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Christophe Barbier contre Dieudonné ! Éditorialiste ou auxiliaire de police ?

par Blaise Magnin, Henri Maler,

Pour ne pas participer au tintamarre médiatique auquel a donné lieu et donne encore lieu « l’affaire Dieudonné », nous attendrons une accalmie, non sans relever le paradoxe qu’il peut y avoir à entretenir un tel tintamarre autour d’un personnage que la plupart de ceux qui y participent… voudraient justement voir réduit au silence ! Le « débat » fait rage dans les médias sur les meilleurs moyens de combattre les dérives antisémites de Dieudonné et de nombre de ses admirateurs.



Au moment où nous écrivons cet article, ce débat est clos, au moins momentanément, puisque le Conseil d’État vient de décider que l’interdiction du spectacle de Dieudonné par le préfet de la région Pays de la Loire était légale – ce qui ne change rien au fond de notre argumentaire. En effet, des opinions des éditorialistes sur ce qu’il conviendrait de faire aux prescriptions adressées au gouvernement sur ce qu’il faut faire, il y a un pas rapidement franchi. Mais pour que les conseils se transforment en ordres de mobilisation, le meilleur des auxiliaires du ministère de l’Intérieur est Christophe Barbier.



Ce qui est dès lors en cause c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle ne se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants. Et cela nous ne pouvions pas le passer sous silence.

Christophe Barbier, donc, dans deux éditoriaux successifs des 30 décembre 2013 et 6 janvier 2014 (sur lesquels nous allons revenir) se rêve grand ordonnateur des basses œuvres du ministre de l’Intérieur agissant « avec une sorte de volonté d’hygiène » (!), conseillant aux préfets d’instrumentaliser la loi, diligentant des enquêtes fiscales, faisant pression sur les directeurs de salles de spectacle, manipulant les militants antiracistes, concevant la stratégie d’emploi des Renseignements généraux, ou orchestrant la propagande au sein de l’Éducation nationale.

Un défenseur de la liberté d’expression

Mais on relèvera tout d’abord ceci : l’islamophobie de l’Express fait le lit du racisme ou en est une forme euphémisée. Pour se défendre des effets de cet acharnement, Christophe Barbier, plaidant pour l’irresponsabilité, soutient que « Non, la presse ne peut pas tenir compte du contexte ». Tels étaient le titre et le sens de son éditorial-vidéo du 19 septembre 2012 à propos de la polémique autour de la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Sous prétexte de défendre cette publication, Christophe Barbier déclarait alors :

«  Il ne peut pas y avoir de limite à la liberté d’expression. La liberté peut entraîner l’immaturité, peut-être accompagnée d’irresponsabilité, et c’est peut-être le cas pour Charlie Hebdo, chacun fera son avis. Mais la liberté n’a pas d’autre limite que celle des autres, ma liberté s’arrête quand commence celle des autres. La liberté d’expression de Charlie Hebdo n’entrave en rien la liberté de chaque citoyen de considérer que c’est de mauvais goût, à chaque citoyen de respecter la religion de tel ou tel autre, et surtout de chaque citoyen de pratiquer sa religion comme il l’entend. La liberté de Charlie Hebdo n’est donc pas contestable. Si quelqu’un se sent insulté il peut aller devant les tribunaux, c’est Jean-Marc Ayrault qui l’a dit et il a parlé sagement. Mais le pouvoir aurait pu réaffirmer encore plus fortement dès hier soir la liberté d’expression. […] Si la semaine suivante on est carrément dans un choc des civilisations, il faudra que même les analyses sérieuses, les hypothèses intellectuelles soient refrénées pour ne pas mettre d’huile sur le feu ? Le feu est là. La presse ne met pas d’huile, elle essaye de mettre de l’intelligence, mais ce n’est pas son métier de mettre de l’eau, les pompiers sont dans les ambassades, ce sont les diplomates, ce sont les politiques. […] »

Que L’Express et Christophe Barbier mettent de l’intelligence, cela… se discute. Mais qu’ils mettent de l’huile sur le feu de la xénophobie et du racisme, cela n’est que trop évident ! Quant à appeler le gouvernement à recourir à la force publique et à des mesures illégales, il n’en était pas question dans le bavardage de Christophe Barbier. Et c’est heureux.

Seulement voilà : l’écharpe rouge de Christophe Barbier tourne avec le vent.

Un appel à bafouer le droit de vote

Trois ans avant de prendre la défense inconditionnelle et intéressée de la liberté d’expression et de la légalité, Christophe Barbier avait déjà déclamé en vidéo, lors des élections européennes de 2009, au nom des limites à la liberté d’expression cette fois, sa volonté de faire taire Dieudonné qui conduisait alors une liste dans la circonscription d’Île-de-France : en appelant le gouvernement à empêcher les électeurs favorables à cette liste de déposer leurs bulletins de vote. Comment ? En empêchant lesdits bulletins de parvenir dans les bureaux, sans doute… Voire en interdisant la liste ? C’est ce que l’on peut entendre dans l’éditorial-vidéo du 2 juin 2009 intitulé « Dieudonné : stop ! » :

«  La liberté d’expression a des limites. De quel droit Dieudonné et ses comparses peuvent-ils encore nuire dans cette campagne pour les élections européennes. Voilà que dans une tribune ils ont non seulement passé un coup de téléphone du terroriste Carlos les soutenant [sic], non seulement ont fait l’apologie d’Ahmadinejad, mais tenu des propos contre le lobby « juifiste ». […] Et voilà que quand on tient de propos pareils on est tolérés, on a le droit même à des dépêches, on a le droit à une couverture médiatique [sic], on a le droit au respect des autorités de la République, on a le droit de déposer des listes et de se présenter au suffrage des électeurs, on a le droit de flatter les pires instincts parce qu’il y a toujours évidemment des foules prêtes à donner dans la haine, c’est absolument scandaleux, c’est absolument anormal, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’élus pour cette liste, bien sûr, mais il faut faire en sorte, et c’est aux autorités de la République d’y veiller, qu’ils ne puissent pas déposer de bulletin dans les bureaux de vote. Il faut que la République dise que la liberté d’expression a des limites, ce sont les limites des valeurs des droits de l’homme, cette dois ci elles sont franchies. Il y a beaucoup de petites listes insignifiantes dans cette élection, cela ridiculise le scrutin, la liste menée par Dieudonné est une liste de haine, elle ne ridiculise pas le scrutin, elle le rend dangereux, elle le rend nuisible, il faut que cela cesse avant dimanche. »

Des appels au désordre public et aux ex-RG

Depuis quelques semaines, Christophe Barbier mobilise à nouveau contre Dieudonné :

 « Comment en finir avec Dieudonné ? » se demandait-il le 30 décembre 2013. Et de répondre :

« Manuel Valls a raison de tenter de mettre fin aux agissements de Dieudonné. Mais a-t-il pris la bonne méthode ? Le trouble à l’ordre public présumé est toujours difficile à constituer, à constater avant un spectacle, c’est difficile aussi après. Les préfets vont devoir faire preuve de beaucoup d’habileté s’ils veulent appliquer la consigne du ministre. […] Il faut faire pression sur les directeurs de salle, sur les programmateurs pour qu’ils décident de ne plus mettre Dieudonné à l’affiche. Avec une sorte de volonté d’hygiène pour que les spectateurs n’aient plus la possibilité de venir le voir, pour qu’il n’y ait pas la tentation, il faut supprimer l’objet de cette tentation. Ainsi Dieudonné n’aura plus de public. […] »

Que cela puisse avoir l’effet inverse à celui qui est escompté ne lui vient pas à l’esprit. Mais passe encore : cette prescription de ce que qu’il faut faire peut passer pour une opinion ! La suite, beaucoup moins.

 « Comment empêcher Dieudonné de nuire ? » se demande Christophe Barbier une semaine plus tard, le 6 janvier 2014, dans une vidéo que l’on peut voir à la fin de cet article Et il répond :

« Puisque la détermination du gouvernement à agir radicalement contre Dieudonné semble vraie, il faut maintenant trouver la bonne méthode. Alors regardons comment, par quel mode d’emploi on peut empêcher Dieudonné de nuire.

D’abord, le trouble à l’ordre public, ce n’est pas le plus facile puisqu’il faut qu’il y ait des troubles ou des menaces constatés. […] que tous les militants antiracistes se mobilisent pour aller dans chaque ville concernée la veille faire un peu de tohu-bohu et donner au préfet du coin le prétexte qu’il attend, la bonne occasion pour interdire le spectacle. »

Que des personnalités comme Arno Klarsfeld ou des associations lancent de tels appels, c’est leur droit, quoi que l’on pense de ces provocations aux désordres publics. Mais un éditorialiste ?

Ce n’est pas tout…

« Ensuite, il faut aller dans les spectacles de Dieudonné, notamment dans sa salle parisienne, où là l’interdiction pour trouble à l’ordre public est plus difficile ; dans cette salle là on pourra y entendre des choses qui pourront après coup, après coup, permettre d’interdire la récidive du spectacle. Cela permettrait de trouver une nouvelle utilité aux anciens Renseignements généraux. »

Pourquoi anciens ? Parce que le service des RG a été intégré à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Christophe Barbier, auxiliaire du ministère de l’Intérieur, donne ici tout la mesure de son rôle…

… Qu’il complète après avoir expliqué comment empêcher Dieudonné de financer ses spectacles, en prêtant son concours au ministre de l’Éducation nationale :

« […] Mais en fait le vrai ministre qui devrait agir dès aujourd’hui contre Dieudonné, c’est Vincent Peillon, c’est au sein de l’Éducation nationale qu’il faut très vite apprendre aux enfants comment des idées nauséabondes arrivent à se faufiler par anfractuosités de la loi et comment sous le faux nez de l’humour on peut répandre des idéologies dangereuses. Si on arrive à vacciner les enfants contre cela, on aura fait un grand progrès, pas seulement contre Dieudonné, mais contre tous ses épigones, contre tous ceux qui veulent détourner ce si beau métier d’humoriste, ce si beau métier de saltimbanque au profit d’idées qui nécessitent d’être sans relâche combattues. »

Christophe Barbier étant devenu lui-même acteur et saltimbanque [1] sait de quoi il parle. Faut-t-il qu’à notre tour nous suggérions au ministre de l’Éducation nationale d’inviter les enseignants à décrypter les « Unes » de L’Express et de la presse magazine sur l’Islam pour « vacciner » les enfants contre « les idées nauséabondes » ?

Nous n’en ferons rien. Notre propos n’est pas ici de débattre des meilleurs moyens de combattre l’antisémitisme et le racisme, d’où qu’ils viennent. Ce qui est en cause, répétons-le, c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants, quand il appelle à bafouer le droit de vote, à provoquer des désordres publics et à mobiliser les anciens Renseignements généraux.

Blaise Magnin et Henri Maler (grâce au signalement de Jérémie Fabre)


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Notes

[1En 2012, il interprète un des rôles phares dans le long métrage Doutes qui, écrit par son épouse Yamini Kumar, a quasi-unanimement été considéré comme un « navet ».

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