Accueil > Critiques > (...) > Publicité : un Monde exemplaire

En bref

Champagne ! À l’approche des fêtes, Le Monde pétille d’idées

par Thibault Roques,

Un suspense insoutenable régnait depuis quelques semaines : qui pour concurrencer Libération et sa déjà fameuse « LibéBox » ? Le Monde a relevé le gant, choisissant même de boxer dans la catégorie supérieure en ne se contentant pas d’une vulgaire « formule terroir » : non, à l’approche des fêtes, pour Le Monde, c’est champagne !

Après le quotidien de Rothschild qui se diversifiait dans l’épicerie fine, voilà donc que Le Monde verse à son tour dans la gastronomie de luxe. De quoi s’agit-il, au juste ? Le 10 décembre dernier, le journal de référence, en partenariat avec Le Monde des Vins, conviait ses lecteurs à « la première soirée dégustation Champagne » dont le programme était le suivant : « dégustation libre & échanges », tout ça pour la modique somme de 30 euros.

Et de références, précisément, il n’a point manqué : toutes les grandes maisons ou presque ont répondu présent, trop contentes de disposer d’une telle vitrine (médiatique) pour « offrir » leurs dives bouteilles. Ainsi, « les maisons Barons de Rothschild, Boizel, Charles Heidsieck, Lanson, Laurent-Perrier, Nicolas Feuillatte, Mumm, Moët & Chandon, Piper-Heidsieck, Ruinart, Taittinger et Veuve Cliquot » furent de la partie.

Pas sûr qu’il faille voir dans cette opération le genre de grosse ficelle commerciale consistant pour la presse à « offrir un cadeau » pour relancer ses ventes ou simplement récompenser la fidélité de ses clients, aussi appelés lecteurs.

Car on imagine volontiers que la simple association d’enseignes gastronomiques luxueuses et d’un journal éminent souhaitant redorer son image (de marque) soit une fin en soi. Nul doute que Le Monde renforce ainsi son titre de quotidien le plus lu des cadres et des foyers à hauts revenus.

Pourtant, en ces temps de crise où les journaux cherchent plus que jamais à élargir leur lectorat, rien ne dit que ce genre d’initiatives permette de conquérir un lectorat « populaire ». Il est en revanche probable que Le Monde s’aliène ainsi les quelques lecteurs non-CSP+ qu’il lui restait ; entre la somme à acquitter, le numerus clausus et les cuvées prestige, tout indique que seuls quelques happy few auront pu profiter de cette soirée ultra select.

Et si l’on ne doit pas nécessairement voir dans cette opération commerciale une source innovante de financement pour un secteur en crise, force est de constater que Le Monde semble au moins aussi soucieux de ses annonceurs que de sa stratégie éditoriale.
M Publicité, à qui il fallait envoyer le chèque pour espérer faire partie des heureux élus, nous en dit en effet un peu plus sur l’esprit du capitalisme qui règne au service « relations publiques » du Monde

« Allier le style à la puissance » et apporter « plus d’émergence » aux marques associées, telle est donc la philosophie de « la marque Le Monde ». Quel rapport avec la mission d’information du quotidien, diront certains ? Le Monde aura-t-il, demain, les mains libres et la plume alerte, voire acerbe, lorsqu’il enquêtera sur les dessous du marché du luxe, diront d’autres ?

En attendant, une seule question qui vaille : à quand la prochaine soirée coquillages et crustacés sponsorisée par Le Parisien ou encore une journée autour de la truffe sous le haut patronage du Figaro ? Les paris sont ouverts…

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

Sortie du Médiacritiques n°52 : Médias et écologie

À commander sur notre site ou à retrouver en librairie.