Il est normal que les journalistes rendent compte de la progression politique du Front National. Il est inadmissible en revanche, qu’ils la précèdent, l’accompagnent, voire l’encouragent ! C’est pourtant l’impression qu’a pu laisser David Pujadas au cours du débat qu’il a animé jeudi 22 mai dans la seconde partie de l’émission « Des paroles et des actes », sur France 2. Sans doute n’était-ce pas intentionnel, mais la déplorable conséquence de la volonté d’animer le spectacle et de flatter l’audimat.
Lors de la première partie de l’émission, les six participants (François Bayrou, Jean-François Copé, Yannick Jadot, Stéphane Le Fol, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) étaient interrogés séparément pendant dix minutes par Nathalie Saint-Cricq, François Lenglet et David Pujadas. Lequel animait seul dans la seconde partie un débat d’une heure entre les six invités, débat qu’il présenta ainsi : « Pendant une heure on va parler emploi, on va parler Europe sociale, on va parler aussi de croissance, mais d’abord on va parler de Schengen et d’immigration ».
Il est sans doute légitime d’aborder dans un tel débat les politiques migratoires de l’UE, sujet sans doute mineur relativement aux questions économiques et sociales, mais lourd d’enjeux humains et politiques. On ne pourra cependant s’empêcher de trouver étrange ou scandaleux (au choix) le choix de David Pujadas (un choix sans doute préparé collectivement pas la hiérarchie de la rédaction) d’en faire le sujet d’ouverture de la discussion et de mettre ainsi en avant le fil d’Ariane de l’offre politique de Marine Le Pen. D’autant qu’il ne s’agissait pas là d’une simple introduction…
Que David Pujadas ait perdu le contrôle de la discussion, qu’il ait égaré son chronomètre, ou qu’il se soit égaré lui-même, le résultat fut édifiant. Plus de trente minutes de discussion sur tous les aspects de l’immigration en Europe : ses causes économiques et politiques dans les pays africains et arabes, ses modes de régulation par les institutions européennes, les dispositifs en vigueur en France, les politiques qu’ont respectivement mené le PS et l’UMP, ce qu’il faudrait faire à l’avenir en la matière, etc.
Un débat d’ouverture, donc prioritaire selon la hiérarchie de la rédaction de France 2, qui fut si long (bien qu’il fût trop court pour une discussion approfondie) que lorsque Pujadas annonça : « Stéphane Le Fol vous gardez la parole, on change de sujet, on passe à l’économie », il ne restait plus qu’une demi heure pour que les six participants abordent le continent des questions économiques et sociales et exposent leurs points de vue en la matière – soit cinq minutes de prise de parole chacun.
Ainsi donc, son présentateur vedette aura réussi à saboter l’un des seuls débats sur les élections européennes organisé sur le service public !
Le SNJ de France 2 ne s’y est pas trompé qui a publié le lendemain un communiqué sans ambiguïté et suffisamment cinglant pour que nous nous bornions à la reproduire en guise de conclusion de cet article :
À quoi joue la hiérarchie de la rédaction de France 2 ? À faire peur ? À miser sur le sensationnalisme ?
La majeure partie du débat de l’émission « Des paroles et des actes » a été consacrée hier soir à une seule question : l’immigration ! Le rétablissement du contrôle aux frontières ! La passoire européenne ! C’était le premier thème abordé… Ce fut quasiment le seul. Le deuxième sujet, le salaire minimum, étant relégué bien après. Ainsi donc l’Europe se résumerait à cette seule question, avec la mise en cause de l’espace Schengen ! Ainsi donc les Européens n’auraient que ce centre d’intérêt !
Ainsi donc la hiérarchie éditoriale du Service public a malheureusement donné l’impression de se calquer sur les thématiques du FN ! Maladresse ou volonté de racoler les téléspectateurs peu emballés par les élections européennes ?
Démarrer sur l’immigration, c’était s’assurer une surenchère verbale entre l’UMP et le FN : pari gagné !! Le débat organisé par le Service public a-t-il rempli sa mission d’informer le citoyen ?
Et l’harmonisation fiscale, une des conditions d’existence de cette Europe ? Et le traité transatlantique, en négociation dans la plus grande opacité et qui menace notre identité même et nos spécificités d’Européens ? Ne méritait-il pas mieux que quelques phrases ? Et la politique sociale, traitée sous le seul aspect du smic ? Et l’immobilisme, auquel l’Europe semble condamnée en matière de politique étrangère ? Enfin les réussites européennes, ne méritaient-elles pas d’être soulignées, au lieu de ces accumulations de peurs et de replis conduisant à une présentation sous un angle anxiogène ?
Le SNJ déplore ce rendez-vous manqué avec les citoyens. La crédibilité du Service Public et la qualité de son information n’en sortent pas renforcées !
Traiter comme LE problème majeur, le problème majeur selon le Front National, c‘est délivrer à ce dernier un certificat de légitimité de la politique qu’il défend.
Blaise Magnin