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Le « nouveau » magazine Lui ? Un retour « branché » et antiféministe aux années soixante

par Eve Guiraud,

Depuis la rentrée 2013, les kiosques accueillent un revenant de la presse magazine masculine. Après presque dix ans d’arrêt de parution, « Lui Magazine », fleuron de la presse de charme des années 1960, renaît sous la houlette de Frédéric Beigbeder, son directeur de publication. Une renaissance archaïque…

« Lui Magazine » semble appartenir à une époque révolue. En effet, depuis une trentaine d’années, la presse masculine a vu son modèle éditorial changer profondément, pour s’adapter à « l’évolution des mœurs » de son lectorat, mais aussi des représentations dominantes. L’égalité des sexes s’est ainsi imposée – du moins sur le papier et en théorie… – comme un principe à peu près indiscutable, et des sujets comme la mode, la beauté ou les problématiques intimes sont devenus centraux. Or, comme le montre Estelle Bardelot [1], « jusqu’alors, la presse destinée aux hommes s’intéressait avant tout au charme, à l’automobile et à la mode. Ces formules sont aujourd’hui en déclin  : les ventes de Playboy chutent de 220 000 numéros en 1986 à 52 000 en 1996 ».

Si la presse masculine reposant sur l’abondance de photos de femmes nues et disponibles ne fonctionne plus, elle n’est cependant pas devenue un exemple en terme d’égalité entre les sexes, loin s’en faut. Des magazines comme Max ou FHM regorgent ainsi d’articles misogynes et de photos de charme. De plus, et Lui en est un exemple flagrant, ces magazines recommencent à s’appuyer sur des arguments rétrogrades pour séduire un lectorat masculin présupposé en détresse et traumatisé par le mythe de la virilité perdue – « thèse » dont un des plus brillants propagandistes n’est autre qu’Éric Zemmour, qui écrivait par exemple en 2006 : « En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s’interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression » [2].

La renaissance du magazine Lui soulève plusieurs questions. Pourquoi reproduire à l’identique les procédés utilisés par un journal des années 60 et clairement estampillés « machistes » ? Quel lectorat souhaite t-il atteindre ? Quelles représentations sont-elles données des hommes et des femmes au sein du magazine ?

1960 en 2013

La nouvelle formule du magazine Lui est arrivée en septembre 2013, mais son histoire commence en 1963 lorsque Daniel Filipacchi crée « le premier magazine de presse de charme » en s’inspirant fortement du magazine américain Playboy. Le magazine Lui propose alors un contenu constitué de photos érotiques de pin-up et de starlettes de l’époque, ainsi que des articles sur l’art de vivre, la culture et les mondanités. Le potentiel érotique et irrévérencieux du magazine lui permet d’obtenir beaucoup de succès dès les premières parutions, mais il se heurte à une chute des ventes à partir des années 1980, date à laquelle le marché de la presse de charme est en crise. Le titre est repris plusieurs fois, sous différentes titres, comme « Le Nouveau Lui  » et différents slogans, comme « l’Officiel de la photo de charme » avant l’arrêt de parution en 1994.

Les représentations des genres, et celui de la femme en particulier, véhiculées par le magazine Lui, relèvent de l’archaïsme. Plusieurs intellectuels s’étaient déjà élevés dans les années 1980 contre les magazines de charme, les accusant de réduire les femmes aux définitions machistes qui en font des femmes objet [3].

Lui version 2013 reproduit à l’identique celui de 1963 : photos dénudées de starlettes et de pin-up, contributions d’écrivains et de journalistes prescripteurs, jusqu’aux titres des rubriques, comme « Les filles à épingler », ou encore « La défonce du consommateur ». Le magazine Lui s’adresse de nouveau à un public masculin cultivé et éduqué, bourgeois et urbain, capable de s’offrir et de trouver une utilité aux marchandises vantées par la publicité abondante. Mais contrairement aux aspirations de la presse masculine moderne, cette masculinité est également caractérisée par sa passion pour la femme-objet et son corps dénudé.

Comment expliquer ce retour en arrière ?

Le mâle, espèce menacée ?

Le magazine Lui n’aurait pas (re)vu le jour sans Frédéric Beigbeder. Auteur et personnalité médiatique, emblème d’une bourgeoisie s’imaginant décadente et subversive, Frédéric Beigbeder est un grand admirateur du magazine Lui et de son créateur, Daniel Filipacchi.

Dès l’éditorial, Frédéric Beigbeder annonce la mission du magazine, et dans le même temps, définit le lectorat recherché par Lui. « Cet été à Biarritz, j’ai vu les derniers hommes », « Des pères qui obéissaient à leurs enfants... pendant que leurs femmes surfaient dans des rouleaux de quatre mètres ». La science atteste même du sérieux de la menace : « Il est prouvé scientifiquement qu’il y a de moins en moins de spermatozoïdes dans nos testicules ».

Quelques lignes plus loin, Frédéric Beigbeder explique que si l’homme n’est plus c’est parce que « les femmes ont gagné la guerre ». Une guerre très étrange, puisque son enjeu n’était pas l’égalité des sexes, selon notre ironiste déconfit, mais l’échange de leurs rôles : « Elles ont voulu échanger notre vie contre la leur ». Et d’ajouter, « je vais être très heureux de faire la cuisine, de torcher les gosses, de remplir le lave-vaisselle, de faire les courses au supermarché, si vous me promettez que je ne n’aurais plus jamais à travailler ».

Après avoir établi que les femmes auraient volé aux hommes le rôle qui leur revient et perpétué au passage les représentations sexistes de la répartition des tâches, Frédéric Beigbeder se défend mal d’une certaine nostalgie en évoquant le « souvenir de ce dinosaure nommé Le Mec, celui qui draguait lourdement, celui qui buvait trop, qui conduisait vite... »

Ces quelques lignes d’éditorial s’inscrivent pleinement dans le cadre des théories masculinistes ou hoministes, qui sous couvert de défendre l’antisexisme, collectent les principales atteintes au genre masculin – ou plutôt les atteintes à son omnipotente domination, c’est-à-dire aux formes les plus grossières de patriarcat.

Éloge de « l’hétéro-connard »

Beigbeder s’emploie vaillamment à définir ce qu’est l’homme véritable : « Certains l’appellent “macho”, d’autres disent “néo-beauf ” mais le surnom qui lui va le mieux est connard d’hétéro-sexuel ». Il continue avec « ce mammifère viril et romantique, obsédé par les femmes et ami des gays ». Étrange formulation, un tantinet homophobe, qui semble exclure que les gays puissent être des… hommes. Heureusement, les hommes véritables daignent leur accorder leur amitié.

C’est donc pour réhabiliter ce mâle – et l’homme qui aurait disparu avec lui [4] – que Lui devait renaître.

Pauvres hommes menacés de perdre leurs spermatozoïdes et d’être réduits, fâcheusement réduits, à l’impuissance : une impuissance qui menace les responsables politiques (et la démocratie avec eux), comme tente de l’établir un article de Thomas Legrand sur François Hollande, intitulé sobrement « Les impuissants au pouvoir »... À l’impuissance supposée de François Hollande, dont l’action gouvernementale est définie par le terme féminin « tendresse », le journaliste de France Inter oppose la virilité de Sarkozy et celle d’Obama et conclut qu’en politique, la séduction passe par l’affirmation de la puissance et donc de la virilité.

Une image de la femme réductrice et sexiste

Plusieurs exemples issus des deux premiers numéros attestent d’une vision préhistorique de la femme, réduite à un objet, « magnifique », certes, pour reprendre les termes de Frédéric Beigbeder, mais objet tout de même, à l’utilité bien circonscrite : nourrir les fantasmes des lecteurs, après ceux des journalistes… Même les titulaires de fonctions politiques éminentes, les mêmes qui valent aux hommes qui les occupent une déférence médiatique sans faille, ne sont pas épargnées par les saillies libidineuses de Lui.

Les propos d’Yseult Williams, débauchée du magazine Grazia pour devenir rédactrice en chef de Lui, concernant le potentiel lectorat du magazine, sont accablants. Ainsi, comme le rapportait 20 Minutes le 3 septembre 2013, elle aurait affirmé en conférence de presse : « Je suis sûre que beaucoup de femmes vont l’acheter pour se renseigner sur l’ennemie ». Réduire ainsi les femmes à des êtres obnubilés par la séduction, en concurrence constante avec toutes les autres pour attirer le regard des lecteurs de Lui, et ce avant même la sortie du premier numéro, voilà qui est tout de même assez paradoxal pour un magazine qui se défend d’être sexiste. Ce que n’est évidemment pas la rubrique « Défonce du consommateur » consacrée dans le premier numéro… aux idées cadeaux qu’un homme peut offrir « pour se faire pardonner », et qui sous-entend que la nature profonde de « la femme » est celle d’une capricieuse consumériste et vénale, qui pardonnerait tout à un homme assez riche pour lui offrir un casque de moto customisé à 1250 euros.

Mais ce sont les rubriques consacrées aux femmes politiques qui sont les plus grossières en terme de sexisme. Dans le premier numéro, le concept permet à l’écrivain Nicolas Rey de s’épancher sur son obsession pour Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement. Nicolas Rey raconte l’entrevue qu’il a obtenue après des semaines de harcèlement. Il fait par exemple cette description sans retenue de la ministre : « Sa coupe à la garçonne, ses fesses menues, son corps sec et nerveux », avant de se vautrer dans le quasi scatologique : « Je veux tout de Najat : cheveux, poils, cérumen, caillots de sang séché, n’importe quoi, je le dévore. Je veux nettoyer ses dents d’un trait de langue ». L’illustration de l’article, un photo-montage représentant la ministre dans le fauteuil d’Emmanuelle, héroïne du film érotique éponyme, achève de convaincre « l’hétéro-connard » de la véritable vocation de Najat Vallaud-Belkacem.

Dans le deuxième numéro, Nicolas Rey réitère l’exercice de façon plus classique et bienséante, mais sur le même registre, en affirmant que Nathalie Kosciusko-Morizet se détache du lot des femmes politiques parce qu’elle est « trop belle » et « trop bien sapée ». À ce rythme là, l’auteur de la chronique risque de se retrouver très vite à court de clichés misogynes…

Un « féminisme » antiféministe

Sous ses dehors et dedans profondément machistes, le nouveau magazine Lui a, selon son patron, pourtant vocation à être un magazine féministe. Car, selon Frédéric Beigbeder, il devra faire coïncider « le sexy » et « le féminisme ».

Pour ce qui est du « sexy », illustré par une série de photos érotiques et mettant toujours en scène le même type de femme blonde, très mince, très jeune, blanche de peau, il cadre avec tous les stéréotypes publicitaires et s’inscrit sans imagination dans la vogue pour le « porno-chic ». Des pages qui font aussi office de tirelire publicitaire puisque les mannequins arborent vêtements et accessoires de luxe dûment référencés…

Pour comprendre comment Frédéric Beigbeder entend concilier photos de charme et féminisme, il est important de savoir que les Femen constituent selon lui le véritable féminisme moderne. En effet, « elles utilisent leur nudité comme une forme de combat, elles utilisent leurs seins pour défendre la cause des femmes, c’est donc un féminisme qui soutient la cause de Lui ». Frédéric Beigbeder oublie ici opportunément de préciser que les Femen se battent nues pour rappeler à tous que leurs corps leur appartient et non pas pour satisfaire la libido des lecteurs de Lui – et la comparaison entre les Femen et les pin-up lascives qui prennent des poses soumises tout au long du magazine, est évidemment aberrante.

Rappelons aussi que Frédéric Beigbeder est un des principaux signataires du manifeste « Touche pas à ma Pute », issu du manifeste des 343 Salauds, parodie insultante du mouvement féministe des 343 Salopes, et que l’abolition de la prostitution est un des principaux combats des Femen. À l’évidence Frédéric Beigbeder n’a vu dans le mouvement des Femen que les corps nus des militantes et ignoré le corpus de leurs revendications…

Selon Frédéric Beigbeder, le « véritable » féminisme est sans doute aussi incarné par Marcela Iacub, connue notamment pour l’ouvrage racoleur qu’elle a écrit sur sa relation avec DSK : un ouvrage dans lequel elle conclut qu’Anne Sinclair est à l’origine des actes de son ex-mari… Connue également pour un « féminisme » particulièrement original, elle prend régulièrement la défense des hommes qu’elle estime juridiquement, socialement et moralement discriminés par les acquis féministes traditionnels, par exemple en remettant en cause l’élargissement de la notion de viol, qu’elle juge déjà bien suffisamment puni. Il n’empêche : Yseult Williams, rédactrice en chef, du magazine, a assuré que la présence de Marcela Iacub au sein de la rédaction de Lui sera une « véritable caution féministe ». D’ailleurs le nom de sa rubrique est assez explicite : « C’est elle qui le dit ».

L’article écrit par Marcela Iacub dans le premier numéro s’intitule sobrement « La semence de la discorde » et traite de lois qui obligeraient les hommes à reconnaître leur paternité, même si celle-ci n’est pas souhaitée. Ce coup d’essai est un coup de maître qui regorge d’idées reçues ou d’affirmations lancées à la cantonade que n’importe quel féministe un tant soit peu conséquent jugerait inspirées par un sexisme crasse.

Marcela Iacub commence par rappeler que l’évolution des mœurs a permis aux enfants nés hors mariage ou au sein du mariage d’avoir la même légitimité, avant d’ajouter que « cette autonomie sexuelle et procréative fut la dernière étape d’un processus d’égalisation civique grâce auquel les femmes ont pu accéder aux mêmes carrières professionnelles et politiques que les hommes ». Un jugement assez expéditif pour qui sait l’ampleur des discriminations qui frappent encore les femmes dans le domaine de l’emploi, des rémunérations ou des opportunités de progression professionnelle…

De même, Marcela Iacub estime « qu’être une mère célibataire est devenu un choix aussi raisonnable qu’un autre ». Si cela peut bien entendu être le cas, comme oublier ou ignorer que le Secours populaire accueille de plus en plus de ces mères célibataires chaque année et que les familles monoparentales (c’est à dire dans la grande majorité des cas, femme seule avec enfant) constituent la fraction la plus pauvre de la population ? Le fait d’élever seul un enfant expose à une grande fragilité professionnelle, économique, et donc induit une perte d’autonomie chez de nombreuses femmes, et cette situation profondément inégalitaire semble tout bonnement ignorée par celle qui est sensée être la caution féministe du magazine Lui.

En effet, Marcela Iacub a des choses plus importantes à défendre et dénonce dans cet article les lois qui ont permis, ou vont permettre, aux femmes d’obliger les hommes à reconnaître leurs enfants, « dont ils ne voulaient guère », souligne Marcela. Car d’après elle, les hommes sont souvent victimes de femmes voulant à tout prix devenir mères et qui n’hésiteraient pas à les violer ou à voler leur sperme. Même si on peut accorder à cette juriste de formation, l’existence de faits pouvant appuyer sa vision des choses, il semble improbable que le « vol » du « sperme enfermé dans un préservatif pour s’inséminer avec le liquide du malheureux propriétaire », tel qu’elle le décrit, soit suffisamment récurrent pour devenir un exemple flagrant de maltraitance masculine.

Dénoncer des pratiques juridiques qui accableraient des hommes devenus pères malgré leur consentement n’est évidemment pas critiquable. Mais Marcela Iacub avait-elle besoin d’affirmer que les femmes, non contentes d’avoir déjà tout gagné en terme d’égalité, souhaitaient désormais assouvir leur soif de maternité en agissant comme de véritables vampires ? Le ton est tellement dramatique que Marcela Iacub conclut l’article en conseillant aux hommes de vite courir se faire stériliser et d’enfermer leur sperme à double tour dans des banques, afin qu’aucune femme ne puisse les obliger à devenir père !

Pour achever de démontrer son féminisme, Marcela Iacub nous apprend dans la deuxième livraison de Lui que les femmes souhaiteraient voir les prostituées augmenter leurs tarifs afin de ne plus être victimes d’une concurrence déloyale, mais aussi qu’une femme qui vieillit perd automatiquement tout attrait sexuel aux yeux des hommes…

Le pire dans ces élucubrations c’est qu’elles sont prononcées en toute bonne conscience « féministe » par leur auteure, comme lorsque Frédéric Beigbeder, revenant sur les accusations de sexisme portées contre son magazine, explique qu’il se prosterne aux pieds des femmes et que cet aveu devrait suffire. Ou comment aggraver son cas sans même s’en apercevoir…

Frédéric Beigbeder souhaitait célébrer à travers la renaissance du magazine Lui l’époque glorieuse où les filles étaient nues et les hommes heureux. Le contenu du magazine atteste qu’il est conforme à ses vœux. Reste à savoir si les hommes sont prêts pour un voyage de cinquante ans en arrière.

Eve Guiraud

 
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Notes

[1« La “nouvelle presse masculine”. Ou le renouvellement d’un champ de la presse magazine en France », Réseaux, n° 105, 2001, pp. 161-189.

[2Le premier sexe, paru chez Denoël en 2006.

[3Parmi eux, Gilles Lipovetsky, qui revient sur le rôle de l’érotisation du corps de la femme dans ce genre de magazines : « Qu’exprime la pornographie dans cette perspective ? Moins une morale des plaisirs qu’une politique du mâle destinée à consacrer la domination masculine en reconduisant l’image de la femme putain, de la femme servile, de la femme stupide, abusée, objet des hommes ». La Troisième femme : permanence et révolution du féminin, Paris, Gallimard, 1997.

[4Un lieu commun macho qui ne repose sur rien, comme l’explique, dans l’ouvrage déjà cité, Gilles Lipovetsy, « en vérité, la crise de la masculinité est loin d’être un fait social de masse. La dévalorisation des conduites machistes et la nouvelle indépendance des femmes n’ont nullement entraîné une fragilisation extrême de l’identité virile […]. L’idée d’une montée de la crise du masculin, de l’homme blessé et plaintif est une idée trompeuse. Même si les repères de la masculinité sont devenus flous, la plupart des hommes ne souffrent pas de malaise identitaire mais, comme les femmes, de difficultés relationnelles ou professionnelles ».

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