Mercredi 2 juillet, l’interview de Nicolas Sarkozy, retransmise en direct sur Europe 1 et TF1, a été une fois de plus, pour Jean-Pierre Elkabbach, l’occasion de démontrer ses talents de journaliste. Son irrévérence et sa pugnacité légendaires ont en effet sauté aux yeux de tous les auditeurs et téléspectateurs, et nous ne pouvions nous empêcher de revenir sur ce morceau de bravoure qui vaudra probablement à son auteur un prix Pulitzer… ou une mise en examen pour trafic de connivence.
Nicolas Sarkozy a donc été interviewé, mercredi 2 juillet, par Jean-Pierre Elkabbach et Gilles Bouleau. Ou plutôt : il a « reçu » les deux journalistes qui l’ont « remercié » de les accueillir, alors que, de toute évidence, c’est l’ancien Président qui aurait dû remercier TF1 et Europe 1 qui, en quête d’un scoop, ont répondu favorablement à sa « demande d’interview » précipitée par une garde à vue et une mise en examen. Étrange phénomène, en effet, que celui d’un homme politique qui s’invite lui-même au 20h, alors que ce sont plutôt les journalistes qui sont censés inviter les politiques…
Parfaitement intégré à ce dispositif improbable, Jean-Pierre Elkabbach nous a offert une démonstration de passage de plats qui restera probablement dans les annales des interviews télévisées. Comme l’a justement souligné Rue89, « une fois de plus, ses questions ont été plus embarrassantes pour la profession de journaliste que pour l’interviewé ». Voici, pour le démontrer, l’intégralité de ses questions et interventions, telles qu’elles ont été retranscrites dans le verbatim proposé par le site d’Europe 1. Soulignons ici que Gilles Bouleau a tenté, pour sa part, de faire son travail, mais qu’il en a été grandement empêché par un Jean-Pierre Elkabbach au sommet de son art, qui a monopolisé la parole, coupé son confrère et reformulé ses questions lorsqu’il estimait qu’elles étaient trop gênantes pour Nicolas Sarkozy.
Les questions de Jean-Pierre Elkabbach :
1) Comment vous réagissez au principe et à la longueur de la garde à vue. Elle a été exceptionnelle : 15-16 heures avec les policiers. Vous étiez sans avocat. Quelle est votre réaction ?
2) Donc il faut bien expliquer aux Français qu’il y a eu d’abord les 16 heures avec les policiers, et à partir d’une heure, deux heures du matin, pendant deux heures, une interrogation par deux juges…
3) Est-ce que vous pensez que les chefs d’accusation contre vous étaient déjà anticipés ? Qu’elles [les juges] avaient décidé avant de vous voir ?
4) Gilles Bouleau : [À propos du Syndicat de la Magistrature] C’est vous-même qui les aviez traités de petits pois… Vous les aviez traités de petits pois en disant « ils sont quantité négligeable »…
Jean-Pierre Elkabbach : Là on assiste à la revanche des petits pois…
5) Ce soir est-ce que vous demandez, est-ce que vous réclamez de nouvelles juges, moins militantes selon vous ?
6) Vous n’avez pas répondu, est-ce que vous voulez que de nouveaux juges…
7) À plusieurs reprises, vous avez dit : « on a nommé, on a décidé, on a choisi tel ou tel juge… » Est-ce que le président Hollande et son gouvernement, dans les affaires judiciaires qui vous concernent, sont des spectateurs ou des acteurs ?
8) Nicolas Sarkozy : (…) je crois dans l’honnêteté et l’impartialité des magistrats dans notre pays.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais pas celles-là ?
9) On dit : « il ne veut pas être traité comme un citoyen normal ». Êtes-vous traité comme un justiciable normal ?
10) Nicolas Sarkozy : (…) ces motifs ont été retenus dans le seul souci de la continuation d’humilier, de m’impressionner, de m’empêcher, de me diffamer.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous demandez leur nullité ?
11) Vous prenez les Français à témoin. Voulez-vous passer pour une victime d’un système qui ne fonctionne pas en matière de justice, et même politique ?
12) Nicolas Sarkozy : (…) Je vous le dis bien dans les yeux : je n’ai rien à me reprocher ! Vous m’entendez ? Rien !
Jean-Pierre Elkabbach : Ni là ni dans d’autres affaires ?
13) Est-ce qu’on ne trouvera rien dans l’affaire Bygmalion ?
14) Nicolas Sarkozy : (…) Alors que j’avais rassemblé sur mon nom près de 19 millions d’électeurs, nous n’avons pas eu un centime de remboursement !
Gilles Bouleau : Sauf que ces comptes étaient faux. Monsieur Lavrilleux a dit : « j’ai fait des fausses factures ».
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que de l’argent a été détourné ?
15) Nicolas Sarkozy : Si la société Bygmalion a fait des systèmes de fausses factures avec l’UMP…
Jean-Pierre Elkabbach : Si ou sûrement ? A partir du moment où vous voyez les chiffres…
16) Si c’est le cas [l’existence de fausses factures], porterez-vous plainte vous-même ?
17) Qu’est-ce qui pourrait vous faire renoncer ? Vous aviez tout un schéma, un plan, un programme… Avez-vous encore envie de vous battre ?
18) Vous pensez que les Français ont besoin de vous ?
19) Mais vous êtes prêt à relever le défi ?
N’en jetez plus.
19 questions donc, qui méritent au moins un 19/20... et valent confirmation des propos tenus, à propos de Jean-Pierre Elkabbach par son altesse Franz-Olivier Giesbert lors du « débat » organisé sur LCP suite à la diffusion du film Les Nouveaux Chiens de garde : « Qu’est-ce qui est important dans la presse ? C’est l’indépendance. C’est ce mot. Et là d’ailleurs quand je vois des journalistes qui sont notoirement indépendants comme Jean-Pierre Elkabbach, Laurent Joffrin, tout ça, qui sont traités plus bas que terre, c’est extrêmement choquant ».
Une « indépendance notoire » dont chacun a pu mesurer la teneur hier soir.
Julien Salingue