Q2C a demandé à Olivier Poche, co-animateur du site Acrimed de nous présenter un peu cette aventure lancée en 1996 qui « produit une critique qui cherche à éclairer et dénoncer l’état, le fonctionnement et les dysfonctionnements de l’ordre médiatique existant. »
Q2C : En quelques mots comment définir Acrimed ?
Olivier Poche : Acrimed est une association loi de 1901, fondée en 1996 pour mener un combat qui peut se résumer en une formule : (re)faire de la question des médias une question politique. Comme son nom l’indique, Acrimed (Action-Critique-Médias) produit une critique qui cherche à éclairer et dénoncer l’état, le fonctionnement et les dysfonctionnements de l’ordre médiatique existant, et à mener des actions pour tenter de le transformer – et ce au sein d’une association, et en s’associant, dans la mesure du possible, avec toutes les forces disponibles et disposées à nous accompagner, parce que ce combat politique ne peut être qu’une entreprise collective.
Comment fonctionne le site ? Depuis quand ? Quelle équipe s’occupe de l’animer ?
Acrimed est présent depuis longtemps sur la toile. Le premier site a vu le jour en 1999, et on espère en proposer une nouvelle (et quatrième) version en 2014… Cette ancienneté est un atout, puisqu’il est l’un des sites associatifs les plus consultés, et qu’il semble assez connu des internautes. Mais elle a son revers, les gens ignorant souvent qu’Acrimed n’est pas qu’un site, mais bien une association – qui fonctionne comme elle peut, comme beaucoup d’autres : grâce surtout à des bénévoles, très peu nombreux dans la gestion et l’animation quotidiennes de l’association, et pendant longtemps, essentiellement grâce à l’activité et la ténacité d’un seul, son fondateur, Henri Maler.
Mais depuis quelques années, l’association se développe, et nous avons pu salarier d’abord un secrétaire administratif, puis un secrétaire de rédaction. Autant d’éléments stabilisateurs – même si la pérennité de leur contrat n’est financièrement pas assurée à moyen terme. Autour d’eux et des bénévoles « historiques » gravitent un assez grand nombre de rédacteurs et de collaborateurs, plus ou moins occasionnels, qui nous proposent des articles, des angles, des dessins, des signalements, des transcriptions. C’est l’une des richesses de l’association, mais aussi une source de travail supplémentaire, car ce qui est publié par Acrimed (sur le site, ou, depuis septembre 2011, dans notre magazine papier), engageant l’association, fait l’objet, à un degré ou un autre, d’une élaboration collective.
Quels sont les articles les plus visités ?
Malheureusement, et pour ce que l’on peut en savoir, rarement ceux que nous aimerions voir figurer en tête de notre hit-parade : typiquement, le dézingage de bouffon médiatique est un met souvent apprécié des internautes qui nous visitent, alors que l’analyse des programmes des partis politiques sur le front des médias, ou la présentation de nos propres propositions en la matière leur paraît souvent indigeste. Cela dit, la fréquentation du site telle qu’elle est mesurée ne nous préoccupe pas outre mesure : l’important est que cette critique vive, existe, se renouvelle, qu’elle soit disponible, et qu’elle circule, par d’autres voies, notamment auprès des publics directement concernés et maltraités par les médias. D’où notre présence, par exemple, dans les manifestations et les mouvements sociaux, pour diffuser directement nos analyses et nos propositions.
Plusieurs articles abordent la question du traitement des enjeux éducatifs par les médias. Comment le définiriez-vous ? Quelles sont, selon vous les grandes lignes de force ?
C’est un vaste sujet, à plusieurs entrées, et qui demanderait de longs développements appuyés sur des observations précises. Mais à grands traits, on pourrait dire que les enjeux éducatifs proprement dits, qui mériteraient de faire l’objet d’un débat public informé et nuancé, auquel les médias pourraient et devraient apporter leur contribution (missions de l’école, organisation du système éducatif, etc.) sont pratiquement absents du débat médiatique sur l’école. Ce qu’on entend, ce qui fait « débat », c’est le « poids » (comme ils disent) économique de ce secteur public, le temps de travail, les absences, les vacances, le corporatisme des enseignants, et, par temps de mobilisation, les effets des grèves sur les parents d’élèves ou les menaces sur le bac. Soyons justes, il peut arriver que l’on évoque les programmes, à la faveur d’une « polémique » sur l’abandon de l’histoire en première ou l’importation de la théorie du genre, polémique dont on confiera l’entretien à deux experts pour plateaux télé et trois éditocrates, avant de passer à la suivante. Ce tableau est à peine caricatural. La réforme des rythmes scolaires, à l’automne dernier, l’a amplement démontré : les médias, même ceux qui se prétendent de gauche, ont été incapables de faire entendre la voix des enseignants mobilisés, et même la position officielle de leurs syndicats. Prisonniers de leurs préjugés, et du traitement routinier des mobilisations sociales, ils n’y ont vu ou voulu y voir que du « corporatisme », quitte à faire dire aux enseignants le contraire de ce qu’ils disaient, et sans craindre de juger cette mobilisation « difficile à comprendre », au lieu de faire leur possible pour en expliquer les raisons et les revendications.
Notre site, Questions de classe(s), a l’ambition de fonctionner un peu comme une agence de presse alternative autour des questions sociales et pédagogiques. À l’avenir, comment pourraient se fédérer ces différents réseaux qui pourraient s’animer les uns les autres. Avez-vous réfléchi à cette question, avez-vous des pistes ?
Au sein de l’association, non, pas collectivement. Nous avons déjà pas mal à faire sur notre propre terrain : produire notre critique, faire connaître celles qui émergent ailleurs et qui nous semblent dignes d’intérêt, et tenter de créer un front assez large pour faire bouger un peu les lignes sur la question des médias. Et en ce domaine, un peu serait déjà beaucoup, étant donné la tendance générale depuis 20 ou 30 ans. Cela dit, on ne peut que souhaiter, en effet, que les militants de la gauche de gauche, celle dont se réclame Acrimed depuis ses débuts, fédèrent leurs différents réseaux, leur expertise, leurs propositions. Le net fournit à cet égard des solutions techniques, mais malheureusement, on sait que ce n’est pas là la difficulté principale…
Entretien réalisé par Grégory Chambat pour Q2C