À la suite d’un viol collectif à Argelès-sur-Mer, 20 Minutes a décidé de présenter son analyse de la criminalité sexuelle estivale. Un article mis en ligne le 4 juillet demande ainsi pourquoi les agressions sexuelles sont plus nombreuses en été. On y apprend que les femmes violées sont bien souvent coupables d’avoir trop bu et d’être trop court-vêtues : « Ce n’est pas vraiment que les agresseurs sont plus nombreux durant l’été. C’est surtout que les victimes potentielles adoptent plus facilement des comportements dits "à risque" ». Plus loin, un expert ès criminologie et bikini (Stéphane Bourgoin) « liste facilement les éléments qui favorisent l’agression sexuelle durant les vacances : "On consomme plus d’alcool, on sort plus tard et avec la chaleur, on est vêtu de façon plus légère", tranche-t-il ». Les causes des viols et agressions ne seraient donc pas les pulsions violentes des criminels ni les comportements sexistes et masculinistes…
Pour démontrer que les victimes de viols et d’agressions sont aussi quand même un peu coupables, l’expert éclaire nos lanternes en assénant que « [qu’]en fait, les vacanciers considèrent toujours que c’est [les vacances d’été] le moment où rien ne peut arriver et lèvent peut-être un peu la garde ». Non seulement cette affirmation est absolument invérifiable, mais elle nous apprend que les victimes sont décidément très étourdies, et que les individus devraient non pas agir pour un espace public sain mais se contenter d’être sur leurs gardes. Puis, l’article évoque le fait que les victimes d’Argelès-sur-Mer « auraient rejoint en boîte de nuit un groupe de jeunes hommes rencontrés par hasard sur la plage durant l’après-midi. En sortant de discothèque, elles auraient accepté d’aller se promener seules sur la plage avec leurs agresseurs ». La citation suivante de l’expert proclame que « L’été, la majorité des agressions sexuelles se produisent dans la nuit », ce qui semble suggérer que ces femmes n’auraient pas dû sortir, et insinuer qu’accepter une promenade avec des inconnus est une incitation au viol.
Si l’expert en question n’hésite pas à répéter ses thèses tout au long de ses interviews [1], 20 Minutes n’en est pas à ses premières analyses farfelues d’agressions sexuelles. Ainsi, dans ce précédent article, le même journal ouvrait ses colonnes à une experte qui affirmait que les joggeuses sont des cibles privilégiées de viol car « les victimes ont souvent un casque sur les oreilles pour écouter leur musique, ce qui les empêche d’entendre leur agresseur approcher ». Et la tenue qu’elles portent « est volontiers près du corps, ce qui permet de discerner leurs formes et sexualise la victime aux yeux de l’agresseur ». Le problème ne serait donc pas que des femmes soient violées et agressées par des hommes dans un espace public, mais que les femmes n’aient pas encore compris combien cet espace commun l’est beaucoup plus aux hommes qu’à elles. Pire, elles peuvent rendre fou des hommes qui perdent le contrôle d’eux-mêmes, victimes de « flashs amoureux monstrueux » (c’est se faire une idée bien étrange de l’amour).
Ainsi ces articles reconduisent la vision selon laquelle les victimes de viols et d’agressions sexuelles ont une part de responsabilité dans leur malheur. Ils reconduisent aussi l’idée qui veut que l’espace public est inégalement accessible et qu’il faut composer avec cette inégalité et non lutter contre. On notera qu’à la toute fin de l’article consacré au viol collectif d’Argelès, l’expert Stéphane Bourgoin, interrogé à propos d’une proposition faite à Goa, en Inde, à savoir interdire les bikinis pour limiter les agressions sexuelles, estime « [qu’]il serait tout de même préférable de renforcer la surveillance des agresseurs potentiels ». On respire un peu, et on en vient à se demander comment il est possible que le reste de l’article adopte un « angle » aussi scandaleux. Mais peut-être le journaliste de 20 Minutes, accablé par la chaleur, a-t-il un peu trop bu pour écrire raisonnablement.
Vincent Bollenot