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Combien Le Point coûte-t-il à la nation française ?

par Mathias Reymond,

Naviguer sur le site du Point est souvent l’occasion de découvertes cocasses. Le 20 février 2014, un article de Jean Nouailhac était mis en ligne avec un titre (légèrement) provocateur : « Combien coûte vraiment un poste de fonctionnaire ? ». L’article accumule amalgames, idées reçues, désinformations et conclusions erronées… Cela valait bien un petit démontage de texte.

D’emblée, lepoint.fr annonce une « enquête » dont le résultat est « effrayant ». Lisons donc « l’enquête ».

« Partons déjà d’une information méconnue fournie par Xavier Bertrand, qui fut pendant de nombreuses années ministre du Travail et des Affaires sociales dans les gouvernements Villepin et Fillon. Il connaissait parfaitement le problème quand il développait récemment l’idée qu’il faudrait cesser d’embaucher des fonctionnaires d’État pour des fonctions non régaliennes et quand il déclarait : "Un fonctionnaire, c’est 42 ans de carrière, 21 ans de retraite et 10 ans de réversion." (Source : Challenges du 19/12/2013.) »

En effet, Xavier Bertrand a bien déclaré que « Un fonctionnaire, c’est 42 ans de carrière, 21 ans de retraite et 10 ans de réversion. » Toutefois, il ne l’a pas dit en tant que ministre du Travail, mais comme candidat à la primaire UMP pour l’élection présidentielle de 2017. L’auteur de l’article présente cette déclaration comme une « information méconnue » alors que c’est plutôt un avis… Mais attardons-nous plutôt sur la démonstration.

« Un fonctionnaire moyen émarge donc au budget de l’État, directement ou indirectement, pendant 73 ans, ce qui est énorme, dont 31 ans de non-activité. On sait que les fonctionnaires, par rapport au privé, travaillent moins et moins longtemps, sont mieux payés, bénéficient de nombreux privilèges particuliers pendant leur carrière et partent à la retraite plus tôt. Ce que l’on sait moins, c’est que, contrairement au privé, leurs pensions de retraite sont indexées sur les augmentations de salaire des actifs et au minimum sur l’inflation ; et que, pour eux, la réversion au conjoint survivant est automatique, alors que, dans le privé, elle est soumise aux conditions de ressources du survivant. »

Bigre ! « On sait » que les fonctionnaires travaillent moins. « On sait » qu’ils sont mieux payés. « On sait » qu’ils bénéficient de nombreux privilèges. « On sait » aussi que les femmes conduisent moins bien que les hommes, et « on sait » que les voitures allemandes sont bien meilleures que les voitures françaises…

D’abord, si « on sait » que les fonctionnaires travaillent moins longtemps, ils ne peuvent donc pas travailler 42 ans comme indiqué plus haut. Ensuite si les années de retraites sont des années de « non-activités », elles le sont autant dans le public que dans le privé, les fonctionnaires – comme les travailleurs du privé – ont cotisé tout au long de leur vie pour toucher ces pensions !

Concernant la rémunération : en moyenne, les fonctionnaires ont un salaire plus élevé que dans le privé. Cela s’explique par la différence de besoin des emplois : il y a plus de cadres dans le public. De plus, les fonctionnaires sont plus âgés que les travailleurs du privé, ce qui justifie des rémunérations plus hautes. Enfin, l’existence d’un chômage élevé en France (de l’ordre de 10 %) permet aux entreprises d’exercer une pression à la baisse des salaires, ce qui est impossible dans le public [1], aussi la comparaison aurait été plus pertinente en confrontant des professions identiques (privée/publique).

Ainsi, l’auteur semble s’attacher aux fonctionnaires « qui émargent au budget de l’État ». Si l’on met de côté les fonctionnaires territoriaux et ceux de la fonction publique hospitalière, on remarque qu’un cadre de la fonction publique d’État touche en moyenne 3042 euros nets par mois contre 3988 dans le privé – soit un écart de 30 % en faveur du privé, tout de même... Ensuite, l’écart entre les ouvriers et employés du public et du privé n’est pas gigantesque avec respectivement 1609 et 1596 euros nets. Idem pour les professions intermédiaires : 2240 euros nets contre 2182 euros nets. Pas de quoi écrire que les fonctionnaires sont beaucoup mieux lotis que les salariés du privé.

« Ce fonctionnaire moyen, au final, combien va-t-il donc coûter au budget de l’État, en argent d’aujourd’hui ? (…) On peut arrondir le coût annuel net moyen pour l’État patron, sans trop se tromper, à 48 000 euros par tête. Multiplions par les fameuses 73 années : nous obtenons 3,5 millions d’euros, ce qui est précisément le chiffre d’Agnès Verdier-Molinié dans son livre Les Fonctionnaires contre l’État (Albin Michel, 2011). Celle qui dirige l’institut de recherche iFRAP et qui est sans doute la meilleure observatrice de la fonction publique française y écrit en effet : "Là où un grand nombre de nos voisins en Europe réduisent leurs effectifs, suppriment leurs statuts à vie ou les réservent aux agents ayant réellement des missions régaliennes, la France continue à embaucher à... 3,5 millions d’euros le poste de fonctionnaire pour une vie !" »

Le biais dans cette démonstration fumeuse est de ne parler que du « coût ». Entendrait-on Le Point et Agnès Verdier-Molinié couiner contre le coût de la découverte du vaccin contre le SIDA sans parler des bénéfices marchands et non marchands d’une telle avancée ? Leur viendrait-il à l’idée de geindre contre le coût des phares maritimes ou des feux de signalisation routière sans parler de leur utilité pour éviter des accidents ? Dans l’emploi d’un fonctionnaire, il y a certes les coûts engendrés mais on retrouve aussi des avantages collectifs produits… et parfois ces avantages sont même marchands. Le cas des inspecteurs des impôts et du trésor est intéressant : plus il y aura d’inspecteurs pour contrôler (et récolter) les impôts, plus les rentrées fiscales seront élevées. CQFD.

Par ailleurs, l’auteur présente Agnès Verdier-Molinié comme « la meilleure observatrice de la fonction publique ». À quel titre ? Certainement parce que cette dernière a écrit plusieurs ouvrages anti-fonctionnaires et qu’elle éructe régulièrement dans les médias sa haine de l’État obèse.

En conclusion, Jean Nouailhac sort de ses gonds :

« (…) En langage "normal", comment appelle-t-on cela ? De l’inconscience ? De la mégalomanie ? De l’irresponsabilité ? De l’incompétence ? Quand on sait qu’au cours des 30 dernières années, le nombre de fonctionnaires est passé de 3,86 à 5,3 millions (chiffre au 31 décembre 2007), ne serait-ce pas plutôt un hold-up contre la France, un vol à main armée contre les Français, un véritable crime contre l’économie ? Combien de temps va-t-on laisser encore impunis ces crimes contre l’économie ? »

Le chiffre de 5,3 millions de fonctionnaires peut paraître colossal, mais il ne l’est pas quand on le lie au nombre d’habitants sur le territoire. Avec cette lecture plus fine, la France a 8 fonctionnaires pour 100 habitants : elle se situe au même niveau que la Belgique, à la neuvième place européenne.

Enfin, ce « vol à main armée contre les Français » dont parle Jean Nouailhac avec tant de verve, Le Point y contribue grandement aussi chaque semaine. En effet, chaque semaine, via les aides publiques (indirectes) à la presse, les Français soutiennent financièrement les journalistes du Point pour que ceux-ci insultent ceux qui les nourrissent. Chaque semaine, chaque Français aide Le Point à financer des espaces publicitaires pour des châteaux vendus plusieurs millions d’euros, pour des montres bradées quelques dizaines de milliers d’euros, ou pour des livres (ratés) de Franz-Olivier Giesbert.

Est-il « normal » que les Français, via leurs impôts, financent un tel magazine ? Que Le Point assume réellement ses choix (libéraux) et refuse d’approfondir la dette de l’État en rejetant toutes les aides à la presse qu’il perçoit !

Autrement dit, pour que cesse la gabegie de l’État, il est temps que Le Point rende enfin les 4,8 millions d’euros par an qu’il coûte à la nation française.

Mathias Reymond

Nota Bene : Merci au correspondant qui nous a signalé cet article du Point.

 
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Notes

[1Du moins en principe. Les fonctionnaires grecs ou espagnols, passés à la moulinette de la Commission européenne ou de leur propre gouvernement, prenant prétexte de la (prétendue) crise des dettes publiques, ont ainsi vu leurs traitements revus à la baisse ces dernières années. Qui sait si un jour, un gouvernement « courageux » n’engagera pas ce type de mesure en France…

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