Présentation
La disproportion entre le tintamarre médiatique autour de vrais-faux problèmes ou de sujets dérisoires et le silence assourdissant qui règne autour d’enjeux majeurs ne cesse d’étonner. De ce point de vue-là, le traitement du TPP (Trans-Pacific Partnership) par les médias américains - et a fortiori européens - est exemplaire. Cet accord s’inscrit dans la continuité de l’Alena (accord de libre-échange nord-américain) et de feu l’AMI (accord multilatéral sur l’investissement), et vise, dans un avenir proche, à accroître le pouvoir des multinationales au détriment des États souverains et des peuples qui les composent.
L’objectif affiché est clair : faire disparaître au plus vite les « discordes commerciales » pour pouvoir opérer sur les deux continents – Amérique et Asie - selon les mêmes règles (libre-échange généralisé) et surtout sans interférence avec les pouvoirs publics.
Or sur ce dossier brûlant [1], la plupart des grands médias ont manifestement manqué à leur devoir d’informer. À moins qu’ils aient simplement préféré détourner le regard : une fois de plus, ils n’auraient rien à redire au passage de l’intérêt général sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.
Par Steve Rendall, FAIR
Qu’est-ce au juste que cet accord de partenariat transpacifique et pourquoi donc la Maison-Blanche essaie-t-elle de le faire adopter à la hâte par le Congrès via une procédure accélérée qui va à l’encontre des procédures démocratiques habituelles ? Difficile à dire, si l’on compte sur les médias américains pour nous éclairer, notamment les grandes chaînes de télé qui, à quelques exceptions près, sont restées muettes sur le sujet.
Le TPP est un traité ambitieux dont ses contempteurs disent qu’il va entériner le pouvoir des multinationales sur l’environnement, la propriété intellectuelle et la finance, jusqu’alors soumis à des procédures démocratiques. Selon le député démocrate du Minnesota Keith Ellison, il va conférer aux multinationales un pouvoir inédit (voir le Huffington Post du 08/10/13).
Il y a 20 ans, Bill Clinton a eu recours à une procédure accélérée pour faire adopter par le Congrès un autre pacte de « libre-échange » : l’Alena (accord de libre-échange nord-américain) qui était à l’époque censé favoriser la création d’emplois et l’augmentation des exportations (voir à ce propos le Washington Post daté du 18/11/93) ; néanmoins, 20 ans plus tard, 700 000 emplois environ furent détruits à cause de cet accord (selon le rapport de l’EPI du 3/5/11). L’association citoyenne Public Citizen, quant à elle, estime ce chiffre à près d’un million (voir le Huffington Post du 6/1/14). Dans les deux cas, on s’accorde à dire que l’Alena a accru le déficit commercial américain et fait baisser les salaires aux États-Unis comme au Mexique.
Les opposants aux TPP estiment que ses effets les plus profonds ne concerneront pas l’emploi, les salaires ou même la balance commerciale, mais la souveraineté même des peuples des pays concernés qui ne pourront plus contester les décisions prises par les multinationales.
Le 16 juillet 2012, quand une première version de travail a partiellement fuité, Lori Wallach, directrice de l’observatoire du commerce international au sein de l’association Public Citizen, décrivit dans The Nation le TPP comme un « mécanisme destiné à mettre en œuvre sans attendre des politiques qui doivent se décider derrière des portes closes. » Et Wallach d’ajouter que « seuls deux des vingt-six chapitres que compte ce cheval de Troie des multinationales couvrent des questions traditionnellement liées au commerce. »
Le reste est à l’avenant, concrétisant les rêves les plus fous des plus riches – des droits et des privilèges nouveaux et non négligeables pour les multinationales - et réduisant le pouvoir de régulation des gouvernements : on y trouve toutes sortes de nouvelles protections pour les investisseurs qui souhaitent délocaliser et disposer à leur guise des ressources naturelles tout en limitant drastiquement les possibilités de réglementer dans les domaines des services financiers, de l’usage de la terre, de la sécurité des aliments, de l’énergie, du tabac, de la santé et bien plus encore.
Lorsqu’en novembre, Wikileaks a publié une version préparatoire du chapitre du TPP qui porte sur la propriété intellectuelle, son porte-parole Julian Assange a adressé la mise en garde suivante dans le Guardian du 13/11/13 :
« S’il entrait en vigueur, le code sur la propriété intellectuelle du TPP piétinerait les libertés individuelles et la liberté d’expression, tout en foulant au pied le travail intellectuel et créatif de chacun. Que vous lisiez, écriviez, publiiez, pensiez, écoutiez, dansiez, chantiez ou inventiez, fassiez pousser de la nourriture ou la consommiez, que vous soyez malade aujourd’hui ou que vous puissiez l’être demain, vous êtes dans la ligne de mire du TPP. »
Dans le Counterspin du 15/11/13, Peter Maybarduk, en charge du programme qui milite pour un accès universel aux médicaments au sein de l’association Public Citizen, précise ce que pourrait vouloir dire « être dans la ligne de mire du TPP » pour les gens ayant besoin de médicaments :
« En ce qui concerne le VIH et le sida, on a pu sauver 10 millions de vies à travers le monde depuis l’an 2000 grâce à la concurrence des génériques. Cela aurait été totalement impossible si on avait laissé les grands groupes dominer et monopoliser ce marché. Or c’est bien ce qui est en jeu dans le TPP. Ce qui se passe, c’est que le gouvernement américain, compte tenu du lobbying et de l’influence politique des grands groupes pharmaceutiques, a mis sur la table un certain nombre de propositions afin d’étendre le monopole sur les brevets et de faire sortir les médicaments du domaine public. »
Le TPP a donc tout d’une question majeure dont l’impact sur la vie de tous les jours est incontestable. Pourtant, malgré un sujet apparemment digne d’intérêt, et la révélation de deux versions de travail qui aurait dû déboucher sur des reportages et des débats, il n’y a pas eu le moindre sujet sur le TPP sur les trois grandes chaînes d’information au cours de l’année qui a suivi le discours sur l’état de l’Union de Barack Obama en 2013 dans lequel il a évoqué cet accord. Pas plus qu’il n’y en a eu sur les chaînes du câble que sont CNN et Fox News.
Seule la chaîne MSNBC s’est démarquée du mutisme observé par les grandes chaînes privées nationales puisque que le TPP a figuré en bonne place dans son Ed Show, critiqué et commenté à 25 reprises. Il a également été discuté une fois chez Melissa Harris-Perry, le 14/12/13, lorsqu’il fut brièvement critiqué par John Nichols, journaliste travaillant pour l’hebdomadaire The Nation.
Peut-être les chaînes d’information suivent-elles les recommandations de Ron Kirk, ancien conseiller au commerce de la Maison-Blanche qui indiqua à Reuters le 13/05/12 que les révélations du contenu du TPP mettraient en péril son avenir – confirmant les propos de Lori Wallach selon lesquels le TPP « doit se décider derrière des portes closes. »
Récemment, dans le New York Times du 31/01/14, le chef de la majorité démocrate au Sénat américain Harry Reid s’est insurgé contre la procédure accélérée, ce qui pourrait conduire à un vrai débat au sein du Congrès. Mais ne comptez pas sur les chaînes d’information pour en parler.
Steve Rendall
Traduit par Thibault Roques