble subir le poids d’une longue amitié, celle de Richard Deruda, figure du milieu marseillais (jeux clandestins) et fiché au grand banditisme. Au terme des écoutes téléphoniques qui ont visé Anigo entre le 10 juin et le 21 juillet 2011 les enquêteurs ont démontré, selon leurs propres conclusions, que ’’Richard Deruda exerce une emprise forte et directe sur José Anigo et Rolland Courbis [7], visant à contraindre les deux hommes à imposer son fils footballeur, Thomas Deruda, dans un club de Ligue 2 ’’ », précise le correspondant d’Aujourd’hui en France à Marseille.
Le lendemain [8], L’Équipe publie un article nettement plus neutre. Pour ne pas dire consensuel. « Les Olympiens se sont entraînés, hier, comme si de rien n’était », relativise d’emblée le « chapeau » de l’article. Le reste est du même acabit. Rassurant et lénifiant. « En apparence, les joueurs marseillais n’ont pas semblé inquiets. Il faut rappeler que certains d’entre eux ont assisté à des scènes nettement plus traumatisantes, notamment dans le cadre de l’affaire de viol supposé dont avait été accusé leur ancien coéquipier Brandao en mars 2011 (le juge a rendu une ordonnance de non-lieu). À l’époque, les enquêteurs avaient même investi les locaux de l’effectif professionnel pour interroger les joueurs un par un au sujet de la plaignante », minimise le quotidien sportif.
Quant aux écoutes téléphoniques de José Anigo, les confrères de L’Équipe y font référence, mais sans détailler un tant soit peu leur contenu : « Le quotidien Le Parisien a d’ailleurs révélé, dans son édition d’hier, que le dirigeant marseillais avait été placé sur écoute pendant un mois, entre mai et juin 2011, dans le cadre de cette enquête », rapportent sobrement les auteurs. En revanche, l’article cite abondamment le communiqué de la présidence du club, qui dédouane José Anigo de toute responsabilité : « L’OM a appris récemment l’existence d’une instruction judiciaire portant notamment sur de possibles rétrocommissions versées à l’occasion de transferts de joueurs. Si de tels agissements ont été commis, ils l’ont été à l’insu et au préjudice du club. Celui-ci entend donc se constituer partie civile dans ce dossier afin de faire valoir ses droits et contribuer à la manifestation de la vérité. »
Cela aurait pu en rester là, mais le lendemain, L’Équipe publie un long entretien de José Anigo sur quatre colonnes. Interrogé par Raphaël Raymond, le directeur sportif déroule tranquillement son argumentaire : « […] Tu parles de l’OM, tu mets le nom d’Anigo, tu rajoutes une pincée de voyoucratie et le tour est joué. Et puis publier des extraits de conversations téléphoniques datant d’un an et demi dans lesquelles Richard est énervé, je ne vois pas ce que cela pourrait prouver. » [9] Sans nous prononcer sur le fond du dossier, l’intervention de José Anigo est parfaitement légitime. Cité dans une information judiciaire, le directeur sportif de l’OM se défend. Point. Plus surprenante est la manière dont Raymond conduit l’entretien. Le journaliste se contente de retranscrire les réponses de son interlocuteur, sans jamais le relancer. Pas une seule fois il n’essaie de bousculer le discours rôdé de José Anigo, qui semble être passé au tamis de la communication du club.
Par exemple : Raphaël Raymond fait allusion à un extrait des écoutes dans lequel le dirigeant de l’OM évoque une somme « en cash » pour le transfert d’un joueur. « “Cash” , ça veut dire en un seul paiement. Penser que cash, c’est de l’argent qui va me revenir, c’est faire fausse route », répond José Anigo. Factuellement, « cash » peut aussi être synonyme de paiement en liquide d’une rétrocommission sur un transfert [10]. Plutôt que d’exercer un droit de suite pour éclairer le lecteur, le reporter passe à un autre sujet. Trop larges, peu incisives, les questions de Raymond laissent tout loisir à Anigo de se poser en victime expiatoire. « Pourquoi votre nom sort-il davantage que d’autres ? » Réponse de l’intéressé : « Je n’ai pas pris d’argent au club autre que mon salaire. Je gagne très bien ma vie, je n’ai pas besoin de prendre quoi que ce soit ailleurs. […] Jamais je n’ai fait de deal personnel avec un agent. Je mets au défi n’importe quel agent d’avancer le contraire. »
Cet entretien dévoile en creux les termes d’un pacte tacite conclu entre le journaliste et le dirigeant : en contrepartie de scoops sur le « mercato » des transferts, le journaliste de L’Équipe ménage sa source haut placée dans l’organigramme du club marseillais. L’ouvrage déjà cité, Histoire secrète de l’OM analyse ce mécanisme dans un chapitre intitulé « Médias dopés à l’OM » : « Honneur aux journalistes révérencieux. ’’Amis’’ par nécessité ou pour obtenir des interviews "exclusives" et autres informations de première main sur l’OM. En échange d’une certaine complaisance à l’égard de José Anigo ».
À ce jeu-là, Raphaël Raymond ne manque pas de concurrents doués. Citons un autre exemple, croquignolet. Journaliste chevronné à l’hebdomadaire France football – groupe L’Équipe – Pascal Ferré connaît José Anigo comme personne. Il le choie, le cajole, le flatte. Le 1er juillet 2011, le joueur bordelais Alou Diarra s’engage avec l’Olympique de Marseille. Il n’y a plus qu’à signer le contrat. Son agent, Jean-Pierre Bernès, se déplacera peut-être au siège de l’OM. Une hypothèse qui rebute foncièrement son ennemi juré, José Anigo. Dans ces moments de déprime, rien de tel qu’un ami pour vous remonter le moral. Pascal Ferré tend une oreille compatissante aux malheurs de sa vieille connaissance. Les verbatims de cet échange sont issus des écoutes téléphoniques :
- José Anigo : « Il [Jean-Pierre Bernès] va venir à l’OM parce qu’il va bien falloir signer le contrat d’Alou, tu vois ? Donc il va bien falloir à un moment donné qu’il me croise. »
- Pascal Ferré : « Non mais attends, t’es chez toi, c’est chez toi, l’OM. »
- JA : « Justement, il faut juste pas qu’il me serre la main ou qu’il vienne me la serrer, tu vois. »
- PF : « C’est pas à toi de te sentir gêné, t’es chez toi, c’est à lui de baisser le regard (sic). »
- JA : « Ah non mais moi, t’inquiètes pas, tu sais ce que je vais faire moi, je vais même aller voir Alou, je vais lui serrer la main, je vais parler avec lui, hein ! »
- PF : « Non mais c’est bien, c’est intelligent d’avoir ce discours-là, non c’est très bien, comme ça, ça met tout le monde à l’aise. »
Flagrant délit de suivisme
Lorsqu’Aujourd’hui en France/Le Parisien et Europe 1 annoncent la parution du livre critique sur le club marseillais, Histoire secrète de l’OM [11], ils réduisent l’essentiel de l’ouvrage – 13 chapitres, 383 pages – à une phrase cynique qu’aurait prononcé José Anigo [12]. L’image de José Anigo en prend un coup ; lui qui, apprenant le décès de Robert Louis-Dreyfus, avait déclaré : « Je suis vraiment dans la peine et la tristesse. C’est un drame pour l’OM. On aimait ou on n’aimait pas le dirigeant, mais on a le devoir de respecter l’homme et de ne jamais oublier tout ce qu’il a fait pour le club. » [13]
Une nouvelle fois, Raphaël Raymond vole au secours de son informateur privilégié. Dès le lendemain, L’Équipe reprend mot à mot les « éléments de langage » fournis clé en main par le camp Anigo [14] : « Également accusé de favoriser l’influence du milieu mafieux sur le club, le directeur sportif de l’OM a demandé à son avocat, M. Emmanuel Molina – quatre jours après avoir fait condamner devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’hebdomadaire VSD et l’un de ses journalistes à 6000 euros de dommages et intérêts pour l’avoir qualifié de « parrain » dans un article paru en novembre 2011 –, de répondre sur le terrain judiciaire. L’avocat jugeant « les propos diffamatoires » et estimant qu’ils portent « scandaleusement atteinte à la mémoire de RLD et au respect » que son client « lui a toujours témoigné », l’affaire devrait se régler devant le tribunal. De son côté, Garcia a assuré à RMC avoir cherché à entrer en contact avec Anigo lors de son enquête, en vain ».
Quelques heures plus tard, le site L’Equipe.fr reprend « l’information », expurgée des plus élémentaires précautions de langage. Le conditionnel – « devrait se régler devant le tribunal » – passe à la trappe, de même que le point d’interrogation du « Anigo diffamé ? » Au profit d’un titre affirmatif laissant peu de place au doute : « Anigo attaque un journaliste pour diffamation » [15]. Comme souvent, L’Équipe joue pleinement son rôle de prescripteur d’opinion. Rarement remis en cause, très souvent copié... « S’estimant diffamé, José Anigo a décidé de porter plainte contre l’auteur du livre-enquête sur l’OM », bégaie Le Figaro.fr. « Anigo ’’diffamé’’ attaque un journaliste », réitère Le 10 sport.
Pourtant, ni L’Équipe, ni ses copistes ne prendront la peine de vérifier l’information. En définitive, José Anigo laissera courir le délai sans déposer « plainte ». Ce dont aucun média ne se fera l’écho.
Rédemption
L’opération rédemption s’achève sur un aveuglant feu d’artifice. Le 13 septembre 2013, L’Équipe offre une tribune de choix à José Anigo en l’interviewant sur deux pages et neuf colonnes. La manchette de « une » annonçait déjà la couleur : « Anigo dit tout. Une semaine après l’assassinat de son fils, le directeur sportif marseillais lance un poignant appel au calme et défend la réputation de son club » [16].
Outre la manchette précitée, un énorme titre barre les pages deux et trois du quotidien : « Il faut que toute cette violence s’arrête », supplie un José Anigo éprouvé par le décès de son fils. Gros plan compatissant sur le regard triste du directeur sportif. Toute en empathie aussi, une autre photo montre José Anigo levant les yeux au ciel. La longue interview du directeur sportif flirte avec un voyeurisme digne de la presse people.
S’appuyant sur le seul point de vue de la direction olympienne, un bouquet d’articles univoques exonère José Anigo de tout lien compromettant. « L’OM en a assez », est titré l’un d’entre eux, accompagné d’un chapeau explicite : « L’assassinat d’Adrien Anigo, le fils du directeur sportif olympien, a réactivé le fantasme d’un club gangrené par le milieu. Alors qu’il s’emploie à se défaire de cette image. »
Un autre papier explique que « la menace judiciaire s’éloigne. Les enquêteurs ne sont pas parvenus à établir une intervention du « milieu » lors des transferts d’André-Pierre Gignac et Souleymane Diawara à l’OM. » Une analyse sans nuance, sans l’ombre d’une source contradictoire. Tout comme le témoignage de Jean-Claude Dassier [17], prédécesseur de Vincent Labrune à la présidence de l’OM, appelé à la rescousse, et qui blanchit également Anigo : « Dassier et ’’le fantasme de la mafia’’ ».
Pour notre part, nous ne savons évidemment rien de l’existence ou pas de ses liens avec le milieu. Mais s’il n’est pas acceptable de tenir des soupçons pour des preuves, il l’est également de les évacuer a priori…
David Garcia