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Municipales à Paris : Télérama efface le premier tour

par Thibault Roques,

Rien de nouveau, diront certains. Difficile pourtant de ne pas s’émouvoir à la lecture d’un numéro récent de Télérama dont la « Une » fait la part belle aux municipales parisiennes. Magazine d’opinion hebdomadaire cultivant sa singularité dans le paysage médiatique, il semble ici s’aligner sur les pratiques les plus convenues de ses homologues : couverture tapageuse, pluralisme réduit à sa plus simple expression et, partant, débat démocratique réduit à néant.

Les deux (seules ?) prétendantes…

À plusieurs reprises ces dernières semaines, nous avons noté à quel point les grands médias ont tôt fait de résumer les élections municipales en France à l’élection municipale à Paris et l’élection dans la capitale elle-même à un simple « duel », entravant le jeu démocratique par avance et empêchant par là même tout (é)lecteur de se faire une opinion en connaissance de toutes les forces en présence [1].

Certes, l’entretien croisé entre la candidate UMP et la candidate PS proposé dans le numéro du 15 au 21 février 2014 ne constitue que « le premier épisode d’une enquête menée dans six villes de France ». Mais qu’on le veuille ou non, commencer cette « série » par une confrontation entre NKM et la première adjointe de Bertrand Delanoë paraîtra quelque peu arbitraire et très parisiano-centré. Au-delà de ce tropisme parisien, et bien que Télérama ne soit pas strictement soumis aux mêmes exigences de pluralisme que les « grands médias » d’information qui sont ou se veulent « neutres » et « nationaux », il reste surprenant de constater qu’ici comme ailleurs, la question du premier tour et de ses enjeux est tout bonnement escamotée.

D’ailleurs, les journalistes le disent sans ambages : « Le prochain maire de Paris sera une femme. À gauche, Anne Hidalgo, 54 ans, première adjointe, tentera de succéder à un Bertrand Delanoë au faîte de sa notoriété après deux mandats. À droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, 40 ans, s’est engouffrée dans l’espace laissé vide par les atermoiements des leaders politiques de son camp […] et imposée facilement dans une primaire qui l’opposait à des seconds couteaux. »

Tout se passe comme si les projecteurs devaient être invariablement braqués sur les deux « élues » (des médias ?), et elles seules. La présentation des deux femmes, dans le chapeau de l’entretien, est sans appel : « Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) et Anne Hidalgo (PS), candidates favorites à la Mairie de Paris ». On ne laisse pas de s’étonner qu’aucun des trois autres candidats déclarés (Danielle Simmonet pour le Front de gauche, Christophe Najdovski pour Europe Écologie-Les Verts et Wallerand de Saint-Just pour le Front National) ne soit mentionné. Comme si, donc, 2 + 3 = 2. De ce point de vue là, Télérama ne fait pas mieux qu’Europe 1, TF1 ou encore France 2 ; c’est même pire car les « petits candidats » (sic) accédaient au moins à l’existence dans ces médias omnibus. Dans notre grand hebdo culturel, même pas. Ils sont purement et simplement passés sous silence.

Le tête-à-tête : simple mise en scène et mise en scène simpliste

Conformément à la plupart des médias concurrents, Télérama choisit donc de réduire l’élection – a priori démocratique, donc ouverte et indécise – à une opposition binaire, débat ou duel inévitablement ramené à la logique du combat de boxe (ou de catch) et donc à une logique du spectacle et du spectaculaire qui souligne les antagonismes plus ou moins artificiels et artificiellement construits. La couverture est à cet égard un cas d’école :

Tout y est : l’opposition frontale, la focalisation sur deux visages, donc deux personnes (voire deux « personnalités »), plutôt que sur deux programmes, la faille qui scinde verticalement la couverture en deux, symbole (probable ?) de deux candidates vouées à se déchirer ; sans oublier le titre « à chacune sa culture », qui contribue un peu plus encore à distinguer les deux « prétendantes ».

Outre ce titre qui barre la couverture de lettres rouge sang, on retrouve dans les pages intérieures la formulation suivante, tout ensemble choc et réductrice : « Culture : le face-à-face des candidates » ; et la présentation qui suit est toute pugilistique : « À gauche, Anne Hidalgo, 54 ans, première adjointe, tentera de succéder à un Bertrand Delanoë […] À droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, 40 ans, s’est engouffrée dans l’espace laissé vide par les atermoiements des leaders politiques de son camp […] » En somme, c’est le ring qui se matérialise sous nos yeux – mais uniquement celui du second tour attendu. Et les journalistes de poursuivre : « Les deux femmes ont des projets qui se recoupent. […] Mais leurs origines sociales, leur style, leur tempérament, les moyens de leur politique les opposent. Elles ne s’aiment pas, ne s’épargnent pas. Le mépris affleure dans leur propos jusque dans leur refus de ne jamais citer le nom de l’autre. La fin de la campagne sera âpre. » Combat de boxe, de catch ou de coq, Télérama privilégie une ligne éditoriale payante car sensationnaliste au détriment d’une vision plus nuancée et plus complète - donc complexe - de la situation.

Ultime question des journalistes à chacune des candidates : « Question finale : un mot à l’autre ? » Et pourquoi pas celle-ci, pour journaliste en mal de réflexivité : un mot des autres ?

« À chacun sa culture » : le pluralisme façon Télérama

Voilà donc une publication qui prétend se distinguer de ses concurrents par son exigence et qui pourtant reproduit les mêmes recettes éditoriales réductrices dès qu’il s’agit de se pencher sur « la politique ». Alors qu’était annoncée une « enquête » sur les municipales à Paris, Télérama réduit le scrutin à son second tour – ou plutôt à un second tour manifestement espéré, sinon fantasmé, par tous les médias.

Après avoir découvert cet article caricaturant et mutilant de la sorte la vie politique et le débat public, l’édito du numéro de Télérama en question, vibrant et louable appel à promouvoir la « Culture », paraissait quelque peu saugrenu :

« Bientôt les municipales. Espérons que les enjeux culturels ne soient pas les grands oubliés des promesses électorales. Si l’on sait combien les arts élèvent l’esprit, développent le goût du beau et l’ouverture à l’autre, on mesure désormais à quel point ils contribuent aussi à l’essor de nos villes, y créent des emplois, des richesses, et participent au mieux vivre. La culture n’est plus ce supplément d’âme jadis célébré qui ne profitait qu’à quelques uns, mais une nécessité pour faire prospérer et rayonner nos cités. Hier, seules les villes riches osaient la dépense culturelle. Aujourd’hui, elle peut apporter la richesse aux villes pauvres.

Le face-à-face sur ce thème des deux candidates à la Mairie de Paris est le premier épisode d’une enquête menée dans six villes de France. Comment se préoccupe-t-on de cette question essentielle pour notre avenir tout ensemble individuel et collectif ? Dans nos sociétés du tout-numérique, nous avons déjà tellement capitulé. Renoncé à tant de nos libertés […] Jusqu’au respect de notre vie privée, qui paraît moins nous concerner face aux illusoires avantages de la socialisation du Web. Réveillons-nous, la culture est aussi faite pour ça. Avec elle, il n’est jamais trop tard. »

Peut-être la presse sous toutes ses formes devrait-elle commencer par ne pas « renoncer » à réunir les conditions d’un débat réellement démocratique à propos des municipales à venir et ne pas « capituler » devant la logique médiatique qui expose et impose certains candidats aux dépens de certains autres ? Nul doute que cette culture démocratique-là profiterait au plus grand nombre.

Thibault Roques

 
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