C’est en tout cas ce qu’a annoncé Christine Kelly, membre du CSA, le 20 février dernier sur son compte Twitter :
Un festival de sexisme
De quoi parle-t-on ? D’une multitude de « petites phrases » et remarques sexistes de plusieurs commentateurs de France Télévisions, et notamment du tandem Nelson Monfort-Philippe Candeloro, souvent davantage préoccupés par le physique de certaines athlètes que par leurs performances sportives. Une multitude de propos dont on se contentera de proposer ici un worst of :
- « Ah, elle a beaucoup de charme Valentina, un petit peu comme Monica Bellucci. Peut-être un peu moins de poitrine, mais bon... » (Philippe Candeloro, à propos de la patineuse italienne Valentina Marchei).
- « Elle n’a pas la plastique de sa glorieuse homonyme » (Nelson Monfort, à propos de la patineuse italienne Francesca Lollobrigida).
- « En 2006, j’avais fait une petite allusion à son joli petit postérieur […] Sa morphologie n’a pas tellement changé ! » (Philippe Candeloro, à propos de la patineuse germano-ukrainienne Aliona Savchenko).
- « Le costume en jette autant que la nana j’allais dire ! - Ah ben ça, je vous le confirme ! » (Philippe Candeloro et Nelson Monfort, toujours à propos d’Aliona Savchenko).
- « En tout cas, moi, je connais plus d’un anaconda qui aimerait venir l’embêter un petit peu cette jeune Cléopâtre canadienne » (Philippe Candeloro, à propos de la patineuse canadienne Kaetlyn Osmond).
Relevons également cette conversation surréaliste entre le journaliste Patrick Montel et l’ancien champion Fabrice Guy, au sujet de Coline Mattel, la jeune française de 18 ans qui a remporté une médaille de bronze lors de l’épreuve de saut à ski, au cours de l’émission « Un soir à Sotchi » présentée par Laurent Luyat le 11 février, et signalée par le site Madmoizelle [2] :
Patrick Montel : Tu me dis que c’est très compliqué d’entraîner les… les sauteuses ?
Fabrice Guy : Les gonzesses ? Ah oui !
Montel : Pourquoi, pourquoi ?
Guy : Pourquoi, pourquoi ? [sourire] Parce que… C’est des filles qui sont en pleine puberté… C’est des filles qui aiment bien… un petit peu… sortir… Qui aiment un petit peu… Elles veulent un petit peu… se faire taquiner par les garçons quoi ! Donc euh… [rires sur le plateau].
Laurent Luyat : C’est du romantisme !
Guy : Ben oui ! voilà ! Donc y a des fois, ça passe par la fenêtre, donc euh… Jacques [Gaillard, l’entraîneur] y dit « tu veux pas aller voir », j’dis nan nan, je vais pas voir, je suis pas l’entraîneur de tes filles, donc euh c’était un petit peu rigolo en… En Turquie, c’était.
Montel : C’est-à-dire ?
Guy : C’est à dire que… Coline, de temps en temps, elle découche quoi !
Montel : Ah bon d’accord !
Luyat : Elle fait le mur !
Guy : Elle fait le mur !
Luyat : Ah ouais c’est ça. Et il le sait ?
Guy : Ben il le sait mais il ferme les yeux.
Vous avez bien lu, et vous avez bien compris. Tandis que les mâles Philippe Candeloro et Nelson Monfort rivalisent de commentaires sur le physique des athlètes femmes (les hommes n’ont évidemment pas le droit à ce douteux privilège), les mâles Patrick Montel, Fabrice Guy et Laurent Luyat discutent doctement de la vie sexuelle d’une jeune fille de 18 ans (une « gonzesse ») sur un plateau de télévision plutôt que de se concentrer sur ses performances sportives… Dans l’ensemble des cas que nous avons recensés, on constate que si les anciens sportifs « consultants » sont à bien des égards les plus graveleux, les « journalistes » qui les accompagnent les couvrent toujours, les encouragent souvent, et tentent même parfois de rivaliser avec eux.
Invitée sur le plateau de l’émission de Laurent Ruquier, « On n’est pas couchés ! », le 22 février, Coline Mattel a d’ailleurs fait part de son exaspération : « J’arrive aux Jeux Olympiques avec une nouvelle discipline, je défends un peu la cause des femmes, du saut à ski chez les femmes, […] le sport féminin en général, dans un contexte un peu agité et d’entendre des commentaires comme ça, je me dis "on vit à quelle époque ? " ».
Bonne question.
« Je ne suis pas sexiste, je suis marié et père de deux filles »
Face à l’avalanche de commentaires et de critiques, la direction de France Télévisions et les journalistes incriminés ont fait front, se défendant de tout sexisme. Et là, on atteint des sommets d’hypocrisie et/ou de bêtise.
C’est ainsi que Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions, affirme, au micro de Laurent Ruquier sur Europe 1 [3] « [qu’]il n’y a rien eu d’insultant » dans les commentaires, même si, concède-t-il, « il y a eu sans doute à certains moments des erreurs qui ont pu être commises ». Dans une autre interview, il évoque « quelques formules audacieuses ». De « l’audace » et des « erreurs ». Qu’en de jolis mots ces choses-là sont dites...
Et de réfuter l’accusation de sexisme portée contre Philippe Candeloro : « Philippe Candeloro c’est un personnage de Michel Audiard, c’est un titi parisien. Il a l’habitude de faire des plaisanteries, je crois qu’il n’y a rien de sexiste chez lui… D’ailleurs le reste du temps en-dehors des moments où il commente pour nous il fait des galas de patinage avec… en couple avec des jeunes femmes… »
Philippe Candeloro ne peut pas être sexiste, il patine avec des femmes. Daniel Bilalian aurait pu ajouter qu’à l’instar de Nadine Morano, Philippe Candeloro ne peut pas être raciste car il adore le couscous. Une défense, chacun l’avouera, solide, et qui ne peut pas ne pas nous faire penser à… Michel Audiard et à une fameuse réplique des Tontons flingueurs : « ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ».
Ça ose vraiment tout, comme en témoigne la défense de Nelson Monfort, également interrogé, par Anne-Sophie Lapix, sur ses commentaires et ceux de son compère Philippe Candeloro, et sur les accusations de sexisme. Et alors là, attention, le niveau s’élève : « ça m’a blessé parce que voilà, parce que c’est tout simplement faux. Vous savez je suis marié et père de deux filles. Donc de dire que je suis sexiste est tellement ridicule, est tellement éloigné de la vérité que je ne peux pas… je ne peux pas répondre ».
Par charité, nous nous abstiendrons (provisoirement) de commenter ces propos.
Et Nelson de défendre ensuite son « ami » Philippe Candeloro : « je suis totalement solidaire de lui, c’est un garçon absolument adorable, qui a sa manière d’être et je sais que la grande majorité des téléspectateurs l’aiment. […] Et Philippe est également… alors lui il a trois filles. Donc voilà ».
« Voilà ».
Traduction, en utilisant les termes de ses confrères de France Télévisions : « Je me coltine trois gonzesses à la maison, Philippe en supporte quatre, et vous allez nous dire que nous sommes sexistes ? Voyons, soyons sérieux ». Et Nelson Monfort d’enfoncer le clou : « Il se trouve que j’étais le parrain il y a pas très longtemps de la journée du sport féminin. Donc ce n’est certainement pas moi qui vais passer pour un machiste ou pour un horrible sexiste. Vous savez très bien que c’est faux ».
Étrange, ce besoin de se justifier par tous les moyens, n’est-il pas ?
Mais la médaille d’or de la défense la plus lamentable revient sans contestation possible à Philippe Candeloro lui-même qui, sous le feu des critiques, a tenu à s’expliquer au micro de Marc-Olivier Fogiel. Extraits :
Certains l’accusent de sexisme ? « Je pense qu’ils doivent être un petit peu coincés de la fesse ». ©Philippe Candeloro, briseur de tabous.
Mais pourquoi tant de critiques ? « C’est qu’on oblige les gens à devenir plus politiquement corrects et puis finalement plus chiants, et plus emmerdants à écouter donc quelque part on peut plus rien faire on peut plus rien dire chez nous, c’est ça la complication ». ©Philippe Candeloro, le Éric Zemmour du commentaire sportif.
Se trouve-t-il sexiste ? « Non, moi j’ai pas l’impression, je savais même pas ce que voulait dire ce mot il y a quelques jours ». ©Philippe Candeloro, le Monsieur Jourdain du sexisme.
Et, pour finir, va-t-il à l’avenir faire plus attention à ses propos ? « Moi si on m’enlève ma signature j’ai aucun intérêt à aller commenter auprès de Nelson [Monfort] ». Chiche ?
De fâcheux précédents
Une « signature » ? On ne peut malheureusement que donner raison à Philippe Candeloro, qui n’en est pas à son coup d’essai. Depuis huit ans qu’il sévit sur les ondes de France Télévisions, le moins que l’on puisse dire est qu’il a accumulé les propos sexistes, tout en ne se privant pas de flirter allègrement avec le racisme et l’homophobie. En témoigne ce florilège de commentaires publié sur le site d’Europe 1 [4] :
En 2010 à Vancouver, à propos d’une patineuse allemande :
Philippe Candeloro : « Oula, la patineuse a un joli visage... et je ne vous parle pas du reste ! »
Nelson Monfort : « Enfin vous en parlerez peut-être hors antenne... »
Et, un peu plus tard, Philippe Candeloro : « Nelson, vous oubliez notre jolie petite Allemande avec ses petites fesses ! »
En 2006 à Turin, à propos d’un patineuse russe :
Nelson Monfort : « En Russe, on l’appelle la Tigreska. »
Philippe Candeloro : « Oui, enfin ne vous excitez pas trop Nelson parce que c’est moi qui vous ramène à l’hôtel et je n’aimerais pas passer un sale quart d’heure. »
En 2010 à Vancouver, à propos des deux patineurs français Vanessa James et Yannick Bonheur, tous les deux noirs de peau :
« Sur la glace, ils se voient bien, alors peut-être parce qu’ils sont d’une couleur différente de nous Nelson, mais je trouve qu’ils vont bien ensemble, et je trouve que sur la glace ils ressortent très bien ».
En 2006 à Turin, à propos d’une patineuse japonaise :
« Elle est très disciplinée, à la japonaise. Je pense qu’elle aura mérité un bon bol de riz ce soir ».
Etc.
Le désastre était donc prévisible, a fortiori si l’on avait regardé les interviews de Philippe Candeloro avant les JO de Sotchi. Ainsi, interrogé sur le plateau du Grand Journal de Canal+ le 7 janvier à propos de l’hypothèse d’un boycott des JO en raison de l’homophobie d’État en Russie, sa réponse était annonciatrice du pire : « Si on commence à s’occuper de savoir si les homosexuels, si les hétéros ont le droit de participer ou pas, pfff, alors là personnellement… »
Le pire venant en conclusion : « On va pas laisser gâcher la fête du sport par une fête du string quand même ! »
Lors de la même émission, il était revenu sur « l’affaire du bol de riz », avec des propos qui permettaient d’anticiper sa future « défense », ainsi que celles de Nelson Monfort et Daniel Bilalian : « C’était pas du tout antiracial [sic] de ma part, surtout pas envers le peuple japonais, que j’adore, surtout les Japonaises. Et j’adore le riz en plus. »
Re-sic.
Au-delà du cas Candeloro, la tolérance, et même la bienveillance à l’égard de tels propos, ainsi qu’à l’égard de ceux de ses confrères de France Télévisions, sont révélatrices d’un mal plus profond. À l’heure où le racisme, le sexisme, l’homophobie... refont surface de manière de plus en plus violente, il est de la responsabilité des professionnels, mais également des usagers, de prendre en charge la lutte contre l’ensemble des stéréotypes véhiculés dans les médias. L’initiative « Prenons la une » va en ce sens et mérite évidemment d’être saluée, en espérant qu’elle fera des émules et contribuera à une prise de conscience collective et à une vigilance accrue face à ces phénomènes.
Julien Salingue