Il suffit en effet de lire la synthèse de BVA pour constater que le principal résultat du sondage dont la plupart des médias se sont fait gorge chaude (« Manuel Valls a convaincu une majorité de français »), repose sur les réponses d’une partie seulement de l’échantillon initial des répondants (59 % d’entre eux seulement), constituée de « ceux qui ont vu ou entendu parler de son interview ».
Mais comment au juste ceux qui ont seulement « entendu parler de son interview » peuvent-ils juger si Manuel Valls a été convaincant ? Ce n’est pas la moindre question que pose cette méthode, qui revient à écarter d’emblée 41 % des répondants. Audacieuse innovation sondologique : pour affirmer qu’une majorité de Français approuvent le gouvernement, il suffit donc de faire comme si ces indifférents ou ces ignorants ne comptaient pour rien. Et d’évacuer cette très vraisemblable hypothèse : que, parmi eux, se trouvent des personnes qui ne sont pas particulièrement favorables ou enthousiastes à l’égard du nouveau gouvernement puisqu’elles n’ont pas daigné se renseigner sur une intervention publique présentée comme importante...
Ainsi lorsque Le Figaro, pas partisan pour un sou quand il s’agit de clamer le triomphe de l’austérité, titre « Plan Valls : les Français approuvent » et annonce « 50 % des Français ont été convaincus par les mesures d’économies présentées mercredi dernier par le Premier ministre », il s’agit d’un grossier contresens. Il aurait été plus juste de dire : « 41 % des Français se sont désintéressés de son intervention et parmi ceux qui l’ont vue, 27 % n’ont pas été convaincus ».
Mais cela même serait sujet à caution. Car il s’agit bien d’un échantillon de 580 personnes sur un échantillon initial constitué de 983 personnes interrogées par Internet et sélectionnées par téléphone. La marge d’erreur est donc de plus de 4 % si l’on s’en tient aux chiffres de BVA. Il est impossible de dire, même en suivant la logique du sondage, qu’« une majorité des Français qui ont vu son intervention ou en ont entendu parler ont été convaincus par Manuel Valls » compte tenu de la marge d’erreur.
Nul besoin d’être diplômé en statistiques pour relever ces lacunes élémentaires. Comment les sondeurs de BVA ont-ils pu ignorer le caractère non-représentatif de cet échantillon dans l’échantillon, dont l’opinion est assimilée à celle « des Français » ? Pourquoi n’ont-ils pas pris, dans leur synthèse, des précautions minimales compte tenu de la marge d’erreur ?
On peut certes se réjouir que la dépêche de l’AFP sur ce sondage invite à prendre du recul par rapport à ce résultat (« 59 % d’un échantillon de 983 personnes, un résultat à prendre donc avec précaution »). Mais de nombreux médias se sont néanmoins affranchis de tels scrupules. C’est le cas des commanditaires du sondage, Le Parisien et I-Télé, mais aussi France 2, Le Figaro ou Europe 1 (liste non exhaustive).
D’autres médias ont repris, même fugitivement, les précautions de l’AFP, mais cela ne les a pas empêché d’annoncer que « les Français soutenaient le plan de Manuel Valls ». En effet, selon la seconde partie du sondage, qui porte sur les mesures annoncées par Manuel Valls, les répondants seraient favorables à 4 des 5 mesures proposées. En fait il s’agit de 3 mesures sur 5 si l’on tient compte de la marge d’erreur. Mais peu importe : on retiendra que « les Français soutiennent le plan de Manuel Valls » sur la foi d’un échantillon dont 41 % n’ont même pas entendu parler de l’annonce du plan de Manuel Valls…
Mais le tour de force sondagier atteint sans doute la perfection avec la constitution, par amalgame, de la merveilleuse catégorie de « ceux qui ont vu ou entendu parler de son interview ». Peu importe aux sondeurs de savoir ce qu’ont retenu ceux qui ont vu l’entretien, ou ce qu’ont entendu ceux qui ont entendu... que Manuel Valls a parlé ?
Ainsi va la construction artificielle, par sondage, de l’« opinion publique »...
Frédéric Lemaire