Dans la soirée du mercredi 23 juillet, plusieurs manifestations de solidarité avec les Palestiniens, dénonçant l’offensive israélienne contre Gaza et la position des autorités françaises, ont eu lieu dans les grandes villes de France. Le JT de 13h de France 2 du jeudi 24 juillet ne pouvait manquer d’en rendre compte. C’est ce qui a été fait dans un court sujet, présenté sous un « angle » étonnant, servi par un lexique symptomatique.
Le « lancement » du sujet par le présentateur du JT, Nathanaël de Rincquesen, semble relativement neutre, mais fixe le cadre. Les seules questions qui se posent sont manifestement de savoir si les manifestations se déroulent ou non dans le calme et sont ou non autorisées : « En France les manifestations pro-palestiniennes organisées hier soir dans différentes villes se sont bien déroulées, de l’aveu même du Premier Ministre ce matin. Tous les regards sont désormais tournés vers le prochain rassemblement prévu samedi à Paris, un rendez-vous qui n’est toujours pas autorisé par la préfecture ».
Le reportage qui suit, dont nous avons réalisé la transcription, confirme cette « approche » et se gâte dès la première phrase : « Ils étaient 14.500 manifestants pro-palestiniens selon la Police ».
Traditionnellement – rituellement –, on communique les chiffres de la Police et ceux des organisateurs (ici, 25.000). Mais visiblement la seconde information n’a pas été jugée utile par le JT de France 2. Traditionnellement, on informe aussi, un minimum, des revendications des manifestants. Les téléspectateurs se contenteront de savoir qu’ils sont « pro-palestiniens »…
En effet, immédiatement après avoir soldé en une phrase les informations sur l’ampleur et le contenu de la manifestation, le journaliste de France 2 va à ce qui semble être pour lui l’essentiel : « Le cortège s’est dispersé vers 21h sans incident majeur ».
Ou comment parler, en guise de soulagement, d’« incident majeur », même quand il n’y en a pas eu…
Mais, peut-être a-t-on assisté à des incidents « mineurs » ? Il semble que oui : « Quelques frictions ont tout de même été constatées ».
À l’image, pas de « frictions », mais une manifestation paisible.
Alors de quels « incidents », même mineurs, parle-t-on ? Nous y venons :
(1) « Des étendards salafistes aperçus »
À l’écran, UN drapeau noir, couramment utilisé par certaines organisations jihadistes, brandi par un individu visiblement isolé.
Félicitons le courageux (et opiniâtre ?) journaliste de France 2 qui, au milieu des centaines de drapeaux palestiniens et des centaines de drapeaux d’organisations politiques (NPA, EELV, PCF, PG, etc), syndicales (CGT, Solidaires, etc.) et associatives (LDH, MRAP, Mouvement de la Paix, etc.), a réussi à trouver UN drapeau utilisés par des organisations jihadistes, qui apparaît durant 4 secondes à l’écran, sur les 24 secondes d’images de la manifestation. Soit 1/6ème du temps total…
(2) « et 16 interpellations ont eu lieu en marge de la manifestation ».
À l’image, pas d’interpellation, mais une manifestation toujours paisible… D’ailleurs, pour quel motif 16 personnes ont-elles été interpellées ? « Friction » ? « Étendard salafiste » ? Nul ne le saura. Sans doute parce que ces interpellations n’ont pas eu lieu à la manifestation mais... rue des Rosiers, dans la soirée, et donc loin, bien loin du défilé.
« Un nouvel appel à se rassembler samedi prochain a dores et déjà été lancé par les organisateurs de la manifestation qui a dégénéré à Paris le week-end dernier ».
À l’écran, des images des affrontements en marge de la manifestation organisée à Barbès le 19 juillet dernier.
« Alors ce nouveau défilé se tiendra-t-il malgré les risques de débordements ? Le gouvernement dit ne pas avoir encore tranché ».
Suivent un court extrait d’une intervention de Manuel Valls sur RTL, et une courte interview de l’un des coordonateurs de la manifestation de samedi prochain, portant l’un comme l’autre sur l’hypothèse d’une interdiction.
C’est tout ? C’est tout.
Bilan : pas un mot sur les motivations des manifestants, un vocabulaire anxiogène en complet décalage avec les images proposées, et un irrépressible besoin d’utiliser des images d’« incidents » passés… pour mieux faire oublier qu’il n’y en a pas eu mercredi soir ? On a coutume de dire que certains ne parlent des trains que lorsqu’ils sont en retard. Visiblement, certains journalistes ne souhaitent parler des manifestations de solidarité avec les Palestiniens que lorsqu’elles sont émaillées d’ « incidents ». Et même lorsqu’il n’y en a pas, on laisse entendre qu’il y en aura probablement de nouveau, parce que cette fois-ci il y aurait pu en avoir, car précédemment il y en a eu.
Et pendant ce temps, à Gaza…
Julien Salingue