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Élections européennes : le calvaire de Jean-Pierre Pernaut

par Blaise Magnin,

Présentateur presque légendaire du 13h de TF1, Jean-Pierre Pernaut est, on le sait, le chantre de la « proximité » (et de la météo), le héraut des « terroirs » et de la tradition. En cultivant une telle ligne éditoriale, on conçoit que traiter des élections européennes, qui renvoient à des institutions compliquées et éloignées et à un projet antinomique avec « l’enracinement » revendiqué, soit un véritable défi journalistique [1]. Mais de là à proposer une telle bouillie d’information…

Alors qu’une forte abstention est à prévoir lors de ce scrutin, ce ne sont certainement pas les téléspectateurs du 13h de Pernaut, s’ils suivent leur mentor, qui contribueront à relever le niveau de participation. En effet, en une semaine, entre le 14 et le 22 mai, voilà comment ils auront été informés sur les enjeux, les candidats et leurs projets :

 14 mai

Un reportage de moins de 2 min à Montpellier, présenté ainsi : « des panneaux vides, comme si cette élection qui ne passionne pas les Français ne passionnait pas non plus les partis. En 2009, le taux d’abstention était de plus de 59 %, un record qui pourrait bien une fois de plus être battu. »

Heureusement, le reportage se clôt sur des images de panneaux bien garnis et Jean-Pierre Pernaut retrouve le sourire : « Il y a quand même quelques affiches on vient de le voir. »

 15 mai

RAS

 16 mai

« Élections européennes : départ de l’opération courrier », reportage à Strasbourg dans un centre de mise sous pli de la propagande électorale ; durée : 1 min 25.

 17 et 18 mai

Jean-Pierre Pernaut est en week-end.

 19 mai

« Élections européennes : des panneaux vides et des habitants peu concernés », un reportage à Vitry-le-François dans la Marne, qui avait connu 69 % d’abstention en 2009. Une série de micro-trottoirs avec des habitants affirmant soit que le scrutin ne les intéresse pas, soit qu’ils n’iront pas voter ; et encore une fois le reportage met l’accent sur « les panneaux [d’affichage électoral] vides ». Durée du sujet : 2 min 30.

 20 mai

RAS

 21 mai

Édition exceptionnelle avec… deux sujets successifs : « Européennes : procurations mode d’emploi », d’une durée d’ 1 min 45, suivi de « Européennes : eux aussi sont candidats », 1 min 30. Voilà comment est annoncé ce dernier reportage par un Jean-Pierre Pernaut qui a du mal à cacher son exaspération :

« Voilà. 74 députés européens à élire à la proportionnelle par zone, il y en a sept [sic], avec un record absolu de listes, 193 en tout, jusqu’à 31 en Ile-de-France, et le CSA, en vertu des règles d’équité politique, nous demande d’évoquer quelques unes des listes dont on parle moins que de celles du PS, du Front National ou de l’UMP. »

Et Jean-Pierre Pernaut de s’acquitter de cette (insupportable) obligation en donnant carte blanche à quelques figures de la vie politique française candidates sur des « petites listes » :

- Christine Boutin : 16 s
- Nathalie Arthaud : 20 s
- Nicolas Dupont-Aignan : 16 s
- Pierre Laurent : 12 s

Conclusion de JPP : « Voilà quelques unes des listes qui espèrent avoir vos suffrages dimanche. »

 22 mai

Après les titres consacrés à la météo, cinq reportages consacrés aux intempéries et un sujet sur les écarts de tarifs entre les hôpitaux publics, Jean-Pierre Pernaut annonce « autre chose : les élections européennes ».

On apprend alors que le scrutin est déjà ouvert en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas avant que Jean-Pierre Pernaut ne relate une prise de position d’une personnalité qui, pour son plus grand désespoir, n’est pas candidate à ces élections puisqu’elle s’est retirée de la vie politique :

« Avant-dernier jour de campagne marqué par une intervention très remarquée de Nicolas Sarkozy dans une tribune publiée à la fois dans Le Point et le quotidien allemand Die Welt. L’ancien Président de la République défend l’Europe même s’il comprend les colères des Français, c’est pourquoi il dit souhaiter que cette Europe soit profondément réformée, notamment en matière d’immigration, mais aussi pour créer, dit-il, recréer un leadership franco-allemand. »

On aperçoit ensuite quelques images d’un meeting de Manuel Valls à Barcelone, on profite de quelques unes de ses déclarations aux journalistes français présents sur place, avant de passer à quelques déclarations de Marine Le Pen, suivies de quelques déclarations de Jean-François Copé. Évidemment, pas un mot des enjeux européens, toutes les déclarations retenues ne concernent que la politique intérieure. Le tout pour une durée d’à peine plus de 2 min.

Jean-Pierre Pernaut reprend alors la parole en plateau, et donne toute la mesure de son talent journalistique et de son sens inné de l’information :

« Voilà pour les grands partis qui participent à cette campagne. Vous savez qu’il y a énormément de listes dans les huit zones, 193 exactement, c’est un record. On ne peut bien évidemment pas les citer toutes, mais les règles d’équité que nous imposent le CSA nous obligent à vous en montrer quelques unes, du Parti de l’Espéranto, à celui du cannabis sans frontière, par exemple, en passant par un Parti pirate, ou un autre parti, celui du vote blanc. Hier, vous aviez entendu les représentants des listes quand même un peu plus connues, place à quelques autres aujourd’hui, toujours pour répondre aux exigences du CSA. »

Pendant cette délicate présentation, apparaît à l’image le tableau suivant, qui ne recense que des formations considérées comme marginales, voire plus ou moins saugrenues :

Puis, à nouveau, le « grand journaliste » offre une poignée de précieuses secondes de son antenne à quelques « petits candidats » :

- Jean-Luc Mélenchon : 22 s
- Jean-Marc Governatori (tête de liste Alliance écologique indépendante en Ile-de-France) : 12 s
- Corinne Lepage : 10 s

Ainsi le CSA « impose » à Jean-Pierre Pernaut de ne pas limiter son devoir d’informer à trois partis politiques. On est presque tenté de s’exclamer « Vive le CSA ! » Mais le CSA n’impose aucune décence à Jean-Pierre Pernaut !

Blaise Magnin (grâce au signalement d’un correspondant)

 
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Notes

[1Voir l’article que nous avons consacré au livre d’Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, La Bonne soupe. Comment le « 13 heures » de TF1 contamine l’info.

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