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En vue de l’Euro de foot de 2008 : Le Match de football télévisé (extraits)

par Jacques Blociszewski,

Nous publions ci-dessous avec l’autorisation de l’auteur et de l’éditeur des extraits du livre de Jacques Blociszewski, Le Match de football télévisé, Editions Apogée, 2007. (Acrimed)

Extraits du Chapitre I : Une puissante dramaturgie, une diffusion banalisée [1].

[…]

L’avènement de la télévision

Les médias du football furent d’abord la presse écrite et la radio, qui firent appel au savoir-faire et au talent des reporters, mais aussi à l’imaginaire du lecteur et de l’auditeur. Les premières images animées de football que l’on connaît remontent aux Frères Lumière. Evoquant un de leurs films, de 1897, qui montrait une scène de football à Londres, l’historien Laurent Véray rappelle que « l’apparition du cinématographe fut pratiquement contemporaine de celle du sport moderne  », et que l’abondante production de retransmissions sportives à la télévision « trouve ses origines dans le cinéma naissant [2]  ». Longtemps, c’est au cinéma que l’on put voir des images de football, lors des actualités filmées. De courts résumés des grands matches ne permettaient de se faire qu’une idée approximative de l’événement, et la poignée de buts qu’on y apercevait était parsemée, au moment décisif du tir, d’intempestives vues du public. Le shoot partait et on ne le voyait jamais arriver… L’important était de dire que l’événement avait eu lieu, que des personnalités s’y trouvaient et que le match avait mérité l’enthousiasme des foules. Mais déjà le film contribue à la connaissance du jeu car, souligne A. Wahl, « Il a l’avantage de permettre de revoir les actions qui ont pour caractéristiques normales de ne se produire qu’une seule fois [3] ».

Un match entre l’Allemagne et l’Italie en 1936, à la télévision allemande, fut sans doute la première rencontre télévisée (partiellement) de l’histoire du football. Le site wikipedia.org indique toutefois que ce fut un « fiasco, avec les pannes à répétition des caméras électroniques  ». Selon le site du CSA, les premières images de football télévisées en France furent celles de la rencontre France-Suède de 1949. Et Pascal Boniface mentionne un France-Allemagne de 1950 [4].

Le développement de la télévision dans les années 1950 agrandit alors l’empire du football. En France, le premier match retransmis en intégralité et en direct sur la RTF fut la finale de la Coupe de France 1952, entre Nice et Bordeaux (5 à 3 pour Nice). Le réalisateur était Pierre Sabbagh et le commentateur Georges de Caunes (source  : INA) [5]. Avec la Coupe du monde télévisée de 1954, en Suisse, les téléspectateurs de huit pays européens purent assister au premier match de cette compétition mondiale jamais montré, un France-Yougoslavie. Et en 1958, 5 millions de Français virent en direct un historique France-Brésil en demi-finale [6].

Les images du « Mondial » 1962 au Chili, transportées par avion, ne furent diffusées en Europe que quelque 48 heures après les matches, dont les Français purent voir une dizaine. Pour le journaliste Bernard Poiseuil, auteur de trois livres essentiels sur notre sujet : « La collaboration entre le football et la télévision date positivement de la Coupe du monde de 1966. Avant cela, elle ne s’étend guère au-delà des limites du continent auquel appartient le pays organisateur de l’épreuve, et encore !  ». La Mondiovision naissante ouvre sur le vécu quasi-universel du football, et 400 millions de téléspectateurs voient alors l’Angleterre battre l’Allemagne en finale [7]. Dans les années 70, avec les satellites, le monde entier peut participer. Le public télévisuel de la finale de la Coupe du Monde était déjà de 1,8 milliard de téléspectateurs, en 1982, en Espagne, estime B.Poiseuil.

La finale France-Brésil de la Coupe du monde 1998 a été vue par plus de 23,6 millions de Français [8]. Il fallait ajouter à cela les spectateurs des écrans géants, à l’extérieur. Alors que le nombre des spectateurs présents dans les stades pendant cette compétition en France s’éleva à 2,5 milllions, on compta dans le monde... 40 milliards de téléspectateurs en « audience cumulée ». Au Mondial 2006, Portugal-France, en demi-finale, a réuni 22,2 millions de téléspectateurs sur TF1, avec une part d’audience de 76,7%. C’est le record (pour une seule chaîne) depuis la création du Médiamat en 1989. Ce match a devancé en audience la finale France-Italie, qui a toutefois obtenu 80,3% de part d’audience, avec un pic à 88,7% (Source Médiamétrie, citée dans Le Monde du 7 juillet et France Football du 18 juillet 2006).

Le foot fait en France les meilleures audiences toutes catégories de programmes confondues. En 2005, c’est le match France-Chypre, décisif pour la qualification au Mondial, qui est venu en tête, avec, sur TF1, 13,3 millions de téléspectateurs devant la série Dolmen (L’internaute.com, janvier 2006). Pour les chaînes à péage, les audiences sont bien sûr moindres, mais sur Canal +, ce sont tout de même 2,3 millions d’abonnés qui ont vu un Lyon-OM début 2006 (L’Equipe, 13 janvier 2006).

Des enjeux économiques considérables

De telles audiences génèrent d’énormes enjeux économiques. Le championnat de France de Ligue 1, dont les droits appartiennent à Canal +, « vaut » 600 millions d’euros par an (et la Ligue 2, sur Eurosport, 15 millions). Les droits mondiaux pour la Coupe du monde ont été multipliés par neuf, de 84 à 746 millions, entre les éditions 1998 et 2002 [9] ! Pour 2006, les droits, détenus désormais par Infront, étaient de 970 millions d’euros (L’Equipe, 14 juin 2005). De cette véritable explosion, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) est un considérable bénéficiaire. Pour le Mondial 2006 en Allemagne, TF1 a acheté 100 millions d’euros les droits des 24 « principaux » matches, M6 retransmettant 31 rencontres. Canal + et Eurosport obtinrent eux aussi, dans un second temps, les droits pour la diffusion de l’intégralité du tournoi [10]. Le spot publicitaire télévisé de 30 secondes valait 287.500 euros lors de la finale sur TF1 (Stratégies, 13 juillet 2006).

Le haut débit et la diffusion sur les téléphones mobiles sont devenus des enjeux majeurs. TF1 a ainsi acheté pour 250 millions d’euros l’ensemble des droits audiovisuels, téléphonie et Internet compris, des Coupes du monde 2010 et 2014 [11].

L’inflation des droits télévisés suscite chez les diffuseurs un début de révolte. Les temps à venir risquent donc de voir une remise en cause des sommes géantes que les chaînes paient pour le ballon rond [12]. Avec quelles conséquences pour les clubs et le football professionnel dans son ensemble ? Ces enjeux économiques sont liés à la concentration des médias et à la dure loi de la concurrence. Pour diffuser le championnat de France, Canal + a dû acquitter le prix fort. Avait-il le choix ? « Pour survivre, Canal + ne pouvait se priver du ballon rond, qui attire plus de la moitié de ses abonnés, le cinéma venant au second rang  » (Le Nouvel Economiste, 23 mars 2006) [13].

Le risque financier pris par Canal en 2004 a payé et a fait que les clubs français n’ont jamais été aussi riches. Mais cette « télé-dépendance » doit les inciter à la prudence. Et la situation est mouvante, car « l’irruption des opérateurs télécoms devrait aviver la prochaine compétition financière, en décembre 2007  » (ibidem).

Cette concurrence annoncée a contribué fortement à la fusion entre les deux bouquets TPS et CanalSatellite, pour pouvoir faire face aux télécoms. Parallèlement enfin, la Ligue de Football Professionnel (LFP), prévoyante et fin stratège, envisage de créer sa propre chaîne de télévision. Un projet qui n’enchante pas les diffuseurs... Mentionnons aussi l’omniprésence des marques, les salaires pharamineux des stars, les ventes de maillots, badges, fanions, cassettes vidéo et DVD qui sont la source d’immenses droits dérivés. […]


De la rareté à la banalisation

En France, le football à la télévision fut longtemps cantonné à une seule chaîne, de service public (la RTF, puis ORTF en 1964). En 1961 les dirigeants du football français signent un protocole autorisant la télévision à retransmettre des matches en direct, mais leur diffusion reste rare. La télévision, en effet, n’allait-elle pas vider les stades ? Il fallait se contenter alors des rencontres disputées par l’équipe de France -et pas toutes-, de quelques grands événements comme la Coupe du monde ou la Coupe d’Europe des clubs champions, d’une poignée de rencontres de Championnat de France (et pas les meilleures), généralement diffusées en différé et en partie seulement : la deuxième mi-temps. Il arrivait aussi que l’on « occulte » la région du match, où celui-ci n’était donc pas retransmis.

Le grand tournant eut lieu en 1984, avec la création de Canal +. La chaîne à péage acheta les droits du Championnat de France, et pour ceux qui s’abonnèrent, une certaine abondance succéda à la rareté, pour le prix mensuel d’une place de tribune au stade. Des matches de Championnat et de Coupe d’Angleterre firent leur apparition, en intégralité ou en larges extraits présentés dans les magazines de la chaîne, comme L’Equipe du dimanche. Une nouvelle relation économique au football naissait, et une philosophie différente de l’offre. Abonnement, cryptage, et plus tard paiement à la séance : c’est vers la télévision à la carte que Canal + nous emmenait, et de cette télévision-là, le football était, avec le cinéma, le moteur. Il prit donc son envol sur « Canal  » le 7 novembre 1984, avec un Nantes-Monaco et cinq caméras. Pendant plusieurs années, sous la direction de Charles Biétry et porté par l’inspiration de réalisateurs comme Jean-Paul Jaud, la nouvelle chaîne allait marquer de son empreinte le sport télévisé en France.

Combien d’heures le football occupe-t-il chaque année sur les écrans ? Selon les chiffres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), et en prenant en compte Canal + (soit : TF1, France 2, France 3, Canal + et M6) l’offre en matches de football sur les chaînes hertziennes s’élevait en 2005 à 400 heures, soit 32% des retransmissions. Le tennis venait derrière, avec 190 heures. Si l’on ne considère que les chaînes nationales en clair (donc sans Canal +), c’est même le tennis qui vient de peu en tête, avec 131 heures contre 111 (Source : CSA) [14]. A noter qu’en 2004, l’offre de foot et sa prééminence sur les autres sports étaient plus importantes encore (et elles le seront aussi en 2006) : en effet, les années paires sont celles des grandes compétitions, Euro et Mondial. Le foot, alors, envahit les écrans. Les années impaires sont moins pourvues, ce qui n’empêche pas le ballon rond d’y rester nettement le premier sport télévisé, surtout si l’on comptabilise les nombreuses heures de football des chaînes du câble et du satellite.

Le football n’est donc plus en 2006 cette rare aubaine que ses fans attendaient dans un océan de frustration. Ce n’est plus la question de la rareté qui se pose aujourd’hui mais celle de la saturation ! Le sport-roi ne s’est-il pas banalisé ? Le journaliste Didier Braun souligne : « En France, avant la naissance de Canal + en 1984, moins de trente matches étaient diffusés par an, sauf les années de Coupe du monde. En 2005, le téléspectateur « câblé » se voit couramment proposer une quarantaine de rencontres en direct par semaine !  », soit plus qu’en un an dans les années 60... (L’Equipe, 30 décembre 2005).

La diffusion actuelle du football en France se partage donc entre chaînes généralistes, Canal +, câble et satellite. Un mouvement parallèle aux grandes communions comme la Coupe du monde ou l’Euro s’est déployé, et la tendance est à la fragmentation des audiences. Le football étranger est désormais directement accessible en France, et nombre de pubs anglais ou irlandais proposent jusqu’à trois matches par jour de la League anglaise, via Sky ou TPS Foot. Canal + et TPS ont fait pénétrer dans nos salons les équipes anglaises, où des joueurs français de haut niveau évoluent, et le championnat d’Outre-Manche fait maintenant partie du paysage sportif et médiatique hexagonal. Les championnats allemand, italien, espagnol, portugais, voire hollandais et écossais nous sont aussi plus familiers, de même que le championnat NBA de basket-ball des Etats-Unis, voire la finale annuelle du football américain, le Super Bowl. L’Amérique est là.

Permanence et attention flottante

Comme tout programme de télévision, le football suit les évolutions de ce média et s’y adapte. Les premières années, la télévision était encore un petit « cinéma chez soi ». Chaque match diffusé constituait un événement, et l’attention qu’on lui portait était très soutenue. Avec l’abondance, de nouveaux comportements sont apparus. Le football sur les écrans est devenu quasi permanent, avec le Championnat de France sur Canal +, les matches de l’équipe de France sur TF1, la Ligue des Champions sur TF1 et Canal, la Ligue 2 et d’autres compétitions (nombreux matches internationaux rediffusés) sur Eurosport, la Coupe de la Ligue sur France Télévisions, la Coupe de France sur Eurosport et France Télévisions, des rencontres de Coupe UEFA (Union des associations européennes de football) sur M6, W9 sur la TNT, et tous les autres matches du câble. Et les rediffusions se sont multipliées [15]. Sous le déluge, l’attention s’est faite flottante. Dans les cafés, les matches défilent sans discontinuer devant des consommateurs indifférents ou distraits, qui y jettent ponctuellement un oeil, comme pour rester rattachés au monde médiatique tel qu’il va. Sur les écrans, les buts s’enchaînent, imperturbables... Cette consommation désinvolte explique certains aspects de la réalisation télévisuelle, qui doit en tenir compte. Une part importante des images est en effet désormais non-vue, ce ne sont là qu’ « images de compagnie ». Le foot fait tapisserie, il est fréquemment consommé par désoeuvrement ou habitude. Pour une rencontre, il s’agit d’émerger du flux de programmation.

Pour nourrir cette quasi permanence, de plus en plus de matches sont filmés (et diffusés sur les chaînes sportives Canal + Sport, Sport +, Foot +, TPS Foot...). Les dispositifs mis en place sont impressionnants : outre les matches de championnat de France sur le programme principal de Canal + (2 matches décalés par semaine, plus 1 sur Canal + Sport) et la Ligue des Champions, tous les matches de Ligue 1 sont ainsi filmés par Canal + pour sa formule « Kiosque », avec au moins neuf caméras sur chaque stade. Depuis 1996 et la diffusion du championnat en pay per view, on peut en effet acheter son match à la séance et suivre par exemple son équipe favorite en déplacement. Eurosport, ainsi que les chaînes d’information sportive non-stop (de type Infosport) ajoutent encore au continuum. De ce fond visuel et sonore généralisé se dégagent malgré tout de grandes rencontres, alors vues comme un objet d’attention à part entière : Coupe du monde, choc de la Ligue des Champions. De grands matches de championnat de France font encore recette (c’est avec des PSG-OM ou Lyon-OM que Canal + réalise ses meilleures audiences). Mais faut-il ne prendre en compte que l’audimat ? La mise en scène intensive de la Ligue 1 et les bandes-annonces de plus en plus flamboyantes et trépidantes cachent mal un produit souvent décevant et l’obligation de rentabiliser à tout prix les sommes énormes versées par Canal +. Et si on regarde le foot par passion, on peut désormais le faire aussi par habitude.

Elargir l’audience : les femmes à la rescousse

La télévision a compris que les audiences du football, sport traditionnellement masculin, gagneraient beaucoup à attirer les femmes. Outre le jeu lui-même, la plastique des joueurs n’échappe pas aux regards féminins et ce type d’émotion esthétique et de l’ordre de la séduction n’est pas ignoré de la télévision. Elle y a donc adapté ses stratégies de développement. Au Mondial 98, après quelques hésitations initiales, des millions de femmes manifestèrent leur enthousiasme pour les Bleus : des points d’audience étaient bien à prendre de ce côté ! Dix millions de femmes ont vu la victoire de la France dans la finale de 1998. Depuis, pourtant, la France des supportrices s’est assagie, et leur présence s’est faite plus faible dans les stades et devant les écrans. De même que la « France black-blanc-beur », la féminisation du public du foot a montré ses limites. « Où sont les femmes ?  » s’interrogeaient Les Cahiers du football en mai 2005. Le Mondial 2006 a connu cependant un bon succès féminin, comme si l’ampleur de l’événement emportait les réticences... Pour France-Portugal on compta 9,5 millions de femmes devant leur écran ! (Les Echos, 7 juillet). Globalement, la part du public féminin pour les matches des Bleus serait passée de 39% en 1998 à 42% en 2006. Les audiences les plus « féminisées » en Europe pour ce Mondial sont venues d’Ukraine (49%), d’Estonie, d’Italie et de Croatie (Le Parisien du 27 juin ; source : agence médias OMD).

Les épouses des joueurs professionnels, quant à elles, sont entrées dans le spectacle, et sont souvent montrées, dans les tribunes, par les caméras. Le people n’est jamais loin, même si en France cette tendance reste modeste à côté des déchaînements des tabloïds anglais voire des journaux allemands, italiens et espagnols. Le football féminin de haut niveau -une solide réalité par ailleurs- reste, lui, bien discret sur les écrans. Eurosport en diffuse quelques matches, dont les reines sont les Etats-Unis, l’Allemagne et les Pays scandinaves. […]

Les évolutions techniques : quelques jalons

Véritable laboratoire technologique pour la télévision, le football est au coeur des mutations de l’image, et les grandes étapes de l’évolution technique du football télévisé ont souvent coïncidé avec les Coupes du monde. En 1966, nous dit B.Poiseuil, «  les Anglais introduisent le replay, ou répétition à vitesse normale d’une action de jeu. En 1970, au Mexique, les matches sont diffusés pour la première fois en couleurs. Seize ans plus tard, les producteurs mexicains, encore eux, inventent la fameuse « caméra opposée », et enterrent du même coup le vieux credo des 180° [...] Enfin, en 1990, le « Mondiale » italien consacre le telebeam, procédé qui, alliant les ressources de l’informatique à celles de l’électronique, permet d’évaluer la distance du tireur et la vitesse du ballon et qui, là encore, a fait école  » (Vidéo-broadcast, 9 octobre 1997).

Au Mondial 1998, le numérique et le son stéréo font leur grande entrée. On y note trois innovations majeures : les caméras « super slow motion » (loupes), des mini-caméras autour des buts et « le stockage numérique des images qui permet rapidité, maniabilité, instantanéité  », notamment pour le lancement des ralentis [16]. Le son stéréo apporte, lui, une qualité sonore égale à celle du CD. Le dispositif de base prévoit alors 17 caméras sur chaque match. Mais pour la finale du 12 juillet, au total, plus de 100 caméras filmaient au Stade de France : 22 du télédiffuseur-hôte TVRS 98, huit travaillant au format 16/9, celles de la réalisation du film officiel et les caméras des télévisions étrangères [17]. Et lors de l’Euro 2000, 18 caméras étaient au rendez-vous sur chaque match.

A la Coupe du monde 2002, au Japon et en Corée du Sud, on comptait 20 caméras par rencontre (et 23 pour les phases finales), avec «  la présence de steadycam, caméras [portables] évoluant le long des lignes de touche. Ces caméras permettent aussi de mieux filmer l’avant et l’après-match  » (France Football, 29 janvier 2002). En Allemagne, pour le Mondial 2006, le même France Football, du 19 octobre 2004, annonçait comme innovation majeure que tous les matches seraient offerts en HD (haute définition), en son surround, et que le nombre de caméras passerait à vingt-trois au minimum (il fut en fait de 25).

Des innovations de ces dernières décennies, le développement du ralenti fut le plus déterminant. «  A l’origine, le replay portait bien son nom -avant d’être abusivement traduit en français par "ralenti"- puisqu’il rejouait l’action à vitesse réelle  » (Pierre Martini, Les Cahiers du football, 18 novembre 2002). C’est au Mondial 1966 que l’on commença à remontrer des actions. Puis le ralenti s’installa, évolua beaucoup, et se multiplia. L’arrivée du numérique a constitué là un saut décisif, accroissant puissamment les possibilités des réalisateurs. L’introduction de la loupe, donnant un ralentissement très supérieur, a permis des images d’une très haute qualité technique. Alors que les premiers magnétoscopes étaient assez lents, les ralentis peuvent désormais être lancés presque instantanément. Dès 1996, Jérôme Revon expliquait : « On peut caler un ralenti très, très vite. Il y a cinq ans, s’il y avait un corner, jamais on n’allait montrer l’action qui précédait. On attendait la fin du corner. Maintenant on peut [18]  ». Cette dernière donnée est essentielle, car elle favorisera la floraison des ralentis, modifiant beaucoup la réalisation des matches.

Fin 2006, Canal + promettait un son encore plus performant, davantage de retransmissions en haute-définition 16/9, la photo-finish pour s’assurer que le ballon a franchi la ligne de but (le détecteur de but), un nouveau système de traçabilité des vingt-deux joueurs en temps réel, pour connaître la vitesse de chaque joueur, la distance qu’il parcourt en un match (nombre de kilomètres), etc.. Canal + est un « véritable laboratoire d’innovation  », selon Alexandre Bompard, directeur des sports de la chaîne. Des loupes à très haute vitesse étaient aussi en vue, offrant une décomposition extrême du geste et permettant de voir même la déformation du ballon lors du tir...

Du spectacle sportif au sport-spectacle

Ces énormes moyens techniques ont un effet direct sur la nature du football télévisé. Mais c’est sous l’influence d’un ensemble de facteurs que le spectacle sportif s’est transformé en sport-spectacle. Le sport que nous avons connu jusqu’à présent en tant que confrontation telle que la définissent Dayan et Katz, repose sur «  l’opposition d’individus ou d’équipes de force comparable, dont la participation est volontaire  ». Ces oppositions sont «  temporellement et spatialement délimitées  » et «  nettement démarquées par rapport à la vie quotidienne  ». La présence des spectateurs est essentielle, ainsi que celle des joueurs et des arbitres. Comme le souligne Roger Caillois, « toute confrontation est aussi un spectacle  [19] ».

A l’aspect ludique du spectacle viennent se combiner la passion et des sentiments d’appartenance puissants. Georges Vigarello et Bernard Leconte soulignent que « l’immense impact du spectacle sportif tient sans doute à ce paradoxe d’être, à la fois, consommation désinvolte et engagement du groupe.  » Avec le pouvoir de la télévision, toutefois, la présence des spectateurs est de moins en moins jugée indispensable. Et on est entré dans une autre logique : intérêts économiques massifs, multiplication et quasi permanence des diffusions, prééminence de l’événement télévisé sur l’événement brut, exigences de la télévision vis-à-vis du sport, pression sur ses règles et son rythme naturel, spectacularisation maximale des actions et des gestes. La morale de l’effort et du fair-play, chère à Pierre de Coubertin, a fait place à « la montée en flèche du spectacle, avec son corollaire de charge médiatique et ses conséquences sensibles sur les discours : moins de préceptes moralisateurs et plus de pragmatisme [20] ». Le sport-spectacle est devenu une création très élaborée de l’économie, de la télévision et de ses savoir-faire. Le monde du football professionnel apparaît maintenant comme figé par les intérêts économiques, et il organise jusqu’à l’incertitude. Selon Gérard Derèze : « Les événements n’adviennent pas, ils se fabriquent.  » L’événementiel succède à l’événement. «  On ne montre plus, on exhibe [21] ». Dès lors, l’information et la restitution de faits cèdent devant la communication et les contrats d’exclusivité des chaînes.

Jacques Blociszewski

 
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Notes

[1De nombreuses données recueillies pour un ouvrage paru en 2007 devraient être actualisées, sans que cela change l’essentiel de l’argumentation. (Note d’Acrimed)

[2Aux origines du spectacle sportif télévisé, Laurent Véray, in Montrer le sport, Les Cahiers de l’INSEP, 2000, p.83.

[3« Pour une histoire du jeu » in Football, jeu et société, Cahiers de l’INSEP, 1999.

[4La terre est ronde comme un ballon, in Géopolitique du football, Seuil, 2002, pp.22-23.

[5Pour le site wikipedia.org, toutefois, cette rencontre fut présentée en différé, et le premier direct sur une finale de Coupe de France aurait eu lieu en 1954.

[6B.Poiseuil, Football et télévision, Technè, Paris, 1986 et 1996, pp.62-63.

[7Poiseuil, ibid., pp.62 et 64.

[820,57 sur TF1, 3,04 sur Canal + (Ecran total, 16 juillet 1998, chiffres Médiamétrie).

[9in : Sport : La télévision a-t-elle tous les droits ? de Jacques Ferran et Eric Maitrot, Télé Satellite publications, 1997, p.20. Et allocution de Roland Faure au Sportel 2002.

[10cf. Les Nouveaux dossiers de l’audiovisuel, juillet-août 2006.

[11Aux Pays-Bas et en Belgique, les opérateurs de téléphonie sont déjà détenteurs des droits des championnats nationaux de foot… (Le Parisien, 22 décembre 2006).

[12Les droits de la Premier League (le championnat anglais), qui valent 150 millions d’euros par an en 2006 pour la France, devraient ainsi atteindre 400 millions en 2007 (L’Equipe, 14 décembre 2006).

[13« Sans le foot, il n’y aurait jamais eu de Canal + !  », lance Gervais Martel, président du RC Lens (Le Parisien, 18 avril 2002).

[14Si l’on inclut les émissions et magazines de football, le total atteint 549 heures.

[15Eurosport, notamment, remontre de nombreux matches, datant parfois de plusieurs mois ou années, que la chaîne « écrème » légèrement, en en supprimant de courts passages (ce qui donne des « grands formats » d’une heure).

[16Interview par B.Poiseuil du réalisateur François-Charles Bideaux, de Canal + (anciennement à TF1), Vidéobroadcast, août-septembre 1997.

[17B. Poiseuil, Le technicien du film et vidéo, septembre 1998.

[18B. Poiseuil, Canal +, L’Aventure du sport, Editoria, Paris, 1990, p.144.

[19Cité par Dayan et Katz, La Télévision cérémonielle, PUF, Paris, 1996, p.32.

[20Georges Vigarello et Bernard Leconte, Le spectacle du sport, op. cit. , p.5.

[21« De la médiatisation des grandes compétitions sportives », in Le spectacle du sport, Communications, Seuil, 1998, p.40.

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