« L’État commande le nouveau Rafale ». Si le titre de l’article est sobre, son contenu l’est un peu moins. Écrit à la gloire de l’avion de chasse français, le papier de Véronique Guillemard dans Le Figaro donne le ton dès l’introduction : « Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique… À l’épreuve du feu, le Rafale a prouvé ses qualités opérationnelles et son caractère omnirôle. »
L’article dresse la liste des caractéristiques techniques de cette arme de guerre (qui, faut-il le rappeler, sert à distiller la mort avec la plus grande efficacité possible) et s’enthousiasme des améliorations dont il bénéficiera, comme ce « missile de nouvelle génération […] capable de frapper une cible située à une distance de quelque 100 km ».
Ou encore cette « nouvelle version à guidage terminal laser de l’AASM (armement air sol modulaire guidé par GPS et infrarouge) », une « première historique dans les armes air-sol de précision » qui a déjà permis, en Lybie, de « détruire des objectifs à plusieurs dizaines de kilomètres de distance, avec une précision métrique. »
Sans oublier la « nacelle de désignation laser […] permettant d’identifier, de sélectionner et de guider vers des cibles, avec une plus grande précision, de jour comme de nuit. »
Étourdissant de spécifications techniques, l’article n’omet pas de donner la parole au PDG de Dassault Aviation : « [le contrat] conforte les atouts du Rafale dans les compétitions export » ainsi qu’au ministre de la Défense, enthousiaste : « En opération, [le Rafale] a montré l’avantage décisif qu’il donne ».
Dommage pour le groupe Dassault que cette admiration ne soit pas vraiment partagée ailleurs qu’en France : aucun Rafale n’a été vendu à ce jour à l’étranger par le groupe aéronautique, malgré les efforts de la diplomatie française. Encore récemment, le Brésil préférait au Rafale un chasseur suédois.
À propos de cette vente, Véronique Guillemard publiait déjà dans Le Figaro un article aux airs de communiqué, comme en témoigne son chapeau : « Brasilia n’a pas retenu le Rafale français ni le F18 américain pour ce contrat portant sur 36 chasseurs pour 5 milliards de dollars. Le groupe Dassault regrette ce choix et estime l’avion de combat de Saab moins performant. [1] »
Cela n’est sans doute pas totalement anodin : Véronique Guillemard, qui est rédactrice en chef adjointe au Figaro économie, se voyait attribuer, quelques mois après le rachat du Figaro par Serge Dassault, le « portefeuille des industries aéronautique et spatiale ainsi que de la défense [2]. »
Un « portefeuille » qu’on lui demande de prendre en charge en toute objectivité, bien sûr.
Comme un écho ironique à la devise du quotidien (« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur »), les éloges du Figaro pour le Rafale sont une nouvelle illustration de l’absence d’autonomie et d’indépendance de sa rédaction vis-à-vis de son actionnaire.
Nous avions déjà noté, dans un comparatif publié en septembre, la complaisance du quotidien envers les déboires judiciaires de son propriétaire... Celle-ci s’est à nouveau confirmée début janvier : pour évoquer la plainte déposée contre Serge Dassault pour « association de malfaiteurs », le chroniqueur judiciaire du Figaro choisit comme angle... la « contre-attaque » de son patron [3]. En journaliste, ou en attaché de presse ?
Plus récemment encore, la garde à vue du successeur de Serge Dassault à la mairie de Corbeil-Essonnes, Jean-Pierre Bechter, n’a fait l’objet, jusqu’à présent, d’aucun article par le quotidien - qui s’est contenté de reprendre, en vidéo, un sujet d’une minute 15 diffusé sur BFM-TV.
L’industriel, quant à lui, n’hésite pas à s’inviter dans les colonnes de son propre journal, qu’il s’agisse de présenter ses vœux aux lecteurs ou de se défendre contre les « déferlements de haine » à son égard, après le refus du bureau du Sénat de lever son immunité parlementaire (dans une tribune publiée le 12 janvier).
Mais Le Figaro est-il vraiment un cas à part ? Rien n’est moins sûr. On peut se demander dans quelle mesure la crise de la presse ne rend pas les rédactions toujours plus dépendantes des propriétaires des grands groupes de médias, au point d’accepter des contraintes de plus en plus fortes sur leur travail… voire l’intervention directe de leurs actionnaires.
Alors que le trio Bergé-Niel-Pigasse, déjà propriétaire du Monde, s’apprêterait à racheter la majorité des parts du groupe Nouvel Observateur, les propos attribués à Xavier Niel sont sans doute à méditer : « Quand les journalistes m’emmerdent je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix. » [4]
Frédéric Lemaire