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France 2 célèbre la monarchie espagnole

par François Palierne, Henri Maler,

À 10h30 le lundi 2 juin, le premier ministre espagnol Mariano Rajoy annonçait lors d’une allocution télévisée la décision du roi Juan Carlos Ier d’abdiquer, mettant fin à presque quarante ans de règne depuis son arrivé sur le trône après la mort de Franco en 1975. Ce fut, sur France 2, une occasion de célébrer la monarchie, son passé, son présent, son avenir, alors que son rôle exact dans la transition démocratique après la mort de Franco est discuté, et surtout, que son maintien fait l’objet de controverses politiques en Espagne même. Sur le plateau du JT, un trône pour deux experts et dans la rue quelques trouble-fêtes.

Un roi abdique ? « Vive le Roi » et au suivant… Tout autre point de vue sera à peine mentionné.

Et cela commença dès l’annonce de l’abdication…

Afin d’éclairer le téléspectateur, Elise Lucet avait invité sur le plateau du JT de 13h un expert : Vincent Meylan, le responsable du service Royauté de Point de vue, un magazine appartenant au groupe Express-Roularta (L’Express, L’Expansion…), spécialisé dans la vie des têtes couronnées. À chaque édition son expert, David Pujadas recevait le soir l’inévitable et fidèle à lui-même Stéphane Bern.

Il est 13 heures : un consultant du « service Royauté »

Avant que Vincent Meylan ne réponde à ses questions, Elise Lucet lance un reportage censé nous résumer la vie, mais surtout le règne de Juan Carlos Ier. Ce reportage, même s’il a au moins le mérite de mentionner le fait que Juan Carlos Ier a été désigné par Franco lui-même pour lui succéder à sa mort - et qu’il a donc juré fidélité aux principes du Movimiento Nacional -, ne sert finalement que mieux le récit officiel de la Transition idyllique à la démocratie [1]. Nous passons ainsi de la « marionnette manipulée par les militaires » au roi de tous les Espagnols qui « va tourner la page du franquisme et conduire l’Espagne vers la démocratie », démocratie qu’il ne se contente d’ailleurs pas d’établir mais de « sauver » en renvoyant dans leurs casernes les militaires responsables de la tentative du coup d’état du 23 février 1981.

Retour sur le plateau. Vincent Meylan, que le ton du reportage aura sans doute ravi, considère que l’abdication du roi arrive au « bon moment » : « À mon avis, il a pris la dernière grande bonne décision de son règne. Il l’aurait fait il y a un an, au moment où il y avait toutes ces affaires de corruption et ce problème de chasse à l’éléphant au Zimbabwe, il aurait été en plein cœur des problèmes, on l’aurait peut-être accusé de fuir. Là, il a attendu que ça se calme un peu, la situation économique est un peu meilleure en Espagne, c’est le bon moment pour se retirer de la scène sans laisser les choses dans un chaos total. » Passons sur le fait que la fameuse photo de la chasse à l’éléphant a été prise au Botswana et non au Zimbabwe – il est vrai que Vincent Meylan est chef du service Royauté, pas du service Géographie ou Afrique – et laissons-nous guider par les connaissances du politologue auto-proclamé de Point de Vue.

C’est sans surprise qu’au récit officiel du rôle du roi dans la Transition espagnole succède la justification de la décision et du moment de l’abdication, par l’interprétation mécanique de la baisse de popularité de la monarchie. Des journalistes moins « experts » en Royauté, mais meilleurs connaisseurs de la situation en Espagne auraient peut-être relié l’évènement aux derniers résultats des élections européennes qui ne remontaient qu’à…une semaine. Celles-ci avaient été marquées par une perte de vitesse inédite des deux partis principaux constituant le bipartisme historique (Parti Populaire et Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) et une notable progression – voire même une apparition concernant la formation Podemos – de formations plus minoritaires [2]. Ces résultats rendent significatives – aurait pu souligner un journaliste informé non de l’état des couronnes royales, mais de la situation espagnole – l’annonce seulement une semaine après, de la décision d’abdiquer de Juan Carlos Ier et sa suite immédiate : la manière précipitée avec laquelle le PP (armé de sa majorité absolue), soutenu par le PSOE (en tant qu’opposition principale), a géré la rédaction et la soumission au vote de la loi organique devant réguler les processus d’abdication et de succession [3], allant jusqu’à faire voter par le Sénat sa future approbation express par lecture unique du projet de loi.

Loin d’être saugrenue, cette mise en perspective aurait permis de relativiser les seules raisons avancées par le reportage et amplement confirmées par Vincent Meylan pour justifier le « bon moment » choisi par le monarque pour annoncer son abdication [4].

Les certitudes de Vincent Meylan ne s’arrêtent pas là. Elise Lucet lui demande : « À quel point [l’]image [du roi] a-t-elle été réellement ternie ? Reste-t-il, malgré les affaires, un véritable héros pour les Espagnols ? ». Et Vincent Meylan, assumant fièrement son nouveau statut d’analyste politique, répond : « Vous savez, je crois qu’il faut se garder de ce qu’on va dire aujourd’hui [sauf de ce que dit Vincent Meylan, cela va de soi]. Ce roi peut se résumer en quelques mots qui sont : démocratie, liberté des partis politiques, résistance au coup d’état du colonel Tejero, entrée de l’Espagne dans l’Europe. Aucun chef d’état dans toute l’histoire de l’Espagne n’a donné à l’Espagne ce qu’il a donné. »

La façon magistrale avec laquelle Vincent Meylan allie l’art délicat de l’éloge hyperbolique à un esprit de synthèse hors-norme mériterait d’être célébrée si sa lecture de l’histoire espagnole n’était pas pour le moins singulière : l’attribution exclusive de la « démocratie » et de la « liberté des partis politiques » à la seule œuvre du roi comporte en effet une charge préoccupante d’omissions et d’inexactitudes, qu’Elise Lucet s’est abstenue de relever [5].

Pour affirmer, comme le fait M. Meylan, que Juan Carlos Ier est le seul et unique à avoir « donné » toutes ces avancées sociales et politiques aux Espagnols, il faut oublier ceci : ce que notre « expert » considère comme un don n’est en fait que la restitution légitime des droits acquis il y a plus de 80 ans. Mais surtout, l’interprétation proposée par notre monarchologue méprise le rôle joué par les mobilisations sociales [6] dans le processus de transition politique espagnol, mépris d’autant moins supportable qu’il tient pour nul ce que l’engagement politique en pleine dictature franquiste a pu signifier, notamment face une sanglante répression. Tout cela – il faut l’espérer – un correspondant permanent en Espagne, connaissant l’histoire de ce pays, n’aurait pas pu omettre de le mentionner.

Remplaçant temporaire de Stéphane Bern sur le trône plébéien des affaires royales, le journaliste de Point de Vue a profité d’une invitation de L’Express pour répéter presque point par point ce qui constituait selon lui la quintessence du règne de Juan Carlos Ier, l’agrémentant même de commentaires tels que : « Personne ne l’a fait avant lui. », « Bah ce n’est pas si mal hein. », ironisant ainsi à l’encontre de ceux qui cracheraient encore dans la soupe monarchique. Et d’ajouter, pour désamorcer par avance toute manifestation d’ingratitude : « Si les Espagnols vont voter aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu Juan Carlos. S’ils ont voté aux élections européennes, c’est parce qu’il y a eu Juan Carlos. […] Et ça, les jeunes générations ne s’en rendent sans doute pas assez compte. » En effet, que demande le peuple ? [7]

L’intervention de Vincent Meylan nous fait ainsi assister à une double transformation : celle de Juan Carlos Ier en « super-monarque » qui aurait « anéanti la dictature » et « amené la démocratie » et « la liberté d’expression »  ; et celle de Vincent Meylan lui-même en historien du cinéma, affirmant qu’il n’ « y aurait pas d’Almodóvar aujourd’hui si y’avait pas eu Juan Carlos, faut se le mettre dans la tête ! » Sans Franco non plus, pourrait-on ajouter…

Face à Elise Lucet, Vincent Meylan ne manque pas non plus d’aplomb quand il livre son appréciation des derniers scandales ayant pourtant entaché profondément le prestige de la monarchie espagnole [8]. C’est sans doute parce que notre cher monarchologue considère cette baisse de popularité imméritée : « Tout le reste, c’est vrai que c’est important, mais ce n’est pas lui qui est impliqué dans des scandales financiers, c’est son gendre. Ce n’est pas Bernard Madoff, c’est sur quelques centaines de milliers d’euros. C’est de l’argent, mais ce n’est pas la crise de la Bourse totale. »

Passons sur l’indulgence dont fait preuve Vincent Meylan face à l’enrichissement frauduleux d’escrocs haut-placés et noblement apparentés, alors qu’une partie croissante de la population espagnole tente de survivre aux ravages d’une crise économique et sociale dont la sortie demeure de l’ordre du mirage électoraliste. Rappelons seulement que les « scandales financiers » auxquels il fait référence concernent probablement un peu plus que la bagatelle de « quelques centaines de milliers d’euros ». Cela, un journaliste correspondant en Espagne aurait peut-être pu en informer les téléspectateurs, qui seront sans doute contents d’apprendre, de la bouche de Vincent Meylan, ce qu’il conviendrait d’attendre du changement de tête couronnée : « Tout le challenge pour [Felipe], c’est de ne rien changer. ». On ne saurait mieux dire…

Il est 20 heures : Un expert chasse l’autre

Le JT de 20h de France 2 du 1er juin a été ouvert par l’abdication du roi d’Espagne qui bénéficia de 10 minutes d’informations et de commentaires, avec, dans le rôle du consultant... Stéphane Bern, l’expert des têtes couronnées, dont la prestation a déjà bénéficié de toute l’attention qu’elle mérite sur le Blog de Samuel Gontier Ma vie au poste, sous le titre « Du ˝Grand Journal˝ au JT, abdication et bernisation »,.

Dès l’annonce des titres, la continuité de la monarchie, bien que controversée, était officialisée par David Pujadas : « Un nouveau roi pour l’Espagne », annonce triomphalement David Pujadas dès l’ouverture du journal. « Son fils Felipe lui succèdera ». Circulez, il n’y a rien à contester ! Il ne restait qu’à remercier officiellement Juan Carlos, au nom de la totalité du peuple espagnole (à qui l’on n’a pas demandé son avis).

Ce sera chose faite dans un premier reportage qui s’ouvre sur la place de la Puerta del Sol et un plan sur un kiosque à journaux, avec ce commentaire : « À la une des éditions spéciales de ces quotidiens espagnols, un ”gracias”, merci au roi d’Espagne. » Pour preuve, un gros plan sur la une du quotidien La Razón titrant en gras : « Gracias, Don Juan Carlos ». Si les principaux quotidiens espagnols ont en effet sorti une édition spéciale dans l’après-midi du lundi, après l’annonce du premier ministre [9], seule la « Une » de La Razón a titré si triomphalement sur des remerciements. Absence de discernement ou choix délibéré ? France 2 a exhibé la « une » de l’une des publications les plus conservatrices et monarchistes… mais a omis, il est vrai, de montrer toute la « une » spéciale de La Razón – une double « une » en vérité –, avec au verso une photo pleine page du prince Felipe surmontée du titre : « Le futur lui appartient ».

Et Stéphane Bern enfin parla. On en apprit de bien belles... Que « la monarchie était chancelante, à l’image du Roi qui a du mal à marcher » Que selon Stéphane Bern, qui l’a, dit-il, « rencontré plusieurs fois », « c’est un homme qui a un charisme incroyable ». Et surtout : « C’est l’homme qui a restauré la démocratie (…) pour permettre à la Movida d’exister. » Certes, « la fin de règne est un peu plus tourmentée », « par les scandales ». Mais « politiquement il pèse ». La raison ? « La couronne c’est ce qui permet l’unité dans la diversité. Tout cela cohabite grâce au Roi. Le Roi c’est l’unité ». Tout cela pourrait se discuter. Pas sur France 2 !

Et on enchaine : « Qui est le nouveau roi qui va régner sur l’Espagne ? ». France 2 l’a déjà couronné, au moment même où une partie de la population espagnole le refuse. Pour France 2, ce soir-là, c’est sans importance. Mieux, après la diffusion d’un portait du « nouveau roi qui va régner », David Pujadas demande benoîtement : « Qu’attend l’Espagne de son nouveau Roi ? » Car il est bien évident que l’Espagne, une et indivisible, attend d’un seul cœur quelque chose et la même chose.

Des trouble-fêtes à peine entrevus

Au moment même où Stéphane Bern mobilisait toute sa science, des manifestations pour réclamer l’organisation d’un référendum et l’abolition de la monarchie commençaient à se dérouler en Espagne. Mais France 2, ce soir-là n’en savait rien ou ne voulait rien en savoir.

TF1, dont le goût pour les monarques n’est pourtant pas moins prononcé, a au moins aperçu des Républicains : ce que France 2 n’a pas découvert. Sur la chaîne privée, le JT de 20 heures de ce 2 juin, a même officialisé la présence d’ « un millier de manifestants », qui se rassemblaient au moment du « direct » sur la Place de la Puerta del Sol à Madrid. Seulement voilà : le rassemblement commençait à peine. S’ils étaient un millier au moment du direct, ils étaient au moins 20000 quelques temps après. LCI dès le 2 juin à 19h16, relevait que le PP et le PSOE défendaient des positions similaires, alors que le résultat des élections et la crise sociale ébranlaient les institutions. Et, diffusant une prise de position de Pablo Iglesias, leader de Podemos, soulignait – c’est le titre de la vidéo – que « les indignés demandent un référendum ».

Et sur France 2, ce soir-là ? Rien. Mais comme France 2 nous invite régulièrement à consulter, pour en savoir plus, le site de FranceTVinfo, il suffisait de s’y rendre pour aller droit à l’essentiel : « Qui est Felipe, le futur roi d’Espagne ?.

C’est au JT de 13 h du 3 juin, 24 minutes après son début, que l’on apprit qu’ « une partie de la population réclame la fin de la monarchie » et, reportage à la clé, aussi brièvement que possible que des rassemblements avaient eu lieu.

Vingt mille personnes réunies spontanément sur la place de la Puerta del Sol, qui n’avait jamais été aussi remplie depuis les assemblées du mouvement du 15 mai 2011, et des rassemblements dans tout le pays, cela méritait pourtant qu’on s’y arrête. Il suffisait pour cela… de lire les deux principaux quotidiens espagnols qui, le soir même de l’abdication ont mentionné très tôt ces manifestations. El Mundo publiait dès 17 h une liste de concentrations pour la République et pour un référendum, et donnait un peu plus tard quelques informations sur les rassemblements à Barcelone, en Andalousie, à Palma et à Valencia, ainsi qu’un article, actualisé le lendemain consacré à des « dizaines de milliers de voix républicaines dans les rues et un album de photos des protestations. Et El País consacrait également plusieurs articles aux « milliers de personnes qui réclament un référendum sur la Monarchie ».

Que resta-t-il de tout cela au JT de France 2, ce 3 juin à 13h ? Sur le fond, les désaccords en Espagne même qui avaient été éludés la veille devaient, semble-t-il, être rappelés. Or à peine le reportage a-t-il accordé quelques secondes à trois manifestants pour expliquer leurs raisons de s’opposer à la monarchie et souhaiter un référendum sur la forme future de l’Etat que le commentaire se charge de changer le sens et la portée de cette opposition : « Du Palais Royal où se tiennent en temps ordinaire les festivités de la Monarchie, le futur roi Felipe VI a dû entendre le message. Il sait qu’il doit redonner confiance aux Espagnols. »

Et le commentaire d’enchainer : « Pour cela, il a encore le soutien de l’ancienne génération. » Une ancienne génération mentionnée en opposition à « la majorité de jeunes » qui constituait, selon la journaliste, l’ensemble des manifestants sur la place de Sol. Sans doute l’envoyée spéciale de France 2 a-t-elle eu à sa disposition une technologie démographique de pointe pour transformer une opposition politique en conflit de génération.

Quoi qu’il en soit, les exemplaires de « l’ancienne génération » furent particulièrement virulents. Ainsi, la première personne interrogée considère que « [la] précédente République a été une catastrophe. Les politiques ont passé leur temps à se quereller et ça nous a menés à la guerre [civile]. Donc la Monarchie, c’est ce qu’il y a de mieux. » Un point de vue tout en nuances que vient renforcer le deuxième témoignage : « La République, ça a été le bazar, on a fini avec une dictature. La Monarchie, ce n’est pas comme ça. » Des analyses personnelles qui pourraient à la rigueur servir à illustrer la crispation qui caractérise encore la société espagnole quant à son histoire récente mais qui, faute d’explications de la part de la journaliste, ne peuvent que renforcer l’idée selon laquelle d’une part, la guerre civile et la dictature qui lui succéda étaient inévitables ; et d’autre part, que l’expérience démocratique constituée par la Seconde République, rendue coupable sans autre forme de procès du coup d’Etat et de tout ce qui s’ensuivit, est à mettre au ban de l’histoire, laissant ainsi le champ libre au roi Juan Carlos pour qu’il apporte enfin la démocratie au peuple espagnol.

Ce traitement des mobilisations, écartées du processus en cours comme elles l’ont été du récit de la transition, est d’autant plus lamentable que leur prise en compte – ne serait-ce qu’à la hauteur du nombre de personnes qu’elles avaient rassemblées – aurait permis de resituer de manière moins superficielle la confrontation qui existe en Espagne sur la forme de l’Etat. Revendiquer un référendum (alors que le PP et le PSOE se sont empressés de solder le changement de monarque), ou, plus précisément encore revendiquer l’abolition de la monarchie et le retour à la République, dans un pays où elle a été balayée par un coup d’Etat, n’est – quoi qu’on en pense – nullement anecdotique. Les aspirations des manifestants étaient sans doute fort diverses, mais force est de constater l’omniprésence du drapeau tricolore de la 2nde République, symbole de la lutte anti-franquiste mais avant tout d’un modèle de démocratie sociale… qui ne semble pas être celui que défendent le PP ou le PSOE.

Serait-ce trop demander aux rédactions des chaînes de télévision françaises, même dans les limites d’un journal télévisé, d’en rendre compte au lieu de couronner le Roi d’Espagne … plus d’une semaine avant son couronnement ? En effet, sur France 2 (entre autres…) le 3 juin à 20 h, la monarchie espagnole était définitivement confortée sans débat, puisqu’on apprit, seulement 23 minutes après le début du journal, que « L’Espagne se prépare à la relève ».

 
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Notes

[1C’est cette lecture qui servira de paradigme à toute la littérature universitaire issue de la "transitologie", néologisme regroupant des travaux se chargeant de justifier plus que d’étudier ces processus de changement politique dirigés depuis la sphère des élites politiques et économiques, et marginalisant les mobilisations sociales et forces politiques exprimant une vision plus radicale de ces processus.

[2La somme des résultats du PP et du PSOE étant passé de 74,9 % (respectivement 42,12 % (24 sièges sur un total de 54) + 38,78 % (23 sièges)) en 2009 à 49,06 % (26, 06 % (16 sièges) + 23 % (14 sièges)) en 2014. Avec un taux d’abstention quasiment similaire à celui de 2009 (et ayant même baissé d’un point : de 55,1 % à 54,16 %), cette désaffection des citoyens envers les deux organisations constituant le bipartisme historique depuis l’accès au pouvoir du PSOE en 1982 a signifié une dispersion des votes vers d’autres formations plus minoritaires, en particulier celles se réclamant de la gauche plus radicale telles que la coalition Izquierda Plural (« Gauche plurielle », passant de 3,71 % à 9,99 % (de 2 à 6 sièges)), ou la jeune formation Podemos (« Nous pouvons », menée par le professeur de sciences politiques, présentateur de télévision et invité fréquent des débats télévisés Pablo Iglesias), particulièrement influencée par le mouvement des Indignados de mai 2011 et ayant obtenu, en seulement cinq mois d’existence, 5 sièges au Parlement Européen (7,97 % des suffrages exprimés). Même si les suffrages exprimés le 25 mai dernier peuvent constituer un mauvais présage, il ne semble pas sérieux de les extrapoler aux futures échéances électorales de 2015 (municipales et législatives) : la différence des enjeux et du mode de scrutin rendent largement précipitée et hasardeuse toute évocation d’une défaite du bipartisme, comme se (com)plaisent à l’annoncer certains médias et instituts de sondages.

[3Approuvée sans surprise par le Congrès le mercredi 11 juin par 299 voix pour, 19 contre et 23 abstentions

[4C’est d’ailleurs ce que laisseraient penser les sources auxquelles a eu accès la journaliste du quotidien El Mundo Victoria Prego et qu’elle cite dans son article du 8 juin 2014 : « Últimos días de un rey », El Mundo, 08/06/2014.

[5Pour mémoire, rappelons que Juan Carlos Ier a été désigné par le général Francisco Franco en personne, pour succéder à la tête de l’état à sa mort. Ce même Caudillo Franco responsable du coup d’état du 18 juillet 1936 ayant mis fin au régime de la 2nde République (1931-1936), régime sans doute critiquable mais ayant permis la conquête de nombreux droits et libertés politiques tels que le droit de vote pour toutes et tous, les droits concernant la protection des travailleurs, le droit à une éducation publique et laïque, la liberté d’expression, de culte, de réunion, etc. La période de la 2nde République fut certes troublée et marquée par l’instabilité que des changements socio-politiques d’une telle ampleur pouvaient entraîner dans une société espagnole souffrant d’un système encore trop socialement féodal par le poids des propriétaires terriens et des élites économiques, et moralement réactionnaire par celui des institutions catholiques et militaires. Un projet politique précurseur et courageux qui, s’il n’était pas parfait, possédait en tous cas la légitimité des institutions démocratiquement élues qui voulaient le mener à bien. C’est le coup d’état franquiste de 1936, la guerre civile de trois ans qui s’ensuivit et la dictature de presque quarante ans qui mirent fin à ce projet, non sans avoir entraîné dans son sillage des dizaines de milliers de prisonniers politiques, d’exilés et de morts, ces derniers pour la plupart encore disparus dans les innombrables fosses communes parsemant le territoire espagnol et que les artisans de la « Transition modèle ont volontairement décidé d’oublier).

[6Et sous-estime celui fondamental d’Adolfo Suárez, désigné par le roi Juan Carlos Ier pour diriger le processus de transition, et considéré comme le véritable artisan politique de la Transition espagnole. Notons que son décès, le 23 mars dernier, a également donné lieu à un traitement médiatique, en Espagne et à l’étranger, de l’ordre de la mythification posthume à la limite du supportable, comme on peut le lire dans l’article d’Emmanuel Rodríguez, « Españoles, Suárez ha muerto »,Diagonal, 26 mars 2014

[7L’ex-premier ministre socialiste Felipe González – « groupie juan carliste » de conversion non encore datée – n´a d’ailleurs pas hésité à attribuer partiellement la fin de la guerre froide aux compétences diplomatiques de Juan Carlos… Avec de tels miracles à son actif, c’est tout légitimement que le dit peuple pourrait lui en demander davantage, mais place au fils prodige !

[8La dernière enquête du Centro de Investigaciones Sociológicas. concluant sur la pire note de 3,68/10 en termes d’opinion favorable.

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