On ne reprochera évidemment pas au journal régional Le Parisien de s’occuper prioritairement du scrutin parisien. Mais de quelle façon le fait-il ? Comparons comme il le ferait lui-même pour un candidat, les paroles et les actes de ce journal. Dans une campagne publicitaire visible dans la rue et dans la presse, Le Parisien nous livre sa promesse pour les élections municipales : celle d’une couverture « neutre mais pas tiède ».
Tiède ? Il nous sera difficile d’expertiser la température des articles. Mais « neutre », vraiment ? Au regard des « unes » de ces derniers jours, pour ne considérer que celles-ci, difficile d’estimer que la promesse est tenue. En près d’une semaine (du samedi 25 janvier au jeudi 30 janvier), les élections municipales parisiennes ont fait à cinq reprises l’objet d’un appel de « une » plus ou moins important. Et à cinq reprises, seules deux candidates ont été mentionnées : Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo.
Il nous avait pourtant semblé comprendre qu’au moins cinq personnes défendant un parti concouraient aux élections municipales à Paris. Outre les deux déjà mentionnées, nous avons relevé la présence de Danielle Simmonet pour le Front de gauche, Christophe Najdovski pour Europe Écologie-Les Verts et Wallerand de Saint-Just pour le Front National.
D’ailleurs, ces cinq candidats étaient réunis le mercredi 29 janvier en soirée à la télévision et à la radio (sur LCI et Europe 1) pour un « grand débat » événementiel censé poser les enjeux de la campagne. Mais à en croire le traitement fourni par Le Parisien à cette occasion, la présence de cinq débatteurs était tout sauf évidente.
« NKM et Hidalgo : les enjeux du grand débat », pouvait-on lire en titre, ce mercredi-là, avec ce chapeau : « Aujourd’hui, [...] les deux candidates à la mairie de Paris s’affrontent pour la première fois en tête à tête ». Non seulement les autres candidats ne sont pas même évoqués, mais en en écrivant « les deux candidates » et non « deux des candidats », le journal laisse entendre aux lecteurs peu au fait de la campagne que les autres n’ont aucune existence.
Le lendemain du débat, jeudi 30 janvier, Le Parisien tire le bilan. Cela pourrait être l’occasion d’appeler en « une » le lecteur à prendre connaissance des idées avancées par toutes les forces en présence. On aurait même pu imaginer un titre commercialement accrocheur, du genre « Municipales : qui a gagné le débat ? », illustré par une photo de chacun des débatteurs. Mais non. Une fois encore, seules « NKM » et Anne Hidalgo existent aux yeux du journal qui se prétend neutre. « Hidalgo - NKM : les enseignements du débat », indique le titre de « une », illustré par deux photos des candidates prises pendant l’émission, mais isolées du reste du plateau. Le chapeau est à l’avenant : « Le premier grand débat des municipales à Paris n’a pas changé la donne. Anne Hidalgo en ressort plutôt confortée dans son rôle de favorite face à une Nathalie Kosciusko-Morizet qui n’a pas vraiment marqué de points ».
Mais ce n’est que la « une ». « Il faut voir à l’intérieur », pourront argumenter les défenseurs du journal. Soit. Qu’il soit pour autant admis qu’une couverture peut être considérée pour ce qu’elle est : l’appel que le journal lance non seulement à ses lecteurs, mais aussi à ses non-lecteurs. De nombreuses personnes auront vu cette « une » sans pour autant songer à acheter le journal. Pour celles d’entre elles qui auront simplement lu ces titres (et tous ceux que Le Parisien a publiés jusqu’à maintenant), le scrutin parisien n’oppose que deux candidates.
Ouvrons maintenant le journal et voyons à quelle neutralité Le Parisien s’oblige. Sur toute la page occupée par le compte-rendu du débat, les trois-quarts consistent en un face à face entre Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour analyser, critiquer, discuter les idées qu’elles ont avancées ? Certainement pas. Sont passés au crible : leur « look », leur « attitude », leur « stratégie de débat », leur « gestuelle », leur « botte secrète », leur « phrase choc », leur « point fort » et leur « point faible ». Au milieu de considérations passionnantes sur la gestuelle « énergique, un peu saccadée » d’Anne Hidalgo et « les mains ouvertes » de NKM, le lecteur avide d’informations devra se contenter, s’agissant de leurs propositions, de quelques citations qui ne disent pas grand-chose.
Admettons une certaine neutralité dans la présentation du duel : quoiqu’inintéressant, ce compte-rendu accorde la même place aux deux candidates. Mais justement, c’est un duel qui est mis en scène. Et les autres ? Seule Danielle Simonnet, candidate du Front de gauche, a droit à une colonne où l’on apprend non pas les idées qu’elle défend, mais ce que les militants du Parti de gauche ont pensé de son intervention (scoop : ils l’ont trouvée « très bonne »). Quant à Wallerand de Saint-Just et Christophe Najdovski, c’est simple : leur nom apparaît une fois, dans un succinct résumé du débat, pour signaler qu’ils étaient présents. Grand bien leur en a fait : Le Parisien l’aura signalé.
S’étonnera-t-on de ce traitement de la municipale parisienne ? Certainement pas. Le Parisien reproduit à l’échelle locale ce qui se produit systématiquement à l’échelle nationale : les médias dominants choisissent leurs candidats (généralement ceux qui représentent le PS et l’UMP, agrémentés d’un outsider « surprise » en milieu de campagne), et font comme si ce n’était pas leur choix, mais celui exprimé par les sondages. Mais puisqu’il s’agit d’élections, ce ne sont pas les résultats des sondages qui devraient être la norme, mais un principe d’égalité que seule l’élection peut mettre en cause.
Un journal doit-il et peut-il être neutre ? On peut en douter. Mais à ceux qui se demanderaient pourtant ce qu’est la neutralité, Le Parisien, qui la revendique haut et fort, répond : nous avons choisi les candidates, choisissez votre préférée.
Fantz Peultier