Par la voix du ministre de l’Économie Emmanuel Macron, le gouvernement Valls a proposé d’envisager une réforme de l’assurance-chômage. La plupart des grands médias se sont engouffrés dans la brèche en publiant divers articles et « enquêtes » sur Pôle Emploi et/ou sur la situation des chômeurs. Malheureusement, et même si certains journalistes ont tenté de faire au mieux leur travail, ces « enquêtes » sont souvent bâclées et victimes, semble-t-il, de certains préjugés en vogue quant aux chômeurs qui seraient trop et trop longtemps indemnisés. Le gratuit Direct Matin, propriété du groupe Bolloré, s’est ainsi signalé le 13 octobre, avec une « une » et un article « grand angle » dont la pauvreté n’a d’égal que le parti-pris.
« Le ministre de l’Économie a jugé nécessaire, hier, une réforme de l’assurance chômage. Mais le dossier reste ultra-sensible à gauche », annonce le chapô de l’article « grand angle », publié en page 4 du gratuit. Et d’expliquer : « Serpent de mer, la refonte de l’indemnisation des chômeurs est prônée notamment par la droite et les organisations patronales, qui mettent en avant son coût élevé, surtout en cas d’inactivité forte : 33.6 milliards d’euros d’indemnités ont ainsi été versés en 2013 par l’Unedic ». 33.6 milliards ? Bigre. Mais que représente ce chiffre ? Aucune idée, car Direct-Matin ne rapporte pas ce chiffre au nombre de chômeurs (nous y reviendrons) et ne propose, pas davantage, de comparaison avec d’autres pays. Peut-être aurait-il été de bon ton d’enquêter un peu plus : Direct-Matin aurait ainsi pu (nous) apprendre que la France se situe au neuvième rang européen, derrière, entre autres, Les Pays-Bas, l’Autriche, la Belgique ou… l’Allemagne, dans le classement des dépenses d’indemnisation du chômage rapportées au PIB. Une information qui permet, peut-être, une mise en perspective…
Et le gratuit de poursuivre, en évoquant un « système trop généreux » « selon ses détracteurs » : « Actuellement, un demandeur d’emploi éligible touche la même somme chaque mois durant toute la durée de son indemnisation, qui peut aller jusqu’à deux ans, voire trois s’il a plus de cinquante ans. En outre, l’allocation maximale dans l’Hexagone est de plus de 7.000 euros mensuels bruts, beaucoup plus que dans les autres pays européens ». Chacun constatera que Direct Matin fait le choix (délibéré ?) de ne proposer que les chiffres « maximum » (durée maximum, montant maximum). Quel intérêt pour l’information ? Laisser entendre que « certains chômeurs » toucheraient 7.000 euros brut d’indemnités pendant deux, voire trois ans ? Cela est, théoriquement, possible. Mais on parle là de situations absolument exceptionnelles. D’autres chiffres auraient sans doute été plus significatifs et auraient permis d’éviter le parti-pris, qu’il soit volontaire ou non.
Ainsi, Direct Matin aurait pu préciser que si certains (rares) chômeurs peuvent percevoir, théoriquement, jusqu’à 7.000 euros brut, la moyenne des revenus perçus par les chômeurs indemnisés est, selon les chiffres même de l’Unedic, d’un peu plus de 1.100 euros net par mois. Direct Matin aurait également pu indiquer que moins de la moitié des chômeurs inscrits à Pôle Emploi (2.3 millions sur 5 millions) perçoivent des allocations chômage. En d’autres termes, rapportées au nombre de chômeurs inscrits, les 33.6 milliards d’euros dépensés par l’Unedic représentent… 560 euros, en moyenne, par chômeur. Loin, très loin, des 7.000 euros brut… On notera au passage que Direct Matin est capable, parfois, de faire des comparaisons avec les autres pays européens (« 7.000 euros mensuels bruts, beaucoup plus que dans les autres pays européens »). Mais seulement lorsqu’elles servent un propos marqué par le parti-pris…
Les arguments des « partisans de la réforme » sont ainsi exposés, chiffres (soigneusement choisis) à l’appui. Ceux des adversaires de la réforme actuellement envisagée et/ou des partisans d’une autre réforme ne le sont pas. Un oubli ? Nous nous permettons d’en douter…
Une réforme de l’assurance-chômage ? Pourquoi pas ! Informer à son propos ? Évidemment ! Mais la moindre des choses est, chacun l’avouera, de fournir au public les éléments permettant de comprendre les enjeux, les tenants et les aboutissants d’une telle réforme, et non de se contenter d’idées reçues et de chiffres décontextualisés ou instrumentalisés tout en prétendant informer.
Julien Salingue
– Merci au correspondant qui nous a mis sur la piste.