Nous avons déjà pointé à de nombreuses reprises les biais méthodologiques qui interviennent dans la fabrication des sondages (échantillons discutables – notamment avec les sondages sur internet, questions orientées, etc.) À ces biais s’ajoutent ceux introduits par l’interprétation – par les médias ou le sondeur lui-même – des chiffres produits. Comme jadis les devins consultaient l’avenir dans le marc de café, les commentateurs se font fort de dire « ce que pensent les Français »… sans trop se soucier du bien-fondé de leurs oracles.
Le baromètre BFM Business du 6 février en donne une illustration particulièrement éloquente. Ce sondage, réalisé par BVA, publié le 6 février dans Challenges et diffusé sur BFM TV, a vocation à « mesurer » ce que pensent les Français en matière d’économie. Seul problème : la lecture de ce « baromètre » par les météorologues de l’économie s’avère à géométrie variable. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les titres de quelques articles dédiés à ce sondage :
– « Les Français approuvent le pacte de responsabilité » (Lefigaro.fr)
– « Sondage : quatre français sur dix favorables au pacte de responsabilité » (Latribune.fr)
– « Le "pacte" de Hollande ne convainc qu’à moitié les Français » (Challenges.fr)
– « Baromètre BFM Business : le pacte de responsabilité ne convainc pas les Français » (BFMtv.com)
Qui faut-il croire, le site du Figaro selon lequel « les Français approuvent le pacte de responsabilité », ou celui de BFM TV qui annonce que « le pacte de responsabilité ne convainc pas les Français » ? Le site de La Tribune, pour qui « les Français estiment que le pacte de responsabilité devrait avoir un impact positif en matière d’emplois » ou celui de BFM TV, où l’on peut lire qu’« ils doutent de son efficacité en matière d’emploi » ?
Il suffit de parcourir la présentation du sondage par BVA pour comprendre la cause de ces interprétations divergentes d’un média à l’autre : c’est le sondeur lui-même qui instille l’ambiguïté dans le commentaire qui accompagne les chiffres qu’il livre !
Les principaux chiffres du sondage sont les suivants : pour 57 % des répondants, le pacte de responsabilité ne sera pas efficace pour l’emploi, et pour 74 % d’entre eux les entreprises bénéficiaires ne créeront pas d’emploi. Or ces résultats, qui semblent exprimer un certain désaveu du pacte de responsabilité (dont l’objectif, rappelons-le, est la création d’emplois) sont clairement relativisés dans la présentation du sondologue en chef de BVA, Gaël Sliman.
Celui-ci préfère retenir que 41 % du panel est convaincu par les effets bénéfiques sur l’emploi du pacte de responsabilité, ce qui est « certes minoritaire […] mais tout de même assez remarquable s’agissant d’un sujet sur lequel les Français se montrent généralement très pessimistes »…
Il ajoute que « si cette mesure n’était pas portée par un président de gauche aujourd’hui très impopulaire, il est assez probable qu’elle serait encore mieux accueillie par les Français (mais sans doute moins bien par les sympathisants de gauche). » Notons tout de même la charge d’embarras que contient la dernière parenthèse. L’affranchissement du bavardage sondologique à l’égard de toute rigueur scientifique aurait-elle une limite ?
Résumons : les Français étant « généralement » pessimistes sur l’emploi, un résultat minoritaire peut être interprété comme un signal positif. Et ce d’autant plus que les sondés ne répondraient qu’en partie à la question puisqu’ils répondent aussi « en fonction de leur défiance/confiance à l’égard du gouvernement ».
Pour toutes ces bonnes raisons, le sondologue ne s’embarrasse pas pour dire, en exergue de son « analyse », l’inverse de ce que semble indiquer les chiffres de son propre sondage : « le pacte de responsabilité est une mesure globalement soutenue par une majorité de nos concitoyens ».
Que nous enseigne cet épisode de schizophrénie sondagière ? En premier lieu, elle montre combien l’interprétation des sondages par les experts médiatiques est à géométrie variable. En insistant davantage sur un chiffre plutôt qu’un autre, les experts commentateurs pourront voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein…
Mais ce qui frappe dans ce cas précis, c’est la subjectivité totale des « analyses » du sondologue en chef de BVA. Celui-ci n’hésite pas à invoquer les biais inhérents à son propre sondage pour faire dire aux résultats l’inverse de ce qu’ils semblent indiquer.
Une question se pose : pour quelle raison BVA tient-il tant à contredire les résultats de son propre sondage ? Difficile d’y répondre. Des esprits mal intentionnés avanceront peut-être que ces résultats n’étaient pas conformes aux attentes…
Frédéric Lemaire