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Le test estival d’Acrimed : Pour quel(s) média(s) pourriez-vous travailler ?

par Julien Salingue,

Le numéro 12 de notre magazine trimestriel Médiacritiques est paru à la mi-juin. Un assortiment du pire de la production médiatique et du meilleur d’Acrimed que vous pouvez toujours vous procurer sur notre boutique. Au sommaire, entre autres, des « jeux de l’été », parmi lesquels ce test que nous proposons gracieusement aux lecteurs et lectrices de notre site qui ne seraient pas encore abonné-e-s (mais il n’est jamais trop tard pour bien faire) à Médiacritique(s).

Les questions


Une grève à la SNCF ?

a) Vous réalisez un micro-trottoir pour demander aux usagers s’ils se sentent « pris en otages ».
b) Vous rédigez un éditorial enflammé contre les privilèges des cheminots, ces nantis qui gagnent dix fois moins d’argent que vous mais qui sont bien incapables d’écrire un éditorial contre les privilèges des enseignants.
c) Vous donnez la parole 30 secondes à un cheminot, 30 secondes à un « usager en colère », avant de laisser deux éditorialistes du Point et de L’Express deviser longuement de la « nécessité de la réforme », des « blocages de la société française » et des « conservatismes syndicaux ».
d) Vous publiez une interview étoffée d’un cheminot, convaincu de l’intérêt de lui donner la parole, mais déçu qu’il n’ait pas un ou deux scandales à vous révéler.
e) Vous essayez péniblement de recenser, sur fichier Word, les dérapages médiatiques au sujet de la grève, avant de renoncer, faute de place sur votre disque dur.


Un titre pour un dossier sur l’Islam ?

a) « Le jihad des banlieues : une semaine avec les enquêteurs de la Sous-direction anti-terroriste de la Police judiciaire »
b) « L’Islam : danger, péril ou menace ? »
c) « Tout savoir sur l’Islam en 2 minutes »
d) « L’Islam n’est pas une menace pour la république, contrairement au lobby de l’industrie pharmaceutique (voir notre enquête en cliquant sur "prolonger") »
e) « Le meilleur du pire des dossiers sur l’Islam »


L’élection présidentielle approche

a) Vous téléphonez aux favoris afin de savoir, par souci de bienséance, quel jour les arrangerait pour une interview en direct.
b) Vous vous mettez en quête du « 3ème homme », sondages quotidiens à l’appui, avant de vous rabattre, par souci démocratique, sur les deux favoris.
c) Vous imaginez des interviews humoristiques de l’ensemble des candidats, afin de pouvoir, par souci d’équité, rire des « petits » et rire avec les favoris.
d) Vous enquêtez sur le patrimoine des candidats, afin de vous donner les moyens, par souci de transparence, de faire sauter la république.
e) Vous occupez tout votre temps libre à écouter la radio en regardant la télévision et en lisant la presse (papier et web), afin de déceler les biais du traitement médiatique de la campagne. Par souci de rigueur et d’exhaustivité, ces résultats seront mis en commun avec ceux d’autres insomniaques ayant fait de même, et vous rédigerez ensemble un court article de 13 pages.


Votre film préféré ?

a) Les Choristes
b) Le Serment de Tobrouk
c) Vous n’avez jamais regardé un film en entier
d) Les Hommes du président
e) Les Nouveaux chiens de garde


Un titre pour un dossier sur l’Europe ?

a) « L’Europe : la solution pour sauvegarder nos terroirs »
b) « L’Europe : ceux qui sont pour, ceux qui ne sont pas contre »
c) « Comprendre la construction européenne en 2 minutes »
d) « L’Europe : les documents qui prouvent le scandale »
e) « Le meilleur du pire des dossiers sur l’Europe »


Une grève chez les enseignants ?

a) Vous tournez un sujet sur la « galère » des parents qui doivent trouver des solutions alternatives pour faire garder leurs enfants.
b) Vous rédigez un éditorial enflammé contre les privilèges des enseignants, ces nantis qui gagnent dix fois moins d’argent que vous mais qui sont bien incapables d’écrire un éditorial contre les privilèges des cheminots.
c) Vous donnez la parole 30 secondes à un enseignant, 30 secondes à un « parent en colère », avant de laisser deux éditorialistes de Marianne et du Nouvel Observateur [1] deviser longuement des « blocages de la société française », des « conservatismes syndicaux » et de la « nécessité de la réforme ».
d) Vous renoncez à publier une interview étoffée d’un enseignant car, même si vous êtes convaincu de l’intérêt de lui donner la parole, vous êtes trop déçu qu’il n’ait pas un ou deux scandales à vous révéler.
e) Vous essayez péniblement de recenser, sur papier (votre disque dur est plein), les dérapages médiatiques au sujet de la grève, avant de renoncer, faute d’arbres.


Vous êtes plutôt...

a) Costume/tailleur
b) Écharpe rouge
c) Modern chic
d) Moustache
e) Euh… comme vous.


Votre chanson préférée ?

a) « Douce France » (Charles Trenet)
b) « J’accuse » (Michel Sardou)
c) «  L’opportuniste » (Jacques Dutronc)
d) « Enregistrement n°37 » (Liliane Bettencourt)
e) « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » (Renaud)


Un homme assassine son voisin à Béthune

a) Vous réalisez un micro-trottoir dans le quartier, pour demander aux riverains s’ils auraient « imaginé qu’un tel drame puisse se produire ».
b) Vous écrivez un éditorial outragé contre l’incurie et l’angélisme des pouvoirs publics, rappelant aux Français, qui l’avaient oublié depuis votre précédent éditorial, que leur préoccupation première est l’insécurité.
c) Vous invitez un spécialiste des faits divers, qui s’exprimera deux minutes, entre une courte interview de l’homme qui mange des noix sans les casser et un bref sujet consacré au retour du disco.
d) Ce n’est pas un sujet, à moins que la victime soit une ancienne connaissance du majordome du beau-frère de Jérôme Cahuzac, ce qui tendrait à établir l’existence d’une conspiration destinée à éliminer une source qui aurait pu contribuer à faire sauter la république.
e) Vous comparez, avec une délectation presque malsaine, les différents titres de la PQR, afin de voir quel journal aura trouvé la « une » la plus indécente.


Les vacances idéales ?

a) La « France des terroirs », afin de préparer vos futurs reportages
b) Une croisière avec quelques amis éditorialistes et quelques politiques, durant laquelle, entre deux cocktails, vous dispenserez votre immense savoir aux heureux élus qui auront gagné le droit d’embarquer à vos côtés en échange de la modique somme de 2000 euros
c) La Croisette, afin de préparer vos futurs reportages
d) Une maison à la campagne, où vous relirez l’intégrale des enquêtes de Rouletabille
e) Une plage en Bretagne, où vous relirez les œuvres de Pierre « Magic » Bourdieu




Les résultats

Vous avez un majorité de « a » : Vous aimez votre pays, ainsi que votre public potentiel, et n’entreprendrez rien qui pourrait le faire douter de ses certitudes (celles-là mêmes que vous lui administrez). Vous refusez de vous laisser berner par ces éternels insatisfaits, dont les lubies nommées « services publics », « acquis sociaux » ou « répartition des richesses » vous semblent, à juste titre, d’un autre âge. Vous maîtrisez à la perfection l’art de l’hypnose, et votre propension à vous préoccuper des « vrais » sujets qui concernent les « vraies » gens va, à l’évidence, vous permettre d’accéder rapidement à d’importantes fonctions. Votre cœur de cible est la « ménagère de moins de 50 ans » à laquelle vous êtes en mesure d’arracher plusieurs heures de « temps de cerveau disponible ». Eh oui, de toute évidence, une grande chaîne possédée par un entrepreneur spécialisé dans le bâtiment vous tend les bras. Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir présentateur du JT sur TF1.

Vous avez une majorité de « b » : Votre conception du journalisme vous honore. Vous n’avez pas renoncé à faire éclater en toute circonstance la vérité, ce qui vous est facilité par le fait qu’elle est à portée de main, là, dans votre cerveau génial. Votre croisade contre le mensonge et la bêtise (les avis contraires au vôtre), de même que votre obstination à « briser les tabous » et à vous en prendre au « politiquement correct », pourraient vous conduire au surmenage. Heureusement, vous êtes épaulé par vos nombreux interchangeables semblables, qui peuvent vous remplacer au pied levé, et avec lesquels vous aimez en outre deviser poliment sur les plateaux de télévision durant d’épiques joutes verbales qui se terminent fort heureusement, toujours, par un dîner en ville.
Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir éditorialiste à L’Express.
Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir éditorialiste au Point.
Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir éditorialiste au Nouvel Observateur [2].
Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir éditorialiste à Marianne.

Vous avez une majorité de « c » : Vous avez compris que l’essentiel est de se concentrer sur le superficiel. Un sujet ne doit pas excéder quelques minutes, de même que l’interview d’un invité, au risque de donner envie au public de s’adonner à votre activité préférée : le zapping. Vous pouvez parler de football, de politique, de musique, d’internet, de mode, de cuisine, mais pas trop longtemps sinon on se rendra compte que vous n’y connaissez rien. L’une de vos spécialités est le mélange des genres, et votre mot préféré en anglais est « infotainment », un concept que vous ne traduirez pas car employer des termes anglais, c’est cool. Vous avez toutefois quelques principes : donner prioritairement la parole à ceux qui l’ont déjà, donner rarement la parole à ceux qui en sont quasiment privés, privilégier la dérision à l’investigation. Votre voie est toute tracée, au sein d’une chaine cryptée qui, comme vous, sait rester mesurée dans son impertinence (il ne faudrait pas se fâcher avec les puissants non plus). Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir chroniqueur, voir même présentateur du Grand Journal de Canal+.

Vous avez une majorité de « d »  : Pour vous, l’information est un combat. Vous ne vous laisserez pas dicter votre conduite par les puissants, et vous ne craignez pas de vous en prendre à eux si vous estimez qu’il en va de l’intérêt général. Faire éclater les scandales qui minent la vie politique et économique française est devenu pour vous une raison d’être. Cette posture, aussi louable soit-elle, vous conduit parfois à négliger certains thèmes mineurs (comme l’information internationale), voire même à quelques excès mais, après tout, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, et feuilletonner quelques affaires pour faire du buzz n’a rien de déshonorant tant que ça ne se voit pas trop. Vous rêvez de faire un grand nettoyage dans les institutions de la Vème république, et êtes prêt pour cela à tout révéler, y compris, s’il le faut, un cireurdechaussuresgate. Votre souci d’indépendance et votre pugnacité méritent d’être salués, et de toute évidence un patron de presse moustachu vous a déjà repéré. Pas de doute, vous avez l’envergure pour devenir journaliste d’investigation au département « scandales », division « affaires », section « révélations », du journal Mediapart.

Vous avez une majorité de « e » : Peut-être aimez-vous trop le journalisme pour pouvoir en faire votre métier. L’information vous intéresse tout autant que sa mise en forme, et vous pestez chaque jour devant votre télévision/radio/journal/ordinateur en relevant les divers biais et travers journalistiques. Vous avez beau être convaincu que nombre de journalistes font très bien leur travail, et que beaucoup des travers que vous relevez sont tout autant, sinon davantage, dus aux conditions de production de l’information qu’aux journalistes eux-mêmes, il vous arrive parfois de vouloir mettre en cause « les » médias ou « les » journalistes, ce que ces derniers ne manqueraient pas, à juste titre, de vous reprocher. Pour éviter de devenir aigri et de faire campagne pour un boycott généralisé de tous les médias, pour poser la question des médias et de l’information de façon politique, dans une démarche de transformation sociale et au sein d’un cadre collectif de discussion et d’élaboration, nous vous conseillons de vous adonner à une activité sur laquelle certains malfaisants d’extrême-droite essaient de réaliser une OPA hostile : la critique des médias. Pas de doute, vous êtes le bienvenu, ou la bienvenue, à Acrimed.


Julien Salingue



 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Et désormais, de L’Obs.

[2Et désormais, à L’Obs.

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