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Hollande-Trierweiler-Gayet : la visite guidée d’un appartement par Mediapart

par Mathias Reymond,

Le journalisme d’investigation est la marque de fabrique de Médiapart. Mais quelle investigation et sur quoi ? Ces questions méritent d’être posées chaque fois que ce journalisme se confond avec un journalisme de scoops. Si les aventures amoureuses de François Hollande n’intéressent que modérément Médiapart, le site d’Edwy Plenel trouve rapidement des thèmes pour utiliser son outil de prédilection (l’investigation) et le greffer sur les sujets du moment. Cette fois-ci il est donc question du statut de la « première dame », d’un appartement et d’une femme aux relations douteuses.

Pour Mediapart, tout a débuté le 10 janvier 2014. Dans une chronique alambiquée, Hubert Huertas se pose l’éternelle question qui passionne tous les journalistes politiques : « Quelle frontière entre l’information et le trou de la serrure ? » La réponse est limpide : il faut informer sur ces trous de serrure tant que la compagne ou l’épouse du Président de la République aura le statut absurde de « première dame », c’est-à-dire tant qu’elle disposera « de bureaux au cœur de l’État, dans une aile de l’Élysée, et même d’un directeur de cabinet muni de son secrétariat. » Mais en quoi les aventures extra-conjugales d’un président influent-elles sur le statut de la « première dame » ? La réponse ne vient pas, et Mediapart se lance dans l’investigation.

Des enquêtes bancales

Le 12 janvier, la rédaction de Mediapart signe le premier article d’enquête sur cette affaire et assure que l’appartement dans lequel se retrouvaient Hollande et Gayet est « lié au grand banditisme ». L’investigation de Mediapart est passablement confuse. Décryptage.

L’appartement en question, prêté par Emmanuelle Hauck aux tourtereaux, serait au nom Michel Ferracci, « soupçonné de lien avec le grand banditisme corse ». Pour preuve irréfutable, les journalistes ont photographié la sonnette de l’appartement sur laquelle apparaît le nom de Ferracci à côté de celui de Hauck. Or, Ferracci et Hauck sont divorcés et ont eu des enfants qui ont gardé le nom de leur père… et qui vivent chez leur mère. D’où les deux noms sur la sonnette.

Ensuite, pour justifier le fait que l’appartement appartient à Ferracci, Mediapart affirme que « son nom apparaît bien dans les Pages blanches de La Poste à l’adresse indiquée (voir ici) ». Or le lien suggéré par Mediapart ne donne (plus ?) aucune information. Et quand on cherche s’il y a bien un Michel Ferracci au 20 rue du Cirque, on s’aperçoit que son nom ne figure pas (plus ?) dans les Pages blanches…

Enfin – sommet d’investigation – le site écrit que le nom d’Emmanuelle Hauck « n’apparaît pas à cette adresse dans les Pages blanches » et le prouve par une capture d’écran sans intérêt. Selon ces méthodes, nous avons fait une recherche, et nous pouvons affirmer sans hésiter qu’Edwy Plenel n’habite pas en Île-de-France… puisque son nom n’apparaît pas dans les Pages blanches !

En se fondant sur ces quelques arguments bancals de géolocalisation, Mediapart déroule ensuite un long article sur le passé de Ferracci, puis sur le dernier conjoint d’Emmanuelle Hauck, assassiné en mai 2013. Et, en guise de conclusion, de s’interroger gravement : « Victime de ses passions, François Hollande est-il de plus tombé dans un piège parce qu’il n’a pas été alerté sur les liens de l’appartement qu’il fréquentait avec le grand banditisme ? » Tout ça pour ça ?

Le même jour, et pour surfer sur ces premières « découvertes », Ellen Salvi apporte de nouvelles « révélations » fondamentales que le chapeau de l’article présente ainsi : « Michel Ferracci, dont le nom apparaît dans l’affaire de l’appartement prêté à François Hollande et Julie Gayet, a été au cœur du scandale du Cercle de jeux Wagram. L’enquête a révélé ses liens avec des figures du grand banditisme corse, mais aussi avec plusieurs personnes issues du milieu policier, à commencer par l’ex-patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini. » Les lecteurs de Médiapart peuvent être rassurés : leur site préféré n’enquête pas sur la vie intime de François Hollande et de Julie Gayet, mais sur celle d’Emmanuelle Hauck, de son ex-compagnon et de son appartement…

Cette enquête immobilière, de surcroît, ne débouche sur rien, si l’on en croit l’avocat de Michel Ferracci qui a rapidement fait savoir que son client n’a jamais habité ni disposé d’un appartement au 20 rue du Cirque… Et, selon Valeurs Actuelles, « c’est en fait l’épouse d’un grand patron du CAC 40 et bienfaitrice de nombreux artistes qui serait la propriétaire de l’appartement ». Dans le passé, cet appartement « était alors régulièrement utilisé par Jacques Chirac ou certains de ses collaborateurs pour des rencontres destinées à rester secrètes » ajoute l’hebdomadaire. Aujourd’hui le bail de location serait au nom d’Emmanuelle Hauck.

Mais plutôt que d’en rester là et de tourner la page avec un petit rectificatif, Mediapart a enfoncé le clou, dans un article (de trop) publié le 14 janvier, justifiant sa démarche au nom de « la sécurité du président »  : « L’hypothèse d’une grave défaillance à l’Élysée sur la sécurité du chef de l’État dans l’affaire de la rue du Cirque se renforce. » Et d’ajouter : « Les liens avec le grand banditisme corse d’Emmanuelle Hauck, qui a prêté son appartement à François Hollande pour ses rencontres secrètes, se révèlent en effet étroits. » Argumentant cela à l’aide de quelques extraits d’écoutes téléphoniques, Mediapart met en scène des informations secondaires et surtout fait état de conversations privées d’Emmanuelle Hauck… Des conversations qui relèvent de la vie privée et qui pourraient même lui être préjudiciables maintenant qu’elles sont publiques. Et cela, Mediapart n’en a que faire, puisque seule importe la « sécurité du président ».

Des mises au point bancales

À la suite de ces quelques articles d’investigation racoleuse, de nombreux lecteurs de Mediapart ont réagi avec virulence. Ce qui nous a valu trois mises au point.

 Le premier article, signé Fabrice Arfi, souvent mieux inspiré, est « un billet à l’attention des lecteurs dubitatifs, voire en colère, au sujet du traitement par Mediapart de l’affaire de la rue du Cirque. » En illustrant son papier par une photo (qui ne sert à rien) de l’entrée du 20, rue du Cirque (à la manière de Paris Match photographiant l’ascenseur de l’immeuble…), Arfi précise que « le sujet est bien la "logeuse" », en l’occurrence Emmanuelle Hauck… qui n’a sûrement pas souhaité une telle mise en lumière. Puis il ajoute : « Ce n’est pas Mediapart qui invente que cela pose un problème pour la sécurité du Président de le République. Ce sont les policiers spécialisés en la matière qui le disent. » Or dans l’article cité plus haut dans lequel il est question de la sécurité du président, seulement deux policiers spécialisés (Denis Roux et un anonyme) évoquent le « manque de prudence » de sa garde rapprochée, sans pour autant avoir les éléments pour juger… Un autre policier affirme au contraire que l’on ne peut pas « évoluer en permanence dans un environnement aseptisé » et que mener une enquête peut « laisser des traces et mettre en danger la discrétion de la vie privée du président. » Donc, la dimension « sécurité en danger » du président, pierre angulaire de l’intérêt de Mediapart pour cette histoire, est loin d’être évidente.

 Le second article de mise au point est rédigé par Edwy Plenel lui-même. Après avoir synthétisé tout ce qui a été décrit ci-dessus, le patron de Mediapart revient au cœur du sujet, de son sujet : « le débat sur la légitimité et la pertinence de ces informations et, plus largement, la discussion sur le respect par la presse de la vie privée des responsables politiques. »

D’emblée, Plenel précise que « Mediapart respecte la vie privée, y compris celle des responsables publics, fussent-ils placés au plus haut niveau de l’État. » Or, la vie privée d’Emmanuelle Hauck ne semble pas avoir été respectée tant que cela (on connaît maintenant tout de ses aventures sentimentales passées et présentes). Était-ce utile, par exemple, d’apprendre dans les colonnes de Mediapart que un « ami » de Hauck, « et que les enquêteurs soupçonnent être Jean-Angelo Guazzelli, donne visiblement à Emmanuelle Hauck sa bénédiction quant au couple qu’elle forme avec son nouveau compagnon »  ? Quel est l’intérêt pour le bien-être la République ? Et pour la sécurité de son président ?

Edwy Plenel insiste ensuite (et encore) sur les liens qu’entretenait la « logeuse » avec les milieux du grand banditisme corse oubliant presque que ce n’était pas avec elle, mais avec une autre femme que François Hollande avait été surpris. Cette histoire, nous dit-on, met « le journalisme à l’épreuve d’un cas limite, celui d’un président ayant lui-même laissé sa fonction publique être prise au piège de sa vie privée. » Comme nous l’écrivions ici-même, cette histoire met surtout en lumière une certaine misère du journalisme, fût-il d’investigation, quand il se prend à épouser le rythme effréné de « l’actu » en temps réel…

 Enfin, la troisième mise au point – certainement la plus cocasse – a été publiée le 16 janvier. L’entame de l’article rédigé par Philippe Riès est assez stupéfiante : « L’indifférence des Français aux escapades "sentimentales" des princes qui les gouvernent est le pendant de leur tolérance à l’égard de la corruption de la classe politique. C’est la marque d’un profond et récurrent déficit démocratique. » Parce que les Français accordent peu d’importance à la vie privée des élus, ils seraient tolérants à l’égard de leur corruption ? Pour tenter de fonder cette équivalence d’autant plus grotesque qu’elle attribue à tous les Français une indifférence à l’égard de la corruption que rien n’atteste, Riès prend dans une main « les sondages » qui assurent que les Français sont indifférents « aux escapades sentimentales des princes », et dans l’autre « leurs votes » qui exprimeraient une tolérance « à l’égard de la corruption de la classe politique. » Ce qui est vrai dans quelques cas d’élus soupçonnés ou accusés de corruption (les Tibéri, Dassault et Balkany, par exemple) est loin d’être général. Mais surtout, il n’est pas indispensable d’être docteur en science politique pour contredire cet argument bancal : si l’on excepte les élections présidentielles, le taux de participation aux élections est en baisse constante depuis les années 70, ainsi que l’indique ce graphique publié par l’INSEE. Ce « désaveu » est quand même plus profond qu’une prétendue indifférence à l’égard de la corruption.

Pour étayer sa « démonstration », Philippe Riès, allègrement, confond tout : « Vie privée, les dépenses de fonctionnement extravagantes des sénateurs, leur "caisse noire", l’embauche d’épouses ou de rejetons comme collaborateurs rétribués sur fonds publics par des parlementaires ou de "grands" élus locaux ? Vie privée, le détournement des ressources de l’État à usage personnel ou à des fins politiques, et pas seulement en période de campagne électorale ? Vie privée, dans un État "en faillite", la persistance d’un train de vie exorbitant par rapport au sort ordinaire de la population par un personnel politique, national ou local, qui prospère véritablement "hors sol" ? » Mais qui a parlé de vie privée dans ces cas-là ? Les Français ? Ah bon.



***




Lors du débat que nous avions organisé le 14 novembre 2013 avec Fabrice Arfi (de Médiapart), Henri Maler (pour Acrimed) avait mis en question le risque de voir le journalisme d’investigation devenir dans nombre de cas un journalisme de diversion. Tel est le cas avec le traitement du faux « scoop » de l’appartement par Mediapart. Tel est le cas chaque fois que, oubliant d’éclairer sur les questions de fond, l’œil collé au microscope, les enquêtes participent à un carnaval du scoop [1] dans lequel des révélations subalternes tiennent lieu d’enquête sur l’essentiel.

Mathias Reymond

 
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Notes

[1Lire à ce sujet l’article « Le carnaval de l’investigation », Le Monde Diplomatique, mai 2013.

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