Quinze jours après l’interdiction d’une chronique de Pierre Marcelle [1], un article reprenant des informations relatives au rachat du quotidien a été « trappé » . Au grand dam des représentants de ses salariés, qui dénoncent « une censure inédite dans Libération » et rappellent que « le rôle la direction de la rédaction est d’être garante de l’indépendance de la rédaction, et non de se faire le relais de ceux qui veulent déroger à ce principe ».
Dans un mail adressé tôt ce matin à l’ensemble du personnel du journal, les élus du comité d’entreprise de Libération dénoncent un cas de censure caractérisé.
Un article devait être publié dans l’édition de ce mercredi du quotidien, écrivent-ils, qui reprenait « les informations de Mediapart et du Monde selon lesquelles les quatre millions » d’euros « versés début avril à Libé auraient en réalité été financés par Patrick Drahi » - propriétaire de Numericable – « et non par Bruno Ledoux » - nouvel actionnaire principal du journal – « comme cela nous avait été affirmé ».
Puis d’expliquer : « Considérant que cette information méritait d’être relayée, et comme convenu avec vous lors de la dernière AG, nous avions demandé une page (…) pour la relater. (Était également prévu un encadré sur la rumeur » selon laquelle la direction du quotidien serait confiée à Laurent « Joffrin ».) Le papier était factuel, relayant l’information et réaffirmant simplement à la fin l’exigence de transparence financière dans une entreprise de presse défendue par les représentants du personnel. »
« Censuré une heure avant le bouclage »
Mais « cet article a été censuré une heure avant le bouclage par François Moulias », P-DG de Libération, « et la page » a été « remplacée par une » publicité « lors d’une réunion convoquée par François Sergent », directeur adjoint de la rédaction, « où étaient présents François Moulias » et le nouveau directeur opérationnel du journal, « Pierre Fraidenraich ».
Les élus du quotidien insistent : « Nous précisons qu’il nous a été demandé d’enlever du papier des éléments publics, et même systématiquement rappelés par nos confrères, mais aussi jusqu’ici par les journalistes de Libération lorsqu’ils écrivent sur Patrick Drahi, comme le fait qu’il soit résident fiscal en Suisse (…). Mais il nous était aussi demandé d’enlever le cœur du papier, à savoir l’information sur les 4 millions financés par Drahi. François Moulias s’entêtant, contre l’évidence, à affirmer que c’était faux. »
Pour les signataires du mail, « cette affaire pose un double problème ». Selon eux : il s’agit en effet « d’une censure inédite dans Libération, portant non pas sur des appréciations mais sur des faits avérés et notoirement connus », et « d’une dérogation à une décision, prise par les salariés en AG », de « communiquer une information aux lecteurs ».
Ils concluent : « Nous condamnons ces méthodes, inquiétantes pour la suite des événements. Et estimons par ailleurs que le rôle de la direction de la rédaction est d’être garante de l’indépendance de la rédaction, et non de se faire le relais de ceux qui veulent déroger à ce principe. Nous précisons par ailleurs qu’en aucun cas, et pour répondre par avance aux éléments de langage que la direction ne manquera pas d’utiliser, les représentants des salariés ne s’opposent à la recapitalisation actuellement en cours. Par ce papier, nous continuons à faire notre travail d’information, comme nous nous y sommes engagés (…) ».
À bon entendeur…
P.S. « Une censure inédite »... « Arrêt sur images » précise (article réservé aux abonnés) : « Et surtout aberrante. Car l’article trappé, que nous nous sommes procurés, reprend quasiment à la virgule près, un article publié... sur Liberation.fr deux jours plus tôt. »