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« Secrets d’histoire », le magazine royaliste de France 2 ?

par Blaise Magnin,

Présentée par l’animateur-amuseur multicartes Stéphane Bern, et dotée d’un titre qui évoque on ne sait quels mystères, « Secrets d’histoire », l’émission historique de France 2, diffusée depuis 2007, n’a pas pour vocation d’attirer les spécialistes, ni même les amateurs éclairés. Elle n’a pas non plus pour objectif de proposer au plus grand nombre une vision accessible et équilibrée de sujets historiques variés, faisant état des points de consensus dans la communauté historienne, tout en laissant une place suffisante au doute et au débat. Elle n’est tout au plus qu’un divertissement audiovisuel qui prend quelques précautions historiennes. Le genre n’est pas a priori méprisable. Mais sous couvert de proposer un divertissement instructif, « Secrets d’histoire » fait passer une très singulière version de l’histoire de France.

En effet, au moment où réapparaît une « histoire identitaire », dont la petite entreprise éditoriale de Lorànt Deutsch constitue l’exemple le plus frappant, et qui s’applique à reconstruire une histoire nationale (ou plutôt nationaliste) simpliste et fantasmée, comme on peut le lire ici même, on s’assurera aussi que l’émission évite toute instrumentalisation grossière du passé.

La question mérite d’être posée tant le choix de confier la présentation de cette émission à Stéphane Bern est déconcertant. Ni sa formation (il est diplômé de l’École supérieure de commerce de Lyon), ni son parcours médiatique antérieur [1], n’invitent à penser qu’il détient quelque compétence en la matière. À moins de considérer qu’une passion à toute épreuve pour tout ce qui a trait aux têtes couronnées, une spécialisation journalistique (et mondaine) en la matière, et surtout des convictions… royalistes jamais démenties confèrent a priori une légitimité pour traiter de sujets historiques ! Enfin, si l’on peut encore parler de « sujets historiques » à propos du contenu de « Secrets d’histoire »…

En effet, la recension des sujets diffusés depuis 2007 [2] permet de constater que Stéphane Bern (grâce au concours des auteurs et des réalisateurs de l’émission) ne s’est pas privé de laisser libre cours à sa fascination : pas moins de 50 sujets sur 85 traitent d’un roi ou d’une reine, d’un empereur ou d’une impératrice, d’un pharaon ou d’une pharaonne, ou encore d’un sultan ! Et encore, ce bilan est-il en partie trompeur, puisque l’année 2008, avec seulement 8 sujets « monarque » sur 21, fait baisser la moyenne…

Pour le reste, « Secrets d’histoire » s’applique à n’aborder que des sujets historiquement anecdotiques, qui prennent la forme d’énigmes insignifiantes et recuites (« Quel est le mystère de la bête du Gévaudan ? » ; « Où est caché le trésor des Templiers ? »), ou qui font, encore, la part belle aux « grands hommes », qu’il s’agisse de « célébrités » historiques diverses et variées (Jésus, Barbe-Bleue, Casanova, Nostradamus, Robin des Bois), de génies artistiques (Molière, Mozart, Monet, Hugo), ou de quasi contemporains (Clemenceau, De Gaulle, « les milliardaires américains depuis la Guerre de Sécession »). Et comme un souverain digne de ce nom ne se conçoit pas sans son palais féérique, Stéphane Bern ne manque pas d’y conduire régulièrement les téléspectateurs (les résidences d’été, le Vatican, l’Élysée).

Pour ce qui est du mode de traitement choisi, le portrait – autant dire l’hagiographie – domine largement, mais Stéphane Bern ne se refuse pas, pour varier les plaisirs, à s’intéresser régulièrement aux amours royales et aux amants ou aux maitresses des souveraines et des souverains. La presse à scandales et le journalisme de trou de serrure n’existant pas à ces époques, on sait gré à Stéphane Bern de combler ces lacunes…

Mais les sommaires complets des saisons 2013 et 2014 permettront de mieux se figurer le menu indigeste et monomaniaque de l’émission :

 2013 : 15 janvier 2013 - Molière tombe le masque ! ; 19 février 2013 - Juan Carlos, le roi des Espagnols ; 26 mars 2013 - Si les murs du Vatican pouvaient parler ; 9 avril 2013 - Le mystère Picasso ; 7 mai 2013 - Un homme nommé Jésus ; 14 juillet 2013 - 14 juillet 1789 : le matin du grand soir ; 6 août 2013 - Sarah Bernhardt, sa vie, ses folies ; 13 août 2013 - Richelieu le ciel peut attendre ; 20 août 2013 - Mozart : la liberté ou la mort ! ; 27 août 2013 - La reine Amélie, une Française au Portugal ! ; 3 septembre 2013 - Moi, Charles Quint, maître du monde ; 1er octobre 2013 - Gatsby et les magnifiques (portraits des milliardaires américains depuis la Guerre de Sécession : John Davison Rockefeller, John Jacob Astor IV, John Pierpont Morgan, William Henry Vanderbilt et Andrew Carnegie) ; 5 novembre 2013 - Frédéric II : le roi de Prusse est un peu baroque ; 3 décembre 2013 - Georges Clemenceau : un tigre au grand cœur ; 26 décembre 2013 - Gayatri Devi : une princesse au pays des Maharajas.

 2014 : 25 février 2014 - Nicolas II : le dernier tsar de Russie ; 28 juin 2014 - François-Ferdinand ou la fin du monde ; 14 juillet 2014 - Danton : aux armes citoyens ! ; 15 juillet 2014 - Vacances royales. Portrait des résidences du pouvoir ; 22 juillet 2014 - La Pompadour ou le roi amoureux ; 29 juillet 2014 - Agnès Sorel, première des favorites ; 12 août 2014 - Saint Louis, sur la terre comme au ciel ; 19 août 2014 - Portrait de La Castiglione, maîtresse de Napoléon III ; 25 août 2014 - De Gaulle, le dernier des géants ; non encore programmés : La Grande-Duchesse de Luxembourg ; Gloire et douleurs de Maria Callas ; Les reines de Paris ; Portrait de Louis XIV dit Le Roi Soleil ; Portrait d’Anne de Bretagne ; L’irrésistible ascension de Madame de Maintenon.

Ainsi, selon France 2 et Stéphane Bern, l’histoire est avant tout l’histoire privée – et même intime – de celles et ceux qui ont régné et gouverné par le passé. « Secrets d’histoire » est à l’histoire ce que le fait divers, quand il n’est pas dramatique, est souvent à l’information : une occasion de se divertir en racontant des histoires qui séduisent un large public. Or les belles histoires qui nous sont ainsi contées, avec le concours et la caution de quelques historiens, ne sont pas seulement des divertissements que l’on aurait tort de mépriser au nom de la « haute culture ». Elles affichent aussi des prétentions savantes pour le moins fâcheuses, quand on sait que depuis les années… 1930 et la fondation de l’École des annales, les historiens s’efforcent de ne plus se focaliser sur les événements militaires et politiques, ni sur leurs acteurs dominants, mais ambitionnent de rendre compte des phénomènes culturels, économiques et sociaux, et donc des modes de vie des masses anonymes du passé – ainsi que de leur évolution –, dans leur totalité.

La vision du passé proposée par « Secrets d’histoire » ne souffre pas seulement d’être étriquée et partielle à un point tel qu’elle en devient grotesque. Le propos, souvent apologétique et très psychologisant, fait la part belle à la vie sentimentale et familiale des souverains, à leurs traits de caractère et à leurs tourments intérieurs, à leurs joies et à leurs peines, interdisant toute mise en perspective critique – et toute mise en perspective tout court... Si bien que, même assez inoffensive, l’émission est loin d’être neutre politiquement. Certes, on est très loin des emportements nationalistes de Lorànt Deutsch et de ses épigones, mais disséquer sans fin les us et coutumes, les états d’âme et la libido des rois et des reines, pour, le plus souvent, se pâmer sans retenue devant leur bon goût, leur grandeur, leur courage ou leur lucidité dénote une conception de l’histoire et du monde social pour le moins partiale, et si dépolitisée qu’elle en devient… très politique !

Bref, avec cette émission « historique », à mi chemin entre le reportage people et le manifeste monarchiste, France 2 se fourvoie une fois de plus en s’asseyant sur ses missions de service public, avec comme seul objectif, de maximiser l’audience. Proposer des documentaires historiques sous une forme divertissante ? Pourquoi pas ? Encore faudrait-il que le choix des sujets et leur mise en forme ne servent pas une version de l’histoire qui est tout sauf anodine.

Blaise Magnin



 
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Notes

[1Selon sa fiche Wikipedia, il fut rédacteur en chef du magazine Dynastie de 1985 à 1987, année au cours de laquelle il collabore au magazine Voici, avant de devenir journaliste à Jours de France en 1988. En 1992, Stéphane Bern entame une carrière radiophonique et télévisuelle fructueuse qui le voit animer ou participer à quelques unes des plus grandes émissions de divertissement sur France Inter, Europe 1 et RTL, ou, entre autres, assurer la présentation de « grands évènements » (comme en 2011 les mariages britannique et monégasque) sur France 2. Depuis 1999, il est également rédacteur en chef adjoint (rubrique Événements) du magazine Le Figaro Madame.

[2Disponible sur Wikipedia.

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