Imaginez. Un homme en prend un autre en otage. Il prévient les pouvoirs publics : donnez-moi 1 000 euros ou je le tue. N’ayant pas ses 1 000 euros, il tue l’otage. Puis il déclare : ce sont les pouvoirs publics qui l’ont tué. Ubuesque ? Il s’agit pourtant de la rhétorique de Nonce Paolini, PDG d’un des principaux groupes audiovisuels français, TF1.
Rappel des faits
En début d’année, le groupe TF1 demande au CSA que sa chaîne d’information en continu, LCI, puisse passer de la TNT payante à la TNT gratuite. Motif : le modèle payant est sans avenir ; la chaîne, qui est regardée par 13 000 personnes par jour, est déficitaire ; son distributeur sur la TNT payante, Canal+, ne veut plus la diffuser, à moins de revoir le contrat avec TF1 à la baisse. Or, ce contrat arrive à échéance au 31 décembre 2014.
Lors d’une audition devant le CSA, le 7 mai, Nonce Paolini déclare : « LCI aura bientôt vingt ans. Et vingt ans, ce n’est pas un âge pour mourir ». Dans la presse, il multiplie les déclarations affirmant que si LCI ne devient pas gratuite, il n’aura « d’autre choix » que de la fermer, mettant près de 247 collaborateurs (dont 130 salariés) sur le carreau. Prise en otage de ses employés ? Littéralement, oui. Car il revient alors au CSA de trancher, et Nonce Paolini est clair : si le CSA dit non à une LCI gratuite, il tuera la chaîne.
Le 29 juillet, le Conseil rend publique sa décision, qui vaut aussi pour Paris Première (groupe M6) et Planète+ (groupe Canal+), elles aussi demandeuses de gratuité, mais pas avec une menace similaire. La réponse du CSA est négative, au motif que LCI déséquilibrerait le marché publicitaire des chaînes d’information gratuite, déjà partagé entre BFM TV (groupe NextRadio TV) et i-Télé (groupe Canal+), et, dans une moindre mesure, L’Equipe 21. Le CSA estime par ailleurs que la ligne éditoriale de la chaîne ne garantirait pas un apport pour le pluralisme de l’information. Une fois n’est pas coutume : applaudissons le CSA : BFM-TV et i-Télé sont des faux jumeaux. Qu’apporterait un triplé, surtout si le « mieux disant informatif » de LCI est aussi performant que le « mieux disant » culturel, promis par Bouygues lors de la privatisation de TF1 ?
Où le PDG s’invite au JT
L’histoire devient alors rocambolesque : le soir même de ce fatal 29 juillet, Nonce Paolini s’invite en ouverture du JT de TF1 pour déplorer la décision du CSA. Soudain ému par le sort qu’il réserve aux salariés, il joue la carte sentimentale : « Quand je les vois [les collaborateurs de la chaîne], je peux vous dire que ça me touche énormément. Ce sont des gens que j’aime, ce sont des gens que j’ai recrutés pour un certain nombre d’entre eux, et que je suis avec beaucoup de passion ». Difficile, devant 7 millions de téléspectateurs, d’affirmer que son devoir de « capitaine d’industrie » lui imposera de fermer la chaîne : sans connaître les revenus du groupe TF1 (137 millions d’euros de bénéfice en 2013), chacun peut imaginer que la première chaîne de France n’est pas pauvre. Il promet désormais de trouver « les solutions les moins dramatiques sur le plan social ». « On est tous sous le choc d’une décision qui met définitivement en péril l’avenir de LCI », conclut-il.
Et les syndicats ? La position de l’intersyndicale (CFTC-CFDT-CGC-CGT-FO) a de quoi étonner. Alors que le PDG, depuis plusieurs mois, semble n’avoir aucune considération pour les salariés de LCI qu’il promet à une mort certaine ; alors que seul ledit PDG a entre ses mains l’avenir de la chaîne ; et alors que ce même PDG laisse maintenant planer la menace d’un plan social, leur colère se porte sur… le CSA : « Le CSA a montré, par cette décision prise au cœur de l’été, qu’il était capable de sacrifier 250 personnes et leurs familles pour protéger les intérêts économiques de quelques groupes capitalistiques ligués contre LCI afin de préserver leurs parts de marché et leurs marges bénéficiaires », peut-on lire dans un communiqué.
Jeu de dupes
Le « petit » LCI face aux « groupes capitalistiques » que sont Canal+ et NextRadio TV ! Cette présentation prêterait à sourire si elle n’était pas révélatrice d’un jeu de dupes entre concurrents de l’audiovisuel français.
En effet, en face, du côté de BFM TV, on ne s’est pas privé non plus pour se faire passer pour le « petit », « l’indépendant » garant du pluralisme contre le géant. Or, avec 2,1 % de part d’audience en moyenne, contre 0,9 % pour i-Télé, on ne peut pas dire que BFM TV, totalement leader sur son créneau et nantie de revenus confortables également, soit fondamentalement menacée.
Un constat en tout cas : toujours prompts à réclamer des « assouplissements » de la réglementation, à affirmer qu’il faut de la concentration pour que le marché reste « sain », les groupes privés de l’audiovisuel français changent de braquet aussitôt que leurs intérêts sont en cause. Le groupe TF1 a toujours critiqué la multiplication des chaînes sur la TNT, qui menaçait sa suprématie ? Il s’est aussi toujours arrangé pour avoir au moins une chaîne à chaque appel à candidature, et ne voit pas de problème à multiplier les chaînes d’information. Alain Weill, le PDG de NextRadio TV, vante sa qualité d’outsider apportant de la diversité dans le paysage audiovisuel ? Il se montre plus circonspect quand c’est un autre qui se met en tête d’apporter ladite diversité. Ironie suprême, le même Alain Weill aimerait beaucoup voir une autre de ses chaînes passer sur la TNT gratuite : BFM Business, sa chaîne consacrée exclusivement à la finance et aux entreprises. Sans doute apporterait-elle en effet beaucoup au pluralisme, en faisant contrepoids à BFM TV, où sévissent des marxistes comme Nicolas Doze.
Un plan social inévitable
Et maintenant ? À l’heure où nous écrivons, le dossier n’a guère avancé. Plusieurs pistes sont envisagées pour l’avenir de LCI. S’il est acté que la chaîne va cesser ses activités sous leur forme actuelle, il n’est pas exclu qu’une partie de l’équipe serve à fonder une sorte de « newsroom » chargée d’alimenter le site de TF1, ou que la chaîne se porte candidate à une fréquence sur la TNT gratuite d’Ile-de-France. Les actionnaires du Monde, le trio Mathieu Pigasse - Pierre Bergé - Xavier Niel, se montrent sérieusement intéressés pour une reprise ; mais Nonce Paolini un peu moins par leurs avances. Quoi qu’il en soit, il est acquis qu’un plan social aura lieu.
Frantz Peultier
Un tract de la CGT TF1, du SNJ-CGT de TF1 et du SNJ-CGT de LCI
La moitié des salariés travaillant pour LCI sont sous contrats TF1.
Mais la réorganisation qui dès à présent se prépare ne touchera pas que les salariés de TF1 travaillant uniquement pour LCI !
A TF1, plusieurs chefs de service ont présenté la notion de Plan de Sauvegarde de l’Emploi à leurs équipes. La manoeuvre est claire : instiller l’idée qu’un PSE est inéluctable… aussi bien à LCI qu’à TF1.
La CGT-TF1 rappelle que TF1 c’est :
- 137 M € de bénéfice en 2013 et 24 M € au 30/06/2014
- 425 M € de trésorerie au 30/06/2014
- 10 % des effectifs du groupe en moins en 2 ans !
- des plans d’économies qui se succèdent depuis 2008 (encore 19 M € à trouver d’ici fin 2014 !) et dégradent les conditions de travail.
La fermeture de LCI ne tomberait-elle pas à point nommé pour la Direction ?
Nonce Paolini a déclaré en Comité d’entreprise de TF1 que le groupe de travail planchait sur l’évolution de l’activité de LCI avec restructuration. Pour l’instant il n’est pas question de fermeture dit-il, et il déclare refuser d’envisager la vente. Il a annoncé la tenue d’un Comité d’entreprise extraordinaire d’ici fin septembre.
N’attendons pas que le sort de LCI soit scellé pour réagir !
N’attendons pas que des postes soient supprimés à LCI et TF1 pour nous mobiliser ! [...]
SALARIES TF1 ET LCI : SOLIDARITE POUR LE MAINTIEN DE TOUS LES EMPLOIS CONTRE LA FERMETURE DE LCI
Boulogne, le 5 septembre 2014