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Hollande - Gayet - Trierweiler : un vaudeville écrit et mis en scène par les médias ?

par Blaise Magnin,

L’accident de Michaël Schumacher déjà oublié, « l’affaire Dieudonné » à peine soldée, voilà que les frasques privées du Président de la République révélées par des photos (volées et ne prouvant pas grand-chose par elles-mêmes) publiées par le magazine Closer le 10 janvier ont offert à l’ensemble du microcosme médiatique un nouveau sujet d’emballement.



Mais comme seule la presse estampillée « people » peut se vautrer en toute bonne conscience dans le journalisme de trou de serrure et faire ses choux gras de la vie sentimentale des personnages publics, les médias d’information générale ont dû renoncer à l’aborder frontalement et trouver toute une série d’expédients pour s’en délecter sans avoir l’air d’y toucher. Il n’empêche : en quelques jours (si ce n’est en quelques heures), la curiosité insatiable des « grandes rédactions » et le flot intarissable des commentaires a transformé une « affaire privée » en pièce de boulevard mâtinée de drame républicain.



Pourtant, même traitée avec toute la hauteur de vue dont sont capables les « grands journalistes » face à « l’évènement », rien ne pouvait justifier que cette « affaire », qui n’a comme conséquences politiques que celles que lui confère sa médiatisation massive, interrompe le traitement « normal » de l’actualité et occulte pendant plusieurs jours d’autres informations devenues, d’un coup, secondaires.

Briseurs de tabous

Fondant sur les révélations de Closer comme un vol d’étourneaux, tous les médias les ont abondamment relayées. Mais pas n’importe comment… Aveugles à leur propre rôle et à leur propre frénésie, les grands médias ont ainsi passé la journée du 10 janvier à parler de la vie privée de François Hollande tout en cherchant gravement à comprendre, comme Le Figaro ou Europe 1, pourquoi « un verrou a sauté » s’agissant… de la médiatisation de la vie privée des présidents de la République !

Et la plupart des médias d’opter pour la même stratégie : faire mine de prendre de la hauteur en retraçant de prétendues grandes évolutions « sociétales » et institutionnelles, pour mieux participer au commérage général sur la situation conjugale du président : des Échos, à L’Est Républicain, ou 20 Minutes, en passant par le site de France Télévisions, ou le Huffington Post, il n’était question que de tabou levé, de grand déballage, de partage entre public et privé et… de la liaison entre François Hollande et Julie Gayet.

Le sommet de l’hypocrisie (et de l’absurde) étant atteint par Le Figaro qui organise un de ces pseudo-sondages en ligne pour demander aux internautes si Closer a « eu raison de publier les photos de la vie privée du Président », mais omet opportunément de demander si Le Figaro a eu raison de s’en saisir comme d’une information incontournable…

Pour ce qui est du comble du moralisme, c’est Marianne qui l’atteint dans un article intitulé « Hollande, Gayet : respect de la vie privée, oui, mais pas quand la première dame est encore à l’Élysée », où le journaliste se fait juge des bonnes mœurs, condamnant François Hollande, « en porte-à-faux avec les principes minimum auxquels est tenu le chef d’un État où le mariage reste, pour l’heure, une institution civile définie par les lois de la République, avec ses contraintes et ses obligations, ses valeurs et ses devoirs. Ou alors c’est considérer que le pacs, le concubinage notoire et la vie à deux sous le même toit, notamment à l’Élysée, n’a pas la valeur du mariage à la mairie. Si Valérie Massonneau était Madame François Hollande, le Président de la République irait-il quand même rejoindre Julie Gayet sur son scooter  ? On peut se poser la question. »

Enfin, on décernera la palme de l’aveuglement au journaliste de RMC qui, pour conclure leur entretien, demande à Olivier Besancenot : « Comment on fait pour que la vie privée n’interfère pas avec la vie publique et avec les vrais sujets qui intéressent les Français ? »

Très vite après les premières révélations, il fallut trouver d’autres angles pour pouvoir continuer à évoquer « l’affaire » en lui donnant une tonalité un peu moins burlesque et dérisoire qui justifierait qu’elle reste sur le devant de l’actualité.

Sur les traces du grand banditisme

La première tentative fut un fiasco. Pendant 24 heures, entre le 12 et le 13 janvier, se multiplièrent, souvent dans un même article, des reprises du « scoop » de Médiapart affirmant que l’appartement abritant les rencontres présidentielles était lié au grand banditisme, qui allait se révéler faux (misère du « journalisme d’investigation » quand il se prend à épouser le rythme effréné de « l’actu » en temps réel), et les démentis, très vite obtenus, relatant l’ire du propriétaire réel et démontrant que l’information n’en était pas une ! Aucun média ou presque, qu’il s’agisse de la presse écrite (voir Le Parisien ou Le Point), des grandes radios (comme RTL) ou des télévisions (voir notamment les sites de France Télévisions ou de LCI) ne fut épargné par cette fuite en avant.

Angoisse sécuritaire

Après cette consternante « séquence médiatique » et puisque l’appartement ne posait en définitive pas de problème, il s’agissait d’en chercher du côté de la sécurité du président lors de ses escapades en scooter. Là encore, le suivisme de la plupart des grands médias fut sans faille. Du Nouvel Observateur à Libération, en passant par L’express, Le Figaro ou BFM-TV, la plupart relayaient sans sourciller les « analyses »… du paparazzi ayant réalisé les clichés pour Closer – à croire qu’il est aussi un expert de la protection des personnalités.

Statut or not statut ?

L’artifice suivant utilisé par les médias pour maquiller leur torrent de commentaires sur les amours présidentielles en enjeu institutionnel décisif fut de s’interroger sur le statut de première dame. Une question si impérieuse que toute la presse fut encore au rendez-vous pour entonner le refrain du moment : Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, etc.

Au chevet de Valérie Trierweiler

Un statut de première dame qui leur tient tant à cœur qu’aucun média ne jugea que l’hospitalisation de Valérie Trierweiler, consécutive aux révélations de Closer, ne méritait pas, ne serait-ce que par égard pour l’intéressée, d’être claironnée dans l’heure sur toutes les ondes… Plus consciencieux encore que ses confrères, Le Figaro interviewa la biographe de la compagne du président qui fit cette confidence si importante qu’elle se retrouve en titre à l’article : « Dès qu’elle ira mieux, Valérie Trierweiler rendra coup pour coup à Hollande ». Et c’est sans doute aussi avec la ferme intention d’informer coûte que coûte, qu’une semaine après l’annonce de l’hospitalisation, L’Express ou Le Figaro relèvent que les médecins n’auraient pas autorisé François Hollande à rendre visite à Valérie Trierweiler à l’hôpital…

Questions pour communicants

Après avoir glosé sur tous les aspects de « l’affaire » sans jamais distiller la moindre information significative, les médias essayèrent péniblement de la raccrocher à l’actualité politique. À moins que ce ne soit l’inverse : une tentative de rapprocher l’actualité politique de la seule question qui les intéressait ! Alors que François Hollande s’apprêtait pourtant à détailler le « pacte de responsabilité » qu’il entend proposer aux entreprises et qui constitue une inflexion politique majeure de son mandat, les journalistes n’étaient préoccupés que par une seule question relevant de la stratégie de communication du président : le télescopage entre les révélations sur sa vie privée et la tenue de sa conférence de presse [1] ! Europe 1 et Télérama allaient même encore plus loin dans le souci de précision de l’information en cherchant à savoir qui, parmi les journalistes présents, oserait « poser la question » à François Hollande. On imagine la fièvre des lecteurs découvrant cette information…

En quête de « modèles »

Soyons justes : tout ne fut pas totalement futile. On s’interrogea donc gravement sur les limites entre vie privée et vie publique. L’immixtion des médias dans la vie privée des responsables politiques et particulièrement du Président de la République est-elle justifiée et dans quelles limites ? Mais d’abord, pour se convaincre eux-mêmes de la légitimité d’offrir une place aussi démesurée à cette « affaire », et s’en dédouaner, les journalistes français du Monde, de L’Express, des Échos ou du Parisien, entre autres, ont largement rendu compte de la façon dont les médias étrangers s’en saisissaient. Comme si les turpitudes de la presse au-delà de nos frontières justifiaient celles des médias français et amenuisaient leur responsabilité… Après le « modèle allemand » en matière de compétitivité, les « modèles anglo-saxons » sur la libido des responsables politiques ?

Le fond et le reste

Tout ne fut pas futile, mais quand les médias s’interrogent sur leur propre rôle ou que l’on s’interroge sur leur rôle dans les médias, la médiatisation elle-même se transforme en spectacle. Médiatique, bien sûr. Avec, parmi les conséquences, une omission et une inflation lamentables.

Vie privée/vie publique ? Le tohu-bohu d’arguments contradictoires orchestré autour du respect de la vie privée du président s’est accompagné d’un silence assourdissant : pas un mot ou presque sur le respect dû à la vie privée de Valérie Trierweiler et de Julie Gayet. Des « dégâts collatéraux » ?

Vie privée/vie publique ? Le tintamarre a atteint son maximum d’intensité dans le prétendu service public : trois « débats » en cinq jours sur France 2, dans les émissions « Des paroles et des actes » du 16 janvier (avec, notamment, les duettistes Christophe Barbier et Franz-Olivier Giesbert), « Ce soir ou jamais » du 18 janvier, « Mots croisés » ce soir 20 janvier (avec notamment, les « incontournables » Jean Quatremer et Nicolas Domenach). La semaine prochaine, c’est promis : trois débats sur la vie privée des licenciés et, plus généralement, des chômeurs !



***




De cette pathétique et unanime focalisation médiatique sur l’idylle supposée entre le Président de la République et une comédienne, nous n’avons retenu que le plus saillant. Nous aurions aussi pu relater la brusque célébrité de l’ex-mari de Julie Gayet, interrogé sur toutes les ondes pour connaître l’état d’esprit de son ex-épouse. Ou encore, « l’info » servie à peu près partout à propos... des croissants (au beurre ou ordinaires, nous ne saurons jamais) que son garde du corps aurait apportés à François Hollande au petit matin.

Nous aurions également pu évoquer les portraits à répétition de Sébastien Valiela, auteur de l’article dans Closer. Mais aussi, la resucée de voyeurisme provoquée le 17 janvier par la publication de nouveaux articles dans le même magazine. Alors que le soufflé semblait doucement retomber à la suite des déclarations de François Hollande renvoyant au respect de sa vie privée et à une mise au point ultérieure, leur contenu fut repris une nouvelle fois par une grande partie des grands médias, décidément jamais rassasiés.

On pourrait voir dans cet emballement médiatique insensé un épisode ponctuel et somme toute accidentel. Mais intervenant quelques jours à peine après que les médias eurent fait de « l’affaire Dieudonné » une affaire d’État, on en vient à se dire qu’il s’agit là d’un mode de (dys)fonctionnement ordinaire dans lequel les médias se complaisent. Et si la concurrence mimétique qu’ils se livrent pour l’audience explique largement cette couverture hors de toute proportion « d’évènements » qui n’en sont pas et ne devraient pas le devenir, cela ne justifie en rien que l’information et le public en soient les premières victimes.

Blaise Magnin (avec Henri Maler)







Et ainsi de suite…

 
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Notes

[1Voir par exemple Le Monde, Le Parisien, Libération et Le Figaro.

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